[Interview] Corine

Corine, nouvelle égérie du disco made in France, avait l’honneur d’ouvrir la partie musicale du Champs-Élysées Film Festival le 18 juin dernier. À cette occasion, nous la retrouvons quelques heures avant son concert sur la terrasse de la Maison du Danemark au cœur de la plus belle avenue du monde. Pendant que la scène se monte sous nos yeux, la discussion s’engage.

  • Comment le festival t’a contactée ?

Justine Lévêque qui fait la programmation du cinéma et de la musique m’a contactée et m’a expliqué le projet de faire le lien entre la musique indé et le cinéma indé avec un concert tous les soirs.

  • En plus c’est toi qui fais l’ouverture !

Je suis ravie ! En plus avec Yves, un film qui a l’air bien déjanté, bien absurde en parallèle, ça correspond bien à mon univers, je pense. J’adore quand il y a des ponts qui se font entre les arts comme ça c’est génial.

  • Tu vas pouvoir aller le voir ?

Non je dois rester ici faire les balances… Mais je vais essayer d’inviter Yves à la maison à l’occasion !

  • Dans Yves justement, il y a Philippe Katerine qui joue, un artiste que tu as souvent cité comme influence majeure…

Oui, il est pas là ce soir, je suis trop triste. J’aurais adoré faire la fête avec lui. Mais on s’est déjà rencontrés une fois, on a parlé de nos psys respectifs pendant 2 heures, c’était très rigolo. Et des chiens qu’on aimerait avoir aussi !

  • Katerine a justement un album très disco, qui s’appelle « Magnum ». J’imagine que tu le connais ?

C’est une de mes grosses références évidemment. Il date de 2014, et à chaque fois qu’on me parle d’un revival disco je le cite toujours en disant « regardez, je suis pas la première à le faire, c’est pas nostalgique, c’est juste actuel ». Avec Daft Punk aussi évidemment, toute cette époque. Déjà moi je fais du disco très seventies, moins eigthies. J’ai pas trop de machines, moi je suis plus sur le disco organique. Et c’est jamais mort finalement, c’est proche du jazz, de la soul, du funk, et c’est de la musique qui ne se démode pas. Ça n’a pas de sens de dire que le disco est mort.

  • J’ai l’impression qu’il y a une grande confusion sur le disco en ce moment. En gros tout le monde fait du disco, quel que soit le registre…

C’est sûr, c’est large. De toute façon il aura toujours des gens pour catégoriser à l’extrême de cette façon. Moi, en tout cas, c’est une musique qui me parle, qui me porte. J’ai pas l’impression que mon album n’est que du disco, y’a aussi des balades, des délires très gainsbouriens, des influences de Prince… Après j’ai surtout fait ce que j’aimais, quoi qu’il en soit. Mais oui aujourd’hui on peut dire que l’Impératrice, Paradis, Clara Luciani et moi on fait tous du disco, mais ça serait réducteur non ?

Les gens ont envie de danser, de s’émanciper aujourd’hui. On est un peu dans une période de lutte, et il ne faut pas l’oublier ; le disco, c’est une musique de combat à l’origine. Ça a permis aux communautés black et queer de porter leurs revendications et de se retrouver sur les pistes de danse à une époque où ils étaient complètement mis de côté et ensemble exorciser le fait qu’ils soient rejetés. C’est pas pour rien, je pense, que le disco revienne en force aujourd’hui, ce n’est pas un hasard.

  • Le disco revient un peu à la mode aussi au cinéma. Rien que l’an dernier dans BlacKkKlansman, le dernier Spike Lee, il y a un bel hommage au disco.

Oui et Spike Lee a toujours des BO dinguissimes. Mais dans le cinéma indé y a toujours des influences hyper funk et disco. Rien que dans Drive, même si c’est plus électro, Baby Driver… La musique indé et le ciné indé sont étroitement liés. Dans tous les Tarantino aussi y a toujours des pépites soul, tout début période disco, qui sont folles. Lui aussi a de super BO. C’est bien la preuve que le disco, c’est plus que l’image un peu ringarde des années 80 qu’on en a en France. C’est tout un mouvement.

  • Est-ce que finalement pour les gens, le disco c’est pas plus une période qu’un registre ?

Le disco est né dans les années 70 et meurt avant 1985 quand les machines prennent le relai et là on part sur la house, donc c’est drôle qu’on parle toujours des années 80 comme des années discos : c’est un peu faux si on prend l’histoire globale de la musique. Après moi, en plus dans mon esthétique, j’ai des codes clairement disco donc je comprends que par facilité on me range dans une case aussi, c’est le jeu.

  • Justement j’ai lu pas mal d’interviews de toi pour préparer celle-ci et on te parle tout le temps de ton look, tes vêtements… Ça te gonfle pas au bout d’un moment ?

Non honnêtement ça va, surtout maintenant que le disque est sorti. Les gens comprennent que je suis pas juste un produit marketing, juste une image. Y’a un vrai projet musical derrière. Il y a certes de l’humour et du décalage, mais c’est ma personne, pas juste une opération commerciale d’un producteur. On me pose plus de questions sur mes cheveux déjà, et tant mieux, parce qu’au début on me parlait que de ça… Après certes, pour moi, l’aspect spectaculaire sur scène est primordial. J’aime le spectacle, au sens premier du terme. Comme Mathieu Chédid, Mylène Farmer, Lady Gaga.

  • On t’a aussi beaucoup parlé de ta féminité, comme on a pu le faire avec Lady Gaga et Mylène Farmer par exemple. Alors qu’au contraire, il ne m’a jamais semblé qu’on parle de la masculinité de -M-…

Et pourtant Mathieu a beaucoup souffert des réflexions sur sa voix très féminine, plus il est allé dans ses shows de plus en plus rock’n’roll… Il a réussi à bien s’installer là-dedans et aujourd’hui il a une vraie aura de rock star, et à ses débuts c’était inimaginable. J’ai fait sa première partie et on le voit dans son public, il a de vrais fans, et beaucoup de femmes amoureuses (rires).

  • Dans une interview, tu parles de ton amour pour le cinéma de la Nouvelle Vague et plus particulièrement des femmes dans ces films. Tu peux en dire un peu plus ?

J’ai toujours été fasciné par le côté à la fois ingénu et puissant de ces personnages. Ce ne sont que des femmes fortes et iconiques, Jean Seberg, Brigitte Bardot… Elles représentent toute une époque où la femme a été mise au rang d’icône potiche, mais en fait dans ce cinéma-là ça va bien au-delà. Rien que la façon de demander le sel dans ces films est extrêmement sexy et dit bien plus sur le rôle des femmes que la ligne de dialogue en elle-même. Je trouve ça génial. Et mes textes sont très inspirés de cette mouvance du coup. C’est un peu l’éloge du quotidien. Après ça me renvoie à moi, mon travail sur ma féminité, user de l’humour et du recul pour répondre à la morosité et au machisme. La tonalité, la façon de poser les mots de cette époque m’a beaucoup inspirée. Ça me définit, je pense, plus comme une artiste expressionniste que naturaliste ou réaliste.

  • On n’en sait pas beaucoup sur ton passé, mais tu as dit une fois que tu avais fait du théâtre plus jeune. Ça te plairait un jour de remonter sur scène, ou comme Katerine, de tourner dans un film ?

Bah la justement il y a un film qui sort le 19 juin, Le choc du futur, réalisé par Marc Collin, mon producteur sur le premier album avec Alma Jodorowsky, Philippe Rebbot, Clara Luciani et moi, ma première apparition au cinéma ! Là, j’ai écrit des épisodes avec un réalisateur qui racontent mon album de façon fictionnelle. Ça va bientôt sortir.

  • Il parle de quoi le film du coup ?

Il parle de la première femme dans les années 70 à s’être servie des machines électroniques pour faire de la musique. C’est vraiment un hommage assez féministe à toutes ces femmes qui ont travaillé dans l’électro et dont on ne parle jamais. Évidemment c’est hyper indé, mais ça reste très beau et technique.

  • Dans la même interview cinéma tu parles de ton amour pour Mulholland Drive. Tu aimes particulièrement David Lynch ?

J’adore. Ce qui me parle beaucoup c’est l’étrangeté, quelque chose à la limite, entre le réel et le non réel. C’est quelque chose avec lequel j’aime jouer dans ma vie. Dans Mulholland Drive, y’a quelque chose d’étrange, de transgressif, d’excitant, de sensuel… Comme Lost Highway, faut les voir plusieurs fois, et c’est même pas dit qu’à la fin tu comprennes. Mais c’est fabuleux, ça te transporte, ça te maintient en haleine. Ça te fait réfléchir.


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Simon Milstayn

Fonctionnaire le jour et blogger la nuit, rarement loin du bar