[Interview] Feu! Chatterton

Les Feu! Chatterton sont aussi généreux à la ville qu’à la scène. Ce qui aurait pu n’être qu’un court entretien est devenu au fond d’une salle de bar, grog à la main, une discussion nourrie avec tous les membres du groupe, heureux de partager l’histoire de leur aventure dont ils sont les premiers à ne pas en revenir.

Feu Chatterton par Fred Lombard

  • Salut les Feu! Chatterton. Merci d’être tous là pour cet entretien. Pourriez-vous vous présenter ?

Feu! Chatterton : Sébastien (guitare), Arthur (chant), Clément (guitare), Raphaël (batterie), Antoine (basse)

  • Racontez-nous les débuts du groupe…

Feu! Chatterton : Cela s’est fait entre Sébastien, Arthur et Clément au lycée, en 2de et en 1re, il y a une douzaine d’années maintenant. À l’époque, Arthur écrivait des textes et Sébastien et Clément ont assez vite eu un groupe de rock qui chantait en anglais. On partageait ce que l’on faisait, mais sans faire de la musique ensemble. Quand on a eu 20 ans il y a 6-7 ans, on a écrit un 1er projet avec deux autres musiciens de funk-jazz-slam et de fusion, un truc où Arthur déclamait ses textes et slamait, où la musique était plus proche du jazz, du rock progressif. Au bout d’un an et demi, on en a eu marre. Sébastien habitait aux États-Unis, on voulait changer de projet, car on se disait que c’est n’était pas vraiment la musique qu’on voulait jouer. Il y a eu l’écriture de premiers titres sur lesquels Arthur s’est mis à chanter. Les maquettes étaient envoyées à Séb aux US, à qui cela plaisait beaucoup avec des titres comme « Bic Medium » qui a été écrit à cette période. Quand Sébastien est revenu, on a décidé de jouer ces titres-là sous le nom de Chatterton, fin 2010-début 2011.
À ce moment, c’est au tour de Clément de partir à l’étranger, à Istanbul, où il a effectué un stage pendant 4 mois. Pendant ce temps, Sébastien et Arthur écrivent d’autres titres. Au retour de Clément en septembre 2011, on décide de mettre tous les morceaux ensemble, de changer de nom et de s’appeler Feu! Chatterton. Tout s’est organisé en l’espace de quelques mois après donc qu’on se soit lassé du 1er projet dont la musique au final ne nous plaisait pas trop. Cette solution était naturelle et comme je ne savais pas forcément chanter, on a écrit de longues plages de jazz sur lesquelles je pouvais dire mes textes. Mais très vite en découvrant nos instruments et en améliorant notre technique, on avait de plus en plus envie qu’Arthur chante, d’élaguer le style peut-être un peu pompeux de la musique qu’on faisait à l’époque. Cela s’est fait progressivement. Dans « Bic Medium » par exemple, il y a une partie qui est encore slamée. Ainsi que pour « Comme à l’aube » où il y a ces petits résidus.
En septembre 2011, on rencontre Antoine qui est un pote de pote. On voulait monter les titres sur scène. On montait sur ordi, avec beaucoup de pistes et c’était impossible à jouer sur scène. On avait essayé 2-3 fois sur scène avec tous nos ordis, mais c’était un peu ridicule, car l’ordi jouait beaucoup plus d’instruments que nous sur scène. On s’est dit qu’il fallait monter cela vraiment avec un batteur et un bassiste. Antoine est arrivé suivi par Raphaël, il y a 2 ans qui avait un groupe de hip-hop dans son coin. Parfois Arthur allait poser ses textes sur les titres de Raph, qui a fini par intégrer le groupe.

  • Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour la sortie de l’EP ?

Feu! Chatterton : On a sorti le clip « La Mort dans la Pinède » en février 2012. À cette époque-là, on pensait déjà à faire un EP, mais on n’était pas trop contents des autres titres que l’on avait enregistrés. On cherchait à faire des concerts en faisant écouter nos morceaux sur Soundcloud qui ressemblaient plus à des démos. Ça ne s’est pas fait tout de suite de trouver et les moyens et les amis qui croyaient à ce projet (on a enregistré chez un pote qui est ingé-son et qui a une coloc ingé-son, c’est un ami qui a fait le premier clip). Mais voilà, cela s’est arrêté là, car les titres n’étaient pas satisfaisants. L’adéquation entre notre jeu de scène et un bon partenaire pour bien enregistrer dans les bonnes conditions a mis du temps. Ainsi que pour dénicher le bon réal. Dans la phase après « La Mort dans la Pinède », on a fait beaucoup de concerts dans les bars où on s’entraînait beaucoup à la scène et on réfléchissait à comment enregistrer l’EP. C’est là que nous avons trouvé notre premier tourneur.

  • Vu que vous aviez déjà un nombre important de morceaux de prêts, pourquoi ne pas avoir directement enregistré un album ?

Feu! Chatterton : Tout simplement parce qu’on n’avait pas les moyens et la bonne équipe pour nous entourer.
On a eu deux expériences de studio en un an avec notamment « La fenêtre » qui est un morceau que l’on joue encore en live, « Côte Concorde » et « La Malinche », mais la satisfaction n’était pas là, car il n’y avait pas de direction artistique. La prod n’était pas bonne non plus comme dans le choix des claviers. On travaille maintenant avec Samy Osta qui a réalisé l’album de La Femme, de Rover et de Singtank. On s’est bien trouvés, il nous permet d’aller dans le bon sens, d’être en confiance. C’est lui qui nous a proposé d’enregistrer dans les conditions du live vu que c’était la scène qui représentait le plus notre travail et qui était là où on mettait le plus d’énergie. Cela n’était pas naturel pour nous à l’époque parce qu’il faut une certaine technique pour jouer tous ensemble en direct, mais il nous a donné cette confiance. Jouer, faire des erreurs, avec une vision objective de nos titres que toi tu n’as pas parce que tu les joues depuis plus de deux ans sur scène.

  • On a quand même l’impression que vous savez exactement où vous voulez aller

Feu! Chatterton : On sait en tout cas ce que l’on ne veut pas, ou parfois simplement sentir ce que l’on veut avant de le matérialiser. C’est comme pour les clips et les images. Au fond de nous, on sait précisément ce qu’on est, mais comme on n’a pas les outils ou même tout simplement le langage pour exprimer cette forme qui deviendrait notre forme à nous, qui nous plaît, qui nous ressemble… Parfois, le simple fait de passer du temps sur quelque chose comme on l’a fait avec les premières tentatives d’enregistrement te donne tout simplement l’envie d’être satisfait. Accepter que parfois tu travailles pour « rien » est bien. L’effort parfois ne suffit pas.

Feu Chatterton par Fred Lombard

  • Le soutien du Fair, la sélection aux iNOUïS du Printemps de Bourges, le prix Chorus, le prix Les inRocKs Sosh Lab, Le Prix Paris Jeunes Talents… vous collectionnez les récompenses !

Feu! Chatterton : Le prix Chorus nous a notamment permis d’autoproduire le 1er EP et le 1er clip et a été comme une rampe de lancement. Le Printemps de Bourges a été une grosse vitrine médiatique. Mais c’est la concordance de tous ces prix qui fait la différence. Dire qu’il y a un an, on n’avait rien. Il y a eu un effet boule de neige qui, sans fausse modestie, peut être assez inconfortable, car on se remémorait des autres groupes qui gagnaient plusieurs tremplins et on se demandait pourquoi alors qu’un seul peut suffire et que cela laisse de la place aux autres. Mais bon, c’est pas toi qui décides cela et il faut l’assumer. Le meilleur moyen d’honorer cette chance-là est d’être à chaque fois le plus intègre possible du point de vue de la création et donc de tout faire librement.

  • Et du coup, cette première tournée qui a démarré fin septembre, cela se passe comment ?

Feu! Chatterton : On se rend compte que c’est un vrai métier. On a tous fini nos études, on avait chacun un petit boulot à côté, et là, c’est musique à fond, on n’a pas le choix. Depuis l’EP, on travaille à plein temps. Et on devient, avec la tournée, des saltimbanques ; on prend la route, on part distraire les gens et procurer certaines émotions. On joue 23 dates, et en parallèle, on maquette l’album. On a un projet musical et littéraire, un spectacle d’une heure à la Maison de la Poésie, on a des duos à préparer pour une émission de télé, on est super content, on ne s’attendait pas à ce que la sortie de l’EP engrange comme cela tant d’opportunités. Et là, avec la tournée, on est pour la première fois en province, au contact des gens dans des petites salles, rien à voir avec les festivals qu’on a pu faire cet été. C’est la première fois qu’on a de vrais échanges avec le public en discutant avec lui après les concerts. Chaque soir est un mystère, une inconnue, on ne sait pas s’il va y avoir du monde, comment va réagir le public. À Orléans, on a joué à l’Atelier, une salle de 80 personnes et en arrivant, on s’est vraiment demandé si les gens viendraient nous voir. Ça a été une date géniale. Nous, on sait pas qui vient, qui nous connaît, si l’ambiance va être bonne, etc. On a joué au Moulin de Brainans dans le Jura, perdu en zone rurale et on pensait vraiment qu’il n’y aurait personne. Et au final, c’était full et ça c’est les meilleures dates pour nous parce qu’il y a cette proximité que tu n’as pas forcément dans les festivals !

  • En même temps à Rock en Seine en août dernier, on vous a senti bien, contents, heureux d’être là, proches des gens…

Feu! Chatterton : Tu parles, il faisait beau, il était 15h00, on était à Rock en Seine après être restés enfermés en studio pendant une semaine. Là, tout d’un coup, tu vois le jour, tu vois les gens, il fait soleil, t’as 5000 personnes qui sont venues te voir et tu as une taille de scène impressionnante et un super son, avec des retours de super qualité qui te détruisent pas les oreilles. T’es backstage avec les Queens of the Stone Age et Lana Del Rey, la classe ! Mais reste que ce n’est pas la même ambiance que dans un bar où tu joues des coudes avec les autres zicos, où même si les amplis sont un peu forts, il y a une telle ambiance…

  • Et les tournées à l’étranger dans tout ça ? Dans les pays francophones ? Dans les contrées anglo-saxonnes ?

Feu! Chatterton : On sait qu’on a un peu de public en Suisse, car on passe en radio, un peu en Belgique et au Canada. Et comme on a gagné un autre prix qui s’appelle le Prix Félix Leclerc, on va partir jouer aux Francofolies de Montréal, avec une petite tournée d’une semaine… pour peut-être traverser la frontière américaine… légalement (rires). Notre musique est surtout infusée par la musique anglo-saxonne, même si elle est marquée par Gainsbourg et Bashung (qui ont eu aussi écouté beaucoup de musique américaine). On a un copain qui est au Mexique et qui nous a dit que beaucoup de Mexicains étaient sensibles à notre musique, sans pour autant comprendre les textes. Ils demandent parfois la traduction des textes certes, mais cela donne un vrai espoir de les atteindre. C’est hyper flatteur que de savoir que sans les textes, il y a tout de même une émotion qui transparaît. Mais c’est vrai que cela sera un défi surtout pour les textes et la qualité de la musique – eux qui sont super techniciens. On espère plus tard faire des titres où la mélodie est aussi centrale que le texte. On a vraiment choisi de mettre les paroles en avant sur le 1er EP, mais sur l’album cela risque d’être un peu différent. On prend une direction un peu moins littéraire, avec la musique qui sera très en avant. Cela ne veut pas dire que les textes seront nuls (rires).

  • Arthur, toi qui écris tous les textes, tu ne t’en tiens pas là en construisant notamment sur scène des transitions assez léchées…

Arthur : C’est certes construit, mais pas programmé, c’est important pour nous tous que le concert soit un spectacle de bout en bout, et que les interludes ne soient pas des moments creux, des phases de « repos », au moment où tout le monde est chaud. Cela doit être un délice particulier d’être tout le temps avec les gens, même quand tu bois un peu d’eau, réaccorde ton instrument ou fais quelque chose d’anodin sur scène.

  • Il faudrait presque que votre album soit un concept-album et que vous repreniez le principe de ces transitions…

Arthur : C’est marrant que tu dises cela, car justement l’album sera en 2 parties, avec une partie concept-album…

  • … et pousser le bouchon jusqu’à faire cela pour les futures vidéos ?

Arthur : Cela demande de trouver les bons partenaires, les bons camarades de jeu…

  • Arthur, des velléités de sortir un livre ?

Arthur : Au départ, je ne chantais pas du tout. Donc ça, je l’ai depuis que j’écris. Des textes courts, un peu plus poétiques, mais aussi des textes plus longs, enfin de longs poèmes. Par défaite ou confort. Parce qu’un roman, c’est autre chose, c’est tellement de phrases. Sur un poème, tu peux être précis tout le temps… mais sur un roman… J’admire les grands romanciers. Pour l’instant, cela me paraît inaccessible. Souvent les livres de chanteurs sont assez précieux comme le « Evguénie Sokolov » de Gainsbourg… C’est souvent pas bon, ça reste des livres de chanteurs… faut pas qu’ils oublient cela. Moi je ne suis pas un écrivain. Je ne suis même pas un poète. Je chante des chansons. En fait, si tu regardes mes textes sur le papier, sans la musique, peux-être te diras-tu que ce n’est pas assez puissant…

Feu Chatterton par Fred Lombard

  • Et cette attitude sur scène, ce costume de Dandy, comme l’idée est-elle venue ?

Arthur : Cela vient tout simplement de mon affection pour les Dandys. J’admire la discipline du Dandy qui doit l’être tout le temps… même en dormant ! C’est une forme de masochisme incroyable, une sophistication un peu perverse. J’aime les auteurs Dandys qui jouent avec ce rapport-là. Être à la fois dans une représentation toujours réfléchie, une posture et être en même temps en autodérision et en ironie par rapport à cette même posture. Avec cynisme. Comme Oscar Wilde par exemple qui manie parfaitement l’antiphrase. Et quand on le lit, on voit cette bouche avec ce sourire en coin.
Gainsbourg aussi avait cette précision…
Et sur scène, cela devient une forme de cérémonie, tu ne débarques pas comme si tu venais de faire la cuisine ou être allé promener le chien… ce n’est pas un artifice, c’est un moyen assez simple et direct d’être avec le public, d’être ailleurs, tous ensemble. Avec solennité et respect. Et le costume 3 pièces qui est le plus intemporel te permet aussi d’être neutre, à la fois d’être solennel tout en servant aussi une histoire…

  • Où voyez-vous le groupe dans 5 ans ?

Feu! Chatterton : Même si les choses se sont précipitées en un an, on a quand même mis plus de trois ans à en arriver jusque-là. Voyons déjà le travail de l’album, ce qui nous amène déjà à plus un an, ensuite il y aura une tournée donc nous sommes à plus deux ans. C’est un peu dur de se projeter dans ce qui va se passer après. L’important est de faire un super album et une super tournée, on verra après ! Ah oui, puis on ira au States, au Madison Square Garden (rires)…


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans