[Live] Marc Rebillet et Louis Cole à Jazz à Vienne

Après une édition 2021 marquée par les jauges réduites et les changements de programmation intempestifs liés à la pandémie, Jazz à Vienne retrouve toute son ampleur cette année ! Et la soirée du 6 juillet 2022 s’apparentait à une expérience osée, mettant à l’honneur deux artistes aux univers particuliers en la personne de Marc Rebillet et Louis Cole.

crédit : Simon Bianchetti & Collectif des Flous Furieux

S’il avait joué il y a quelques années dans l’un des endroits plus confidentiels du festival, Louis Cole recevait les honneurs de la grande scène pour un baptême du feu au coucher du soleil. C’était d’ailleurs ce soir-là sa seule date française en solo.

Venu lui-même finaliser l’installation de son matériel quelques minutes avant le début du concert, Cole débarque pour lancer les accords entraînants d’un clavier funky sur « Thinking ». Accompagné d’un bassiste, d’un guitariste, d’un saxophoniste et de deux choristes, le multi-instrumentiste à la personnalité de doux rêveur se devait aussi de revêtir le rôle de métronome-chef d’orchestre, lui qui joue souvent au service des autres. Il ne faut alors qu’un clignement d’yeux pour le retrouver ailleurs à la tâche, passant – le temps d’un sprint – aux manettes de la batterie, son instrument de prédilection.

crédit : Simon Bianchetti & Collectif des Flous Furieux

Les débuts dansants laissent plusieurs fois place à un tempo plus alangui sur des titres entre jazz et soul, chantés en voix de tête, nous rappelant les sonorités d’un des très grands compagnons de route de Louis Cole – en la personne de Thundercat. À l’instar de son ami – avec qui il se produit souvent et qui lui a d’ailleurs dédié un titre tiré de son propre nom – Cole alterne sans cesse les moments d’accalmie et les courses épiques. Comme s’il se trouvait dans un jeu vidéo – autre goût qu’il partage avec Thundercat – Cole défie l’endurance de ses musiciens, ce qui ne semble guère perturber la mine sans cesse illuminée de Sam Wilkes, son bassiste de longue date.

Parfois expérimentale, c’est lorsque la musique de l’Américain s’établit dans un flux ininterrompu, intense et haletant que tout se déclenche. Passé le son quelque peu tassé du début du live, qui s’est étoffé ensuite, on retiendra notamment les détours par « Louis Cole Sucks », « Time Traveler » ou encore « Overtime », course poursuite infernale sur fond de cymbales claquées à toute vitesse en conclusion extatique.

Le chant haut perché de Genevieve Artadi – avec qui Cole a fondé le duo KNOWER – et la désinvolture de l’homme à tout faire auront contribué à transformer le Théâtre Antique en un lieu intime et à faire monter la température avant que ne débarque un tout autre personnage déjà fiévreux…

crédit : Simon Bianchetti & Collectif des Flous Furieux

Avant l’arrivée de Marc Rebillet sur scène, l’équation est simple sur la table noire : un ordinateur, un clavier MIDI, une loop station et devant… un théâtre de pierre plein à craquer ! Aussi rudimentaire que son setup, son apparat du soir ne se résume qu’à un superbe kimono de satin – qu’il laissera vite tomber – et un boxer à rayures.

Survolté, entrant sur scène tel un taureau sprintant de droite à gauche dans l’arène, le franco-américain se transcende en un instant. Prêt à perdre l’usage de ses cervicales à chaque beat, il ne lui faut que quelques bribes de percussions et de distorsions house répétées pour trouver l’idée de son premier cri chargé de haranguer la foule : « The Romans are coming! »

Probablement inspiré par le lieu antique du théâtre extérieur qui se dresse face à lui, le commandant animé convoque ses « generals » et ses « assholes » (rime riche) à se battre ce soir pour défendre le lieu face à cet oppresseur imaginaire.

En une dizaine de minutes, le décor est posé. Cette nuit, point de setlist, mais un voyage improvisé au fil de l’imaginaire et des élucubrations mentales du prêtre Rebillet. Avec l’imprévisible pour seul crédo – facilité par une grande maîtrise des moyens de création électroniques – Marc transforme n’importe quel lieu en sa, ou plutôt ses, chambres dans lesquelles on l’a si souvent vu s’exprimer au sein de vidéos générant des millions de vues. Ici possédé face à une secte d’aficionados cueillis entre surprise (dans les gradins) et extase (dans la fosse), toute production se crée dans l’instant, se construit d’un rien, jaillit d’une traite comme les exclamations de la foule.

C’est ainsi que les mots d’une spectatrice du premier rang se plaignant de ne pas suffisamment entendre ceux du prêcheur du soir se transforment immédiatement en un morceau de trap au beat lourd sur lequel l’entertainer se met à rapper « Turn It Up, Turn Turn Turn It Up… ». En une phrase, un titre vient de prendre naissance sous nos yeux.

« Le processus est certes le même que dans ma chambre, je trouve une base de percussions, de claviers, etc. Mais être devant le public donne quelque chose en plus aux performances. Il y a quelque chose de plus urgent, de plus actif, de plus grand. »

Marc Rebillet semblait, avant le live, s’étonner lui-même de sa présence dans un festival « de Jazz » (sic). S’il apprécie ce style si vaste, nul doute néanmoins que, d’un point de vue strictement mélodique, sa prestation live en est assez éloignée. De façon très satirique – comme souvent dans ses textes – il ne se fera pas prier pour le rappeler en jouant la comédie au micro le long d’un dirty beat EDM: « You want Jazz? You want Jazz?… Too bad, now you got this! ». On peut se plaire à penser aux mines étonnées des quelques spectateurs qui seraient venus au Théâtre Antique sans trop se renseigner ce soir-là tant le grand écart avec l’ensemble de la programmation du festival est total.

Et pourtant, Marc Rebillet a bel et bien du jazzman – au-delà de l’improvisation – la capacité à toujours retomber sur ses pattes avec une confiance en soi qui ne peut être contestée ni mise en branle. Capable de construire et de déconstruire n’importe quel beat ou solo de claviers, lui superposer sans cesse de nouvelles strates pour revenir au mouvement le plus primaire, c’est l’imprévisibilité d’un être-machine transcendé, possédé, schizophrène, qui nous est donné en spectacle. Et comme pour mieux se concentrer sur ce qui se passe sur scène, les écrans ne retransmettront quasiment jamais le visage du performeur du soir, mais plutôt des images psychédéliques participant à la transe.

Autant capable de satisfaire les clubbers à coup de bouteille de champagne gaspillée, de feux d’artifice et d’un set souvent électro façon Tomorrowland, que de cliver par le style parfois primaire d’une musique sur courant alternatif prenant du temps à se construire, la secte Rebillet peut déconcerter autant que fasciner. Immergé dans ce club souterrain qu’il parvient à construire au sein même d’un espace extérieur, chaque spectateur se doit de trouver son propre chemin. Si les plus mordus de funk et de lignes de basse groovy ont eu de plus rares moments d’extase que lors de ses improvisations en ligne qui invitent à chalouper, il semble que les prestations live ne soient pas une façon pour Marc Rebillet d’apporter une nouvelle preuve de sa capacité à créer, à composer aisément, en tout lieu, et tout instant. Après tout, personne n’en doute. Il s’agit plutôt de tester l’inattendu, de provoquer la frénésie et de faire le spectacle, pour celui qui avoue volontiers tirer son influence de showman d’un expert en la matière comme Prince. En cela, la constante présence debout des spectateurs, pour qui c’était la première rencontre du troisième type au cœur du Théâtre Antique, est une preuve que le pari est réussi.

S’il peut être déconcertant par le côté parfois rudimentaire assumé de sa musique en construction, Rebillet est aussi – sur scène – ce que certains artistes ne peuvent pas être. Irrévérent, surprenant, agaçant, entraînant, génial en un mot : total.

Lorsqu’il rappe, chante ou met à profit son organe vocal incroyable de profondeur et d’amplitude de quelque manière que ce soit, c’est souvent là que la magie opère instantanément.

Il n’oublie ainsi pas de satisfaire une partie de son auditoire en l’écoutant à nouveau et en proposant – en épilogue – des versions alternatives de « Girl’s Club », preuve la plus prégnante de la dimension cinématographique de son personnage et de tous ceux qui l’habitent (lui qui a caressé le désir d’être acteur), et « Fuck Donald Trump », deux titres qui préexistaient ce concert. Le créateur-chanteur n’est pas prêt d’arrêter de tester ses limites face à la foule, lui qui poursuivra sa tournée estivale en Europe avec des passages à Paris, Nantes, Lille ou Le Touquet pour ne citer que la France.

S’il fallait encore une preuve que le Jazz n’est pas le seul style musical représenté dans le Festival isérois de Vienne, la soirée « des deux ovnis », comme baptisée par ses propres organisateurs, en a été une nouvelle confirmation.


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Florian Fernandez

Florian Fernandez

"Just an analog guy in a digital world". Parfois rock, parfois funk, parfois électro, parfois folk, parfois soul, parfois tout à la fois.