[Live] Festival Europavox 2015

Europavox. Tout est dans le nom. Cinq jours de concerts entièrement dédiés à la scène pop, rock, metal et électro européenne. Un poil plus excitant que l’Eurovision, donc… Du connu, du moins connu, du pas connu du tout, de la bouffe en barquette, des pompes à bière en surrégime, du fan, du curieux, de l’ado émoustillé, de la bonne mère de famille en poussette… Un festival, quoi…
Et qu’est-ce qu’un festival, sinon une interminable succession de rendez-vous empiétant bien souvent les uns sur les autres ? Deux options, donc : venir les cinq jours en flinguant abusivement son capital RTT et user ses pompes en allers-retours incessants entre les quatre scènes du site, quitte à ne voir du coup que vingt ou vingt-cinq minutes de chaque concert. Ou écourter son séjour et faire des choix purement égoïstes, cela va de soi, dictés par ses goûts personnels, sa flemme naturelle, son incapacité à régler un appareil photo récalcitrant, son penchant pour les apéros prolongés dans l’herbe. Option 2, dans le cas présent.
Et si vous êtes en train de lire ces lignes, c’est que le rédac’ chef d’indiemusic est un type cool et tolérant !

Europavox 2015


Vendredi 22 mai

Carl Barat au menu de cette première soirée, sur la scène du Club Erasmus. Soit un tiers de The Libertines (pardon pour les deux autres). C’est du bistronomique. Mieux que la célèbre potée et le jambon auvergnat réunis. Un type qui se coltine Pete Doherty sur scène, en coulisses et en studio, même par intermittences et depuis bientôt quinze ans, aurait mérité mieux qu’une salle (de taille modeste) aux trois quarts remplie. Carl Barat, quand même !!! Faudrait voir à se réveiller, les mecs ! C’est officiel, au cas où vous en doutiez encore : la France n’est pas le pays le plus rock’n’roll au monde.

crédit : Sébastien Michaud
crédit : Sébastien Michaud

Avis certainement partagé par ce fan ultra looké, tout sourire, arborant chapeau et veste militaire rouge à la mode de qui vous savez. Dommage, j’ai oublié de lui demander son nom. Appelons-le Franck, si vous le voulez bien (l’option « Jean-Pierre » ou « Gérard » étant beaucoup moins plausible). Bref, il va jubiler, mon Franck, pendant l’heure qui va suivre. Entouré de ses Jackals, sa nouvelle formule solo, Barat déboule clope au bec et paie d’emblée sa tournée de « Victory Gin », extrait du dernier album en date.

Avec ou sans The Libertines, c’est au fond la même histoire : celle d’un type résolu à aller à l’essentiel, à prendre son pied à grand renforts de riffs saignants, de jeux de jambes sur 220 volts et de refrains à brailler en cœur. L’ombre des Clash plane bien sûr, immense. Au tiers du set, « Death On The Stairs », expédié pied au plancher, nous ramène à cette époque bénie ou le duo Barat/ Doherty hissait haut et fort les couleurs de l’Union Jack face à la hype Strokes. Des « Glory Days », à l’image de ce single récent, exécuté quelques minutes plus tard et grand gagnant à l’applaudimètre. Et la classe rock’n’roll, messieurs dames, ça se conjugue à toutes les modes : le quart d’heure acoustique qui s’ensuit voit Barat jouer seul les « Morrison punk ».
Devant la scène, Franck, notre fan transi, essuie sans doute une larme sur « The Ballad Of Grimaldi » et « France », extraits de la ménagerie The Libertines… Le dernier quart d’heure regagne en muscles avec le « Bang Bang You’re Dead » des défunts Dirty Pretty Things (y’a pas à dire, il est même doué pour trouver des noms de groupes qui sonnent…). Le coup de grâce ? « I Get Along », du Libertines cru 2002. Sauts de cabri du public et fin d’un set sans fioriture. Comme dirait l’ami Ziggy : « Wham Bam Thank You Ma’am ! ».


Samedi 23 mai

Ce qu’il y a de pénible avec les festivals (je sais, j’embête tout le monde avec ça, et pourtant j’en redemande chaque année…), c’est l’inconnue qui réside dans l’intérêt du public. Sur la scène du Club Erasmus, concert gratuit des Angevins de San Carol, à une heure où l’on mange encore son sandwich, et programmé quasiment au même horaire que A Toys Orchestra, groupe italien présenté comme des disciples d’Arcade Fire.
Quelques handicaps d’entrée de jeu donc pour le gang de Maxime Dobosz, qui aurait mérité bien mieux qu’une assistance polie et clairsemée. S’il devait me venir ce soir un seul mot pour définir la musique de San Carol, ce serait peut-être « évidence ». Pas celle des pop songs de trois minutes qui vous font battre de la semelle, non. Une évidence plutôt née sur scène de la parfaite interaction existant entre quatre musiciens issus de formations angevines aux univers parfois assez éloignés les uns des autres. Stw, guitariste des très psyché garage Eagles Gift et Sheraf, Nerlov, bassiste-fondateur du projet cold/new wave VedeTT, et Simon Garnier, batteur de Lemon Queen (électro pop), ont tout compris au projet initialement solo de leur pote. Et cela s’entend.

crédit : Sébastien Michaud
crédit : Sébastien Michaud

En concert, San Carol fonctionne comme un shaker, diffusant sans erreur de dosage le cocktail traître de ces trois influences réunies. Les délires krautrock du chef d’orchestre, associés à un chant de plus en plus assuré, ont semble-t-il trouvé leur « dream team ». On se prend dès lors à rêver d’un futur set plus bouillonnant encore, car les tubesques « Cosmicia », « Venture » ou l’électro punk de « One Upon A Time » (issu du premier album) méritaient mieux au final que des applaudissements clairsemés.

Applaudissements bien plus nourris évidemment, notoriété oblige, pour Dominique A.
Dans une salle de la Coopérative de Mai archi-bondée, les ovations recueillies par ce dernier à la fin de chaque morceau offrent un contraste saisissant avec le silence de cathédrale qui règne durant leur exécution. Croyez-moi, si l’immense majorité des radios FM françaises n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, notre homme, à l’heure de sa mort (le plus tard possible, cela va sans dire), pourrait bien finir sanctifié. Mais comptez le nombre de tubes alignés par Bashung (qui d’autres en comparaison ?), faites le même exercice pour Dominique A, et vous comprendrez aisément que le statut d’artiste culte, dans l’inconscient collectif, sera sans doute toujours réservé au premier nommé.
« Quand on entend chanter des choses avec un peu de substance, on ne peut que s’entraîner à être un bon chanteur mort. Ce qu’on crée ne prendra toute sa mesure que lorsqu’on aura disparu. » ; telle était la vision du métier de Dominique A, en 2008, au moment de la publication de son premier essai « Un bon chanteur mort ».

Mais soyons clairs : ce soir, sur scène, le Nantais s’en tape certainement, du côté culte des choses, et ce qu’il me renvoie à moi et aux 1500 autres spectateurs prend largement tout son sens. La new wave à laquelle il a été biberonné durant ses jeunes années transparaît toujours ici et là, discrète, intemporelle, ressurgissant sous la forme d’arpèges délicats, de claviers vaporeux, de fulgurances électriques et de textes écrits sous un ciel voilé. Musiciens sobres, impeccables, au service d’une seule et même cause : offrir un écrin solide au spleen et à la fragilité ambiants. Une fragilité universelle où chaque mot prend des allures de miroir, tendus à chacun d’entre nous. « C’est une autre aujourd’hui qui s’avance vers moi, c’est une autre et c’est toi qui me passe à côté. C’est un nouveau visage, dont les yeux sont fermés, qui ne veut pas me connaître, ni m’aimer. ». Voilà, c’est ça : ce type parle de nos vies, de cet(te) inconnu(e) croisé(e) l’espace d’une petite heure, qu’on ne reverra jamais et qui fera bientôt le bonheur d’un ou d’une autre.
Une poésie jamais opaque, propre à forcer l’admiration d’un public clermontois visiblement peu réputé pour ses élans du cœur : « dans mes souvenirs, vous n’étiez pas comme ça ! », se marre Dominique A, légèrement surpris ce soir par la chaleur de l’accueil. « Ça doit être l’effet festival, avec des gens sans doute venus de plus loin, de Corrèze par exemple. ça expliquerait peut-être ! » De Corrèze ou d’ailleurs, ils se lèveront tous à l’issue du dernier morceau : « Si seulement nous avions le courage des oiseaux, qui chantent dans le vent glacé ». Je ressors de la salle sans me soucier de la température ambiante.


Dimanche 24 mai

Salle quasi pleine ce soir, au Club Erasmus, pour Bror Gunnar Jansson. Rien ne manque au Suédois, bluesman surdoué et homme orchestre : le look rétro, la voie éraillée… Seulement, tout cela reste très académique. C’est propre, joué à la perfection… et vaguement ennuyeux.

crédit : Sébastien Michaud
crédit : Sébastien Michaud

Sentiment peu partagé par le reste du public, visiblement téléporté sur les rives du Mississippi à chaque note du prodige. La virtuosité et la classe naturelles du musicien ne m’empêcheront pas de quitter les lieux avec une autre forme de « blues », celle de celui qui « sait que c’est très bien mais qui n’arrivera jamais à apprécier à sa juste valeur. » Vous voyez ce que je veux dire ?

Ambiance radicalement différente dehors, sur la scène Factory, pour les Biélorusses de Super Besse. Un nom de station de ski du Massif Central pour un concert à Clermont-Ferrand. Le groupe a dû bien se marrer en apprenant sa programmation au festival !

crédit : Sébastien Michaud
crédit : Sébastien Michaud

Sur scène, par contre, ça ne rigole pas. Plus cold wave/post punk, tu meurs. Claviers vintages, guitares acérées et basse bodybuildée : le trio connaît son Joy Division par cœur et le récite à la perfection. Je ne connais pas la Biélorussie, mais j’imagine sans peine que ses riants paysages ont eu le même effet sur nos trois lascars que les briques de Manchester sur la bande de Ian Curtis. D’ailleurs, en parlant de pendu, le chanteur-guitariste y va lui aussi par instants de sa gestuelle de pantin désarticulé. Tout pareil, on vous dit !! Enfin, presque : le chant en russe, agressif à souhait, additionné à des rythmiques synthétiques ultra dansantes, vient rajouter à l’ensemble un côté « disco-punk à chiens » assez unique. Seule fausse note, et elle n’est pas le fait du groupe : la présence surréaliste devant de la scène d’une corpulente septuagénaire tout de rouge vêtue et dansant la gigue avec un type déguisé en Schtroumpf des pieds à la tête. C’est la magie des festivals…

Retour devant la scène du Club Erasmus pour les Slovènes de New Wave Syria. Un duo masculin/ féminin scotché à deux synthés se faisant face à face, sous un joli jeu de lumières. Le contenu ? Un électro ambient vaguement mélodique, s’étirant en longueur. « Ce duo offre une haute teneur en hits potentiels », indiquait le programme du festival. Il faudra dans ce cas me redonner la définition du mot « hit ».

Du poids lourd pour finir, dans l’immense salle du Forum, avec les sympathiques zicos de Placebo : vingt années de carrière au compteur, des disques vendus par millions et une crédibilité rock’n’roll en chute libre depuis des lustres.
Certes, ça joue propre ; certes, il y a du tube bien foutu à foison. Mais tout cela, au fond, ressemble fort à ce qu’il serait convenu de nommer « le syndrome Muse » : un groupe parti très fort et devenu en quelques années l’archétype de la grosse machinerie de stade. La faute à qui ? À quoi ? Peut-être à une inspiration qui s’épuise, à l’ego d’un Molko gros comme une pastèque, à des tournées interminables, au refus légitime de capitaliser sur l’esprit et le son de deux premiers albums aussi magistraux que différents. Allez savoir…

crédit : Sébastien Michaud
crédit : Sébastien Michaud

Pour les avoir vu à de très nombreuses reprises en concert (oui, c’est un ancien fan qui vous parle), je sais d’emblée, comme les sept ou huit fois précédentes, que le grand frisson ne sera pas au rendez-vous. Au rayon des « couacs » de la soirée, une version de « Every You Every Me » (sublime single du deuxième album) totalement massacrée et un son pourri durant les vingt premières minutes du show. Sifflets du public et intervention du sieur Brian, à mi chemin entre le côté Bisounours et la fête de patronage : « Quoiiii ? Qu’est ce qui se passe ? Ah, les Français ! Toujours à vous plaindre !!! Bon… Je connais… Mon grand-père était français ! Allez, on va arranger ça… Et surtout, ce soir, prenez soin les uns des autres ! ».

Passé ce charmant intermède, le concert prend son allure de croisière, ni bonne ni mauvaise, avec ses musiciens additionnels planqués près des enceintes et la présence par intermittence d’une violoniste paumée dans l’avalanche de décibels. Restent heureusement la qualité du chant (sans faille) et celle des titres d’un back catalogue propre à raviver par instants quelques bons et vieux souvenirs : « Twenty Years », « Special K », « Special Needs », « Teenage Angst » (joué en version lente). On se prend dès lors à se demander ce que viennent faire en clôture de show les très quelconques « Post Blue » et « Infra Red » ; pourquoi passer à la trappe des titres aussi géniaux que « Nancy Boy », « Without You I’m Nothing » ou « You Don’t Care About Us » ?
Refus calculé de tout accès de nostalgie, sans doute. À moins que tout cela ne soit dicté par une confiance aveugle (mais alors totalement, hein !) en ce qui fait la force du groupe en 2015. « Since I was born I started to decay… ».


Retrouvez Europavox sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Sébastien Michaud

Journaliste radio sur Angers depuis une quinzaine d'années, auteur de biographies rock aux éditions du Camion Blanc et animateur de l'émission Rocking Angers sur Angers Télé