[Interview] François Floret, directeur de la Route du Rock

La Route du Rock fête cet été sa 28e édition. Du 16 au 19 août prochain, c’est encore un subtil mélange d’icônes, de talents confirmés et de jeunes pousses prometteuses qui va défiler sur les deux scènes du Fort Saint-Père. Entretien avec le directeur de cette grande fête du rock indé, François Floret.

  • Comment travaille-t-on chaque année à la programmation d’un festival comme celui de la Route du Rock ?

J’écoute moi-même pas mal de choses, mais c’est surtout Alban Coutoux, notre directeur artistique, qui est le plus à l’affût. Il lit beaucoup de chroniques de concerts, de disques… On écoute ensuite ça ensemble au bureau, et c’est là que l’on se décide à programmer tel ou tel artiste, que ce soit pour la collection hiver du festival ou celle d’été. Il n’y a pas vraiment de timing, même s’il existe quand même une deadline pour tout ce qui touche à la communication. On essaie de tout boucler pour avril. Pour ce qui est du choix des artistes, on ne se déplace pas forcément sur les concerts durant le reste de l’année pour juger de leurs qualités sur scène. D’abord pour des raisons de budgets, mais aussi parce qu’avec Internet, on peut déjà se faire une bonne idée de ce à quoi ressemblent leurs prestations. Il nous arrive quand même de bouger un peu, sur les autres festivals notamment, les Eurockéennes, Villette Sonique…

  • Le plus difficile, j’imagine, c’est de trouver le juste équilibre entre rock, pop, électro, folk… Il faut savoir contenter tout le monde !

Oui, ça nous tient à cœur de pouvoir présenter au festival tout le spectre des musiques « indés ». Mais on ne s’impose pas de quotas dans chaque style ! Nous, comme je le dis souvent, on programme « avec le ventre », au coup de cœur. Évidemment, une fois qu’on a commencé à faire une première sélection d’artistes susceptibles de venir jouer chez nous, il faut prendre en compte cette notion d’équilibre. On ne veut pas faire que de la pop, que du garage, que de l’électro… C’est surtout une question de « progression » pour chaque soirée. Nous sommes des passionnés de musique, donc on se met un peu à la place des festivaliers qui ont envie que chaque soir monte progressivement en intensité, avec des enchaînements d’artistes cohérents. On commence en général par des trucs assez cool, assez pop, lo-fi… Et petit à petit, on durcit le ton avec des groupes un peu garage ou punk, comme Idles par exemple l’an dernier.

Puis arrive l’heure des têtes d’affiche, et c’est ensuite là que ça devient un peu plus difficile. Il faut pouvoir enchaîner avec des choses qui soient un minimum cohérentes vis-à-vis de la tête d’affiche qui vient de se produire juste avant. Enfin, comme tout le monde, on aime bien que tout se termine dans la joie et la bonne humeur, avec  des artistes électro qui font danser le public. Là aussi, on reste très attentifs à ce qui se fait d’intéressant dans ce domaine, en essayant de trouver des gens qui ne se sont encore jamais produits au festival. L’an passé, on a eu le bonheur de recevoir Soulwax, qui nous a offert à mon sens l’un des meilleurs concerts de l’histoire de la Route du Rock. L’idée est d’ailleurs d’avoir des choses dansantes, mais pas uniquement des DJs. Bon, là je me contredis un peu puisqu’il n’y a que ça cette année ! Ellen Allien ou The Black Madonna, ce sont des références absolues en électro, on sait que ça va tabasser et faire bouger tout le monde !

  • Quelques mots sur les têtes d’affiche de cette année, avec d’abord le retour de l’enfant du pays, Étienne Daho. Il n’était jamais venu auparavant ?

Non, et c’est vrai que c’est étonnant ! On est ravis parce qu’il est aujourd’hui à l’apogée de sa carrière, avec une maturité incroyable. C’est un Rennais, comme nous, qui a baigné dans le milieu rock depuis toujours, qui a quasiment les mêmes références musicales que nous. Il fait partie de la famille ! Pour ceux qui nous reprochent de temps en temps de ne pas programmer assez d’artistes français, on a quand même cette année dans les têtes d’affiche Daho, Charlotte Gainsbourg et Phoenix ! Daho a d’ailleurs décalé un chouia ses vacances pour pouvoir être présent chez nous. Il connaît bien le festival et il l’aime beaucoup. C’est une belle reconnaissance pour nous.

  • Et après ce grand bonhomme le vendredi, une grande dame le samedi ! Patti Smith ! Là on parle carrément de monstre sacré…

On essaie de l’inviter tous les ans ! Elle fait partie des artistes pour lesquels on insiste tout le temps, et un jour ça finit par tomber comme un fruit mûr. Un bon alignement des planètes ! Évidemment, on ne boude pas notre plaisir d’avoir ce « monument », et le terme n’est pas trop fort, de la scène rock et punk.  Et c’est aussi une grande poétesse, une artiste complète, grande amoureuse de Rimbaud, qui baigne dans la culture depuis toujours, qui ne respire que par la littérature, la musique, la rébellion… On est sur un nuage ! En plus, elle nous fait un beau cadeau puisqu’on aura droit en exclusivité mondiale à la projection de son film « Horses », qui était jusqu’alors uniquement en ligne sur Apple. Elle a appelé les gens de Apple pour qu’ils nous laissent le droit de le diffuser dans une salle de cinéma ! Ce sera le samedi après-midi, au cinéma Le Vauban 2, et elle sera présente. S’ensuivra également une conférence de Christophe Brault, qui est le conférencier du festival, pour évoquer l’ensemble de la carrière de Patti Smith.

  • Quels seraient les artistes que vous rêvez de programmer à la Route du Rock et qui ne sont encore jamais venus ?

Tous les ans, je redonne la même réponse : Arcade Fire et Radiohead. Maintenant, on sait bien qu’aujourd’hui pour nous ils sont hors de portée financièrement. Il faudrait vraiment qu’ils acceptent une baisse de leurs cachets pour qu’on puisse les faire venir. Mais au jour d’aujourd’hui, on a quand même programmé beaucoup d’artistes qui répondaient à nos grosses envies : The Cure, Sonic Youth, PJ Harvey, Portishead, Nick Cave… On a quand même réussi à se faire très plaisir ! En électro, il y a aussi John Hopkins qu’on aimerait bien avoir. On l’a vu l’an dernier à Villette Sonique et c’était vraiment un très beau show.

  • Comment se porte le festival, financièrement ? On se souvient du gros « coup de chaud » de 2015, avec l’annulation de Bjork…

Il se porte plutôt pas mal. Il ne s’est même jamais aussi bien porté ! On a réussi à resserrer les boulons. La structure qui porte le festival est en bonne santé. On essaie de bien gérer tous les compartiments de l’événement. Le plein air, c’est quelque chose de très coûteux et on a de plus en plus de contraintes, notamment en matière de sécurité. Pour en revenir à Bjork, ça a été une annulation douloureuse parce qu’elle a eu lieu seulement quelques jours avant sa venue, mais on a aussi vécu cette année-là un petit miracle avec les Foals qui sont venus la remplacer au pied levé, en louant un jet privé, et nous offrir au final un show monstrueux. Bien sûr, les fans de Bjork étaient déçus, mais ça a permis de limiter financièrement la casse. Dommage quand même : ça aurait fait un monument supplémentaire du rock indé à accrocher à notre tableau de chasse !


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Sébastien Michaud

Journaliste radio sur Angers depuis une quinzaine d'années, auteur de biographies rock aux éditions du Camion Blanc et animateur de l'émission Rocking Angers sur Angers Télé