[Interview] FIL BO RIVA

À l’occasion du passage de FIL BO RIVA par le O’Sullivans Backstage, à Paris, et suite à la sortie de leur si réussi premier album « Beautiful Sadness », rencontre avec Filippo Bonamici et Felix Remm. Les deux membres du groupe, porté par son chanteur à la voix unique et à l’univers affirmé, se confient sur le processus créatif de l’album et le chemin parcouru depuis leur EP « If You’re Right, It’s Alright » paru à l’automne 2016.

crédit : Juliane Spaete
  • L’album est sorti il y a un peu plus d’un mois maintenant, quels sont vos ressentis sur ce premier LP et les retours que vous avez pu avoir de l’audience ?

Fil : Ce qui est le plus intéressant, et le plus beau à la fois, c’est que tu rencontres principalement les gens lors des concerts, c’est là que tu peux jauger. Ces trois dernières années, nous avons joué la majorité des concerts devant un public qui ne connaissait pas encore les chansons – si ce n’est les cinq titres sur l’EP. Alors que maintenant nous en avons à peu près 17, je pense, et la plus belle chose c’est de voir les gens réagir à des titres qu’ils ont déjà entendus, ça nous porte !

  • Vous avez beaucoup été sur la route depuis fin 2016. Vous avez notamment ouvert l’ensemble des concerts européens de Milky Chance. Quelle était votre sensation au moment de jouer devant un public qui attendait le plus souvent l’artiste principal ?

Felix : C’était assez tranquille en réalité, il n’y avait pas de pression. On savait que les gens n’étaient pas venus spécialement pour nous, alors nous n’avions rien à perdre. Ce n’était pas très important qu’ils soient là pour nous voir ou seulement pour Milky Chance. Nous étions juste là pour donner le meilleur de nous-mêmes, et si ça plaisait tant mieux !

  • C’était une tournée dans de grandes, voire très grandes salles. Est-ce que vous en avez retiré une expérience particulière ?

Fil : C’est vrai que la majeure partie des dates se déroulaient dans de grandes salles, mais après tout on n’y pensait pas tant que ça. On vivait ça au jour le jour, les tournées étant toujours sur un rythme très soutenu – tu te déplaces, tu t’installes, tu fais les balances, tu joues et tu repars. En réalité, tu ne réfléchis pas au nombre de gens en face de toi – qu’ils soient 200 ou 1000, peut-être que ça ne fait pas la même sensation s’ils chantent avec toi, mais pour moi il n’y a pas vraiment de différence. L’essentiel, c’est finalement d’être concentré sur les chansons que tu as à jouer, créer quelque chose de beau et t’amuser avec le groupe.

  • Pour en revenir à l’album, nous nous étions rencontrés en novembre 2016, et je me souviens que vous souhaitiez voir sortir cet album dans l’année qui suivait. Mais, comme souvent en musique, les choses prennent souvent plus de temps à se mettre en place. Est-ce que vous pourriez revenir sur l’ensemble du processus créatif depuis ce jour ?

Fil : Nous nous sommes essentiellement concentrés sur l’écriture des chansons, et la façon de les enregistrer – ou réenregistrer. Quelques titres ont été terminés en quelques jours, et d’autres ont pris quelques mois, voire la dernière année et demie. On a vraiment pris le temps de finaliser les chansons pour qu’elles puissent sonner comme on le souhaitait, avec la volonté d’en être émotionnellement satisfaits. On a aussi beaucoup expérimenté lorsqu’on était en studio ; entre longues et courtes chansons, recherche d’effets vocaux particuliers, ce qui a demandé pas mal de temps pour les produire.

  • L’album propose une grande variété de tempos, de mélodies, de genres qui s’entremêlent sans cesse. J’aimerais revenir sur certains titres spécifiques, comme « L’Impossibile» et son refrain en italien. Fil, d’où t’es venue l’envie de partager tes émotions dans ta langue natale pour la première fois ?

Fil : C’était très intéressant pour moi, car je n’avais jamais écrit de chansons en italien encore. J’étais en Italie à l’époque, en vacances en Sardaigne, et j’écoutais beaucoup de musiques italiennes à ce moment-là. J’avais cette mélodie en tête et j’ai commencé à écrire un refrain en italien très rapidement parce que j’étais inspiré, alors que ce n’était pas prévu. Et naturellement les couplets me sont venus en anglais, sans que j’y réfléchisse nécessairement, comme je pense à la fois en italien et en anglais et qu’il m’arrive de prendre des notes dans les deux langues. C’était intéressant d’expérimenter ça !

  • À ce propos, comme tu as quitté l’Italie pour t’installer dans des pays différents avant de t’installer à Berlin, dirais-tu que tu expérimentes ta vie à l’étranger comme un déracinement ou simplement comme des possibilités de découvertes nouvelles ?

Fil : Être loin de l’Italie a pour moi toujours été un démultiplicateur des possibles dans mon appréhension des choses – quand je suis parti en Irlande, en Espagne ou en Allemagne, c’était assez peu réfléchi, il y avait simplement l’envie de découvrir ce qui pouvait être intéressant là-bas. L’Italie restera toujours le pays où j’ai grandi, mais comme cela fait 7 ans que je vis à Berlin, c’est aussi la maison pour moi. C’est devenu naturel pour moi de m’y installer, de me développer artistiquement et personnellement dans cette ville.

crédit : Juliane Spaete
  • Est-ce que vous diriez que le fait de vivre ensemble à Berlin – qui est connue pour avoir une scène musicale foisonnante – vous permet plus de liberté artistique ?

Felix : Berlin est certainement le meilleur lieu pour les artistes qui produisent de l’électro, mais pas forcément le plus accueillant pour la musique que l’on fait nous. Toutefois, cela reste une des capitales importantes avec Londres et Amsterdam pour la scène musicale.

Fil : Si tu penses simplement au fait que l’on s’est rencontré à Berlin – c’est déjà la preuve que c’est un bon endroit ! On a toujours fait de la musique, même avant de s’installer à Berlin, mais être autant inspirés et entourés, ça n’aurait pas pu m’arriver en Italie. Personnellement, toutes mes démos ne sonnaient vraiment pas bien lorsque je composais plus jeune en Italie. Berlin a quelque chose et j’ai aimé que cette ville me donne la possibilité d’expérimenter et d’écrire.

  • À propos de cette liberté artistique, que l’on ressent particulièrement dans l’album, diriez-vous que vous avez eu plus de champ libre pour ce premier album ? Comme décririez-vous le voyage de l’EP vers cet album ?

Fil : L’EP a été enregistré en très peu de temps, au moment même où j’ai fait la rencontre de Felix, mais nous n’avions pas vraiment composé ensemble. Nous commencions à beaucoup jouer ensemble et à faire des sessions de jam, mais la majorité des titres étaient enregistrés à deux, avec mes idées et celle de mon producteur. Quelques fois, Felix nous rejoignait en sortant de l’Université, mais avant « Killer Queen », notre première réalisation en duo, nous n’avions pas encore composé ensemble.
Cela permet certainement de se rendre compte que, lorsque j’enregistre des chansons seul, elles sont plus orientées folk, alors qu’au moment où Felix me rejoint, les expérimentations prennent plus de place. Robbie, notre producteur, nous donne beaucoup de liberté, et beaucoup de temps en studio, car c’est ce que nous aimons faire : se retrouver rien qu’entre nous pour partager nos visions et, encore une fois, expérimenter.
Je n’avais jamais vraiment eu la chance jusqu’ici d’être en studio pour travailler jour et nuit sur la composition. Je dirais que j’ai en quelque sorte essayé de mettre dans un seul et unique album tout ce qui a pu me traverser l’esprit ces 20 dernières années.
Le prochain album sera peut-être plus simple maintenant que l’on a partagé tout ce qui nous mouvait en 13 titres… Il sera peut-être porté par des mélodies plus habituelles ou en tout cas moins expérimentales par moment. C’est en tout cas comme ça que je le ressens…

Fil : La plupart des parties de cette chanson étaient écrites, je les avais enregistrées sur mon téléphone. C’était un titre essentiellement construit au piano initialement, avec quelques parties de guitare. Et lorsque l’on a assemblé toutes ces parties ensemble, c’est là qu’on s’est aperçu que la chanson était très longue, mais on a préféré ne pas la redécouper. Encore une fois, ce n’était pas intentionnel de faire un titre de plus de 9 minutes, on s’est dit « maintenant qu’elle est ainsi, conservons-la ! ». Je sais qu’autour des 6 minutes, lorsque le ton s’adoucit et peut sonner la conclusion autour d’une partie de piano, Felix a commencé à faire résonner sa guitare, et on a développé cette partie de picking pendant deux minutes de plus. Tout le monde s’amusait beaucoup sur ce titre. Je me rappelle aussi avoir dit « oh, j’ai envie d’ajouter des instruments à cordes, et puis des cuivres », ce qui a contribué à lui donner encore plus de longueurs pour permettre à tous ces moments de se développer.

  • Et en ce qui concerne les paroles, qui expriment toujours avec beaucoup de vigueur les affects humains et le for intérieur, est-ce que tu penses avoir eu plus de difficultés à les écrire que lors du premier EP où tu sortais d’une période émotionnelle chargée ? (C’est une douloureuse rupture amoureuse qui avait permis l’écriture des cinq titres de « If You’re Right, It’s Alright », NDLR)

 Fil : Les paroles sont toujours la partie la plus complexe. Pour l’EP, tout s’est passé très vite, tout a été enregistré en deux semaines, alors que pour l’album, j’ai dû prendre plus de temps pour réfléchir aux paroles. Ce n’était pas forcément dans nos habitudes, car en général, nous développons les paroles au fil de la mélodie, je chante sur ce que nous jouons et si quelque chose sonne bien on le conserve et on construit autour. Les paroles arrivent alors plus ou moins naturellement, au long de la mélodie ou non, mais il faut aussi créer un univers qui fasse sens et développer une histoire pour que l’album forme un tout. Pour moi, c’est donc toujours plus complexe d’écrire les paroles que de composer la musique, il me faut être un peu plus posé.

  • Il ne t’arrive donc pas d’écrire sur la route ?

Fil : J’écris très peu en tournée en effet, les idées peuvent venir quand tu es dans un lieu en particulier et permettre aux morceaux d’être plus vite terminés, mais je préfère être à la maison pour ça.

  • Avez-vous eu à vous séparer de plusieurs autres titres pendant le processus de création ?

 Fil : Non, au final, la quasi-totalité de ce que l’on a composé est sur l’album. Nous n’avons jeté que deux chansons, qui étaient certainement trop éloignées du style général du disque ou pas suffisamment solides. C’est plutôt positif !

  • Certaines pistes ont-elles nécessité plus de réarrangements que d’autres ?

Fil : « L’over » fait partie des chansons terminées très rapidement, mais qui a pris deux mois à être finalisée en termes de production, car nous hésitions autour de sa conclusion. « Blindmaker », elle, a pris beaucoup plus de temps, car nous n’étions pas totalement satisfaits. Nous jouions déjà le titre en concert en 2016 dans des festivals allemands, mais pas dans sa forme définitive. Nous n’avons eu de cesse de la réarranger pour lui donner sa forme finale, avec ce beat synthétique et ce ton spécial que Felix a amené via le clavier. Le réenregistrement et la multiplicité des arrangements étaient plus présents que le fait de devoir se séparer d’autres pistes.

  • Pour conclure, avez-vous une recommandation artistique que vous avez découvert récemment et que vous souhaiteriez mettre en lumière ?

Felix : Je dirais Westerman, un auteur et interprète londonien.

Fil : Oui, peut-être pas la plus récente découverte, mais pas la plus commune non plus !

Le soir même, 1h45 durant, FIL BO RIVA livrait une superbe prestation très mature et musicalement aboutie devant un public aux origines aussi variées que les tempos sur lesquels le groupe se plaît à nous faire voyager. En live, chaque titre – déjà extrêmement travaillé sur les versions studio – prend corps d’une façon nouvelle. Pas de doute, Filippo, Felix et leurs amis portent bien en eux quelque chose de spécial, et qui donne envie d’y revenir.


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Florian Fernandez

Florian Fernandez

"Just an analog guy in a digital world". Parfois rock, parfois funk, parfois électro, parfois folk, parfois soul, parfois tout à la fois.