[LP] Da Capo – By the River

La nouvelle déclinaison discographique de Da Capo se nomme, en toute sobriété, « By The River ». Elle fait suite à l’intense « Oh, My Lady » que nous avions à juste titre, salué dans ces colonnes. Si la musique pop reste le fil conducteur évident de l’œuvre d’Alexandre Paugam sous cet alias, elle se décline dans un nouvel écrin, qui pourrait relier l’élégance du trip-hop originel de Bristol à la tension du post-punk et de la new wave.

Pour le leader héroïque de cette formation singulière, la pop n’a jamais vraiment été le lieu du joli, cet espace où tout doit être caressé dans le sens du poil. Au contraire, ce territoire doit être celui d’une émotion libre et forcément exacerbée. Nous ne cesserons de le répéter ; cette entité est à juste titre un groupe excessif dont le lyrisme et les exubérances n’ont rien de superficiel. En ce sens, à la marge de l’industrie musicale, le groupe fait certainement partie de ces derniers romantiques pour qui prendre une guitare et se livrer dans les paroles d’une chanson n’ont rien d’un acte innocent ou simplement consommé. Quelque part, et même si esthétiquement, une distance (encore que !) sépare Da Capo et les Russes de Motorama, il y a certainement dans l’approche, dans ce refus artistique de la modernité implacable et sourde, une très grande proximité sensible.

Au-delà d’une intention qui ne fait aucun doute se dessinent de magnifiques chansons, troublantes et obsessionnelles comme « Like a Friend ». Spontanément, nous dirions que « By the River » est quelque part moins facile d’accès que son prédécesseur (qui lui-même nécessitait une vraie disponibilité et l’envie de pénétrer un étrange périmètre, loin des canons médiatiques et des standards du moment). Trop facilement, nous pourrions affirmer que les récents disques de Da Capo sont presque tous jumeaux, à travers la signature (et la grande présence) vocale d’Alexandre. Pourtant, sur certains titres comme « Lion », « Do It Again » ou « Like a Friend », une expressivité nouvelle le rapproche de voix singulières comme celle d’Armand Gonzalez (époque Sloy), de Robert Smith (a-t-on besoin de le présenter ?) ou encore de l’insaisissable Kevin Rowland (Dexys Midnight Runners, The Killjoys).

Ce disque se révèle aussi dans des arrangements subtils et évolutifs, à l’image de « Anna » qui débute comme une ballade du regretté Nick Talbot de Gravenhurst, pour plonger dans un foisonnement digne de Pink Floyd. « Between us » et « Take It Cool » se signalent par leurs pouvoirs évocateurs, celui d’une pop raffinée et référencée, biberonnée à l’excellence harmonique des grands compositeurs de musiques de film, à l’inventivité des musiciens de jazz afro-américains. Du côté de Bristol, il y a quelques années, des musiciens de talents, seconds couteaux du trip-hop, Invisible Pair of Hands, cultivaient cet amour cinématique de la Pop Music. Néanmoins « By the River » échappe à l’exercice purement instrumental, cette autre facette de l’œuvre d’Alexandre Paugam, qui compose en dehors de Da Capo, pour le cinéma et le théâtre. Chaque morceau est en effet imprégné à sa manière d’une véritable tension, à l’image de cette guitare électrique lancinante qui parcourt « Fortress ». Si la musique nous entraîne par instant dans des mouvements cycliques, elle est régulièrement parsemée d’événements électrisants, de soubresauts extatiques. Elle dévie à l’envi d’une trajectoire rectiligne pour nous propulser dans une valse confuse et enivrante des sentiments. Dans cet art de la mise en scène et de la narration musicale, le leader de Da Capo est certainement bien plus proche du toujours classe Mick Harvey (qui n’en finit plus de reprendre avec beaucoup de respect et d’inventivité Gainsbourg) que n’importe quel newcomer de l’émergence indé. Pour certains d’ailleurs, ils devraient peut-être aller faire un petit stage du côté du Puy, auprès de notre artiste du jour.

Que pouvons-nous encore souhaiter à Alexandre Paugam et à son groupe Da Capo ? De garder en lui cette bouillonnante envie d’écrire et de créer, le plus longtemps possible, pour délivrer des albums aussi audacieux et inspirés. Nous sommes à peu près certains que la notion même de « réussite » au sens mercantile du terme ne fait pas partie des motivations vibrantes de ce disque rare, mais nous sommes convaincus qu’a contrario, il contient intrinsèquement cette vitalité, cette soif musicale que nous recherchons avant tout dans les musiques indépendantes et alternatives.

« By The River » de Da Capo est disponible depuis le 1er février 2019 chez Autruche Records via Differ-Ant.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.