[Interview] Cléa Vincent

3 février 2018. Ce soir-là, Cléa Vincent et ses tubes accrocheurs partageaient l’affiche de l’Intime Festival de Saint-Avertin, près de Tours, aux côtés d’Isaac Delusion et Dissident. Avant son concert vitaminé dans cette salle atypique, la Parisienne nous a reçus pour un entretien en toute sincérité. Parmi les sujets abordés : production musicale, choix du français, entourage et liberté.

crédit : Elodie Daguin
  • Bonjour Cléa Vincent, merci de me recevoir en interview au Nouvel Atrium de Saint-Avertin pour l’Intime Festival. Est-ce que tu as prévu une configuration particulière pour ce soir ? J’ai entendu parler d’un certain Rafalight.

Oui, on le droit à quelque chose de spécial. On aura le droit à la formule, disons réduite, de mon projet. Parce qu’habituellement, on est quatre sur scène. Ce soir on est deux. Je joue avec Rafalight, ce qui fait que je vais jouer les basses. D’habitude, c’est Baptiste qui les joue et puis il n’y aura pas tous les jolis synthés habituels, mais on entendra quand même très bien les chansons. Et puis ce sera assez groovy parce que quand il y a Rafalight, il y a le groove ! (rires)

  • Rafalight c’est quelqu’un qui t’accompagne depuis le début du projet ?

Ouais, Rafalight je l’ai rencontré en 2014 et assez rapidement on a joué ensemble et puis petit à petit il a en fait commencé à composer avec moi et puis il a réalisé mon deuxième EP. Le premier, c’était moi en grande partie. Il a réalisé aussi l’album. Et il y a des chansons que l’on a écrites ensemble. C’est marrant, progressivement, il est passé de juste batteur à co-auteur, compositeur et réalisateur. Et aujourd’hui, on fait vraiment tout main dans la main. Voilà c’est mon binôme et j’ai beaucoup de chance parce que c’est un métier quand même un peu difficile. Il faut être très disponible pour à la fois le public, la promo, les concerts… Il faut répéter, il faut écrire et tout. Et être deux, c’est quand même pas mal. Ça permet de diviser les tâches entre guillemets et rien ne me semble pénible dans mon métier d’artiste musicienne. Bien chouette de pouvoir être deux pour être encore plus forts.

  • Tu as quand même un système de production qui est assez particulier. Tu as notamment fait un crowdfunding pour ton album « Retiens Mon Désir ». Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi tu as choisi ce système ?

Alors, au départ, disons que ça ne me passionnait pas comme projet le crowdfunding. Et puis je me suis dit que j’avais quand même envie d’être producteur de ma musique, d’être libre. Donc j’ai monté ce système de précommande qui finalement n’est pas mal. J’ai vendu plein de disques avant qu’il soit même fabriqué. Et ça m’a permis d’avoir 12.000 euros pour payer des clips, les enregistrements et tout. Et ce qui est génial aussi, c’est qu’on a gagné de l’argent avec les ventes de disques et que là on a pile-poil assez d’argent pour produire le deuxième album. Donc, en plus, c’est une économie qui se régénère comme ça. Donc grosse bonne nouvelle. On va pouvoir être producteur aussi du deuxième sans faire un crowdfunding quoi. C’est un crowdfunding plus pour deux que pour un album.

  • Pour rappeler le principe, c’était sur Ulule. Les fans pouvaient apporter une certaine somme. En échange, ils avaient une contrepartie. Il y en avait des assez rigolotes comme des lettres manuscrites, un café avec toi… Est-ce que tu as eu des grosses sommes ? Des contreparties spéciales ?

Bon, le café, c’est plus une blague pour remettre les disques, et pour remercier, parce que quelqu’un qui met cent balles dans le projet, a priori, c’est qu’il croit vraiment en toi. Je trouve que le minimum c’est quand même de le rencontrer parce qu’il devient quasiment mécène. C’est pas du tout pour faire « bitch » :  ouais, un café avec moi, c’est cinq cent balles. Non, c’est vraiment pour dire merci. C’est la moindre des choses. En fait, ceux qui avaient le droit au café avaient surtout droit à un concert à domicile. Voilà, c’était plus pour la blague. Il y a eu 3-4 personnes qui ont mis des grosses sommes notamment un mec qui vit en Israël qui a mis 500 balles et qui n’a demandé aucune contrepartie donc j’ai halluciné. Voilà donc la planète… C’est fou, il y a des gens comme ça qui, juste par pure générosité, soutiennent des projets comme le mien. Et puis, j’ai fait quelques concerts à domicile qui étaient super sympas. Enfin bref, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir autant de participants, de pouvoir faire le disque dont je rêvais et là d’avoir encore aujourd’hui les sous pour faire un super mix, un super mastering.

  • Les bandes t’appartiennent. Tu as vraiment fait ce choix de l’autoproduction. Ça t’apporte quoi finalement, quel est l’avantage dans tout ça ?

Déjà j’ai un plus gros pourcentage sur la vente des disques. Concrètement ça passe de 7% à plus de 20%. Après ça ne représente pas des sommes énormes parce que comme tu sais, on ne vend pas beaucoup de disques, mais c’est toujours ça de pris. Et puis, ça me permet surtout d’être libre. C’est-à-dire que si demain, j’ai envie de signer en licence au Japon avec un label ou si j’ai juste envie que ma musique soit dans un film, je n’ai aucune autorisation à demander. Voilà, je peux faire ce que je veux avec mes morceaux sans jamais que personne ne me fasse chier.

  • Cette cagnotte qui a largement été dépassée te permet donc de produire un autre album. Est-ce qu’il est en cours de travail ?

Les morceaux dans leur version définitive vont être terminés fin février puis passeront au mixage et au mastering en mars donc je vais pouvoir sortir un morceau en mai, en clip. Et l’album entier à l’automne prochain. Il y aura eu deux ans entre le premier et le deuxième. Ce que je trouve bien à l’ère d’aujourd’hui. Il ne faut pas disparaître trop longtemps et puis même, j’ai envie de chanter des nouvelles choses. Ça fait dix ans quasiment que je tourne sur le même répertoire. Là ce ne sont que des nouvelles chansons, c’est un truc de malade, mais ça fout les chocottes par contre je te le cache pas.

crédit : Mathieu Genon
  • Ça fait dix ans que tu chantes le même répertoire comme tu dis… Mais tu faisais quoi avant la musique ?

Jusqu’à 23-24 ans, j’ai continué les études jusqu’au master d’économie et je faisais de la scène en parallèle. Et puis un jour, j’ai vraiment fait un choix définitif du métier que je voulais faire. Mais avant ça, j’avais envie d’un petit diplôme juste histoire de dire : « Voilà, c’est pas parce que je suis nulle scolairement, c’est un vrai choix la musique » !

  • Tu as un autre projet à côté, c’est Garçons, un trio. Est-ce que tu peux nous expliquer comment est né ce projet et comment tu le vis ?

Le projet Garçons est né aux Trois Baudets qui est une salle hyper importante historiquement pour la chanson française. Et Les Trois Baudets produisent chaque année un spectacle qui se joue un mois entier dans la salle au mois de juillet. Et donc, il y a une année où j’ai été choisie pour inventer une création. J’avais hyper envie qu’on soit trois chanteuses. Je trouvais ça classe : trois voix, l’émotion multipliée par trois. Donc j’ai appelé deux copines : Zaza Fournier et Luciole, à l’époque. On a monté ce spectacle et on a fait complet pratiquement sur toute la saison. Ça a cartonné. Et deux ans plus tard, on a monté Garçons, mais dans une version composée uniquement de nouveaux morceaux avec Zaza Fournier et Carmen Maria Vega. Et là, on a carrément signé chez un tourneur parce que le truc marchait trop fort. En fait, il y a vraiment un public pour les chansons de ces années-là : des années 50 aux années 70. Donc, malgré nous, le truc a marché super fort et d’un truc qu’on a monté plus pour le plaisir, c’est devenu un succès. Maintenant, j’ai mes deux projets à la fois donc il faut arriver à jauger entre les deux.

  • Tu parles des Trois Baudets qui est une salle importante pour la musique francophone. Selon toi, pourquoi chanter en français ? Qu’est-ce que ça apporte de plus ?

Quand j’ai commencé à écrire des chansons, j’avais une vingtaine d’années. J’avais besoin de m’exprimer davantage parce j’étais déjà musicienne, mais pas chanteuse. Et j’ai eu besoin d’exprimer des choses. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est venu en français. Je vais te dire pourquoi je composais en français : c’est simplement parce que je suis très nulle en anglais (rires). Je me suis un peu améliorée avec les voyages et les séries américaines, mais globalement, je n’aurais jamais pu exprimer mes émotions dans une langue qui n’est pas la mienne. Donc il n’y avait ni choix esthétique ni calcul. C’est vraiment venu comme ça.

  • Toujours dans le thème des musiques francophones, il y a France Gall qui a disparu récemment. Il me semble qu’elle t’a beaucoup inspiré. Jusqu’à quel point ? Comment peut-on reconnaître la patte de France Gall dans ta musique ?

Je vais donner un exemple concret et c’est totalement inconscient, mais j’ai écrit une chanson qui s’appelle « Samba ». Et bien France Gall elle a une chanson qui s’appelle « Samba Mambo ». Et quand tu écoutes les deux, que tu compares les deux, tu entends tout de suite qu’il y a une ressemblance alors que j’ai pas du tout cherché à copier. Mais, de fait, il y a des fois où j’ai des mélodies à mon avis qui sont fortement inspirées de Michel Berger. Et ça, c’est parce que je l’ai beaucoup écouté. Ce sont des mélodies qui me font vibrer donc je réutilise peut-être les mêmes chemins en essayant quand même de m’en détacher. Comparez « Samba Mambo » et « Samba », la chanson que j’ai écrite, vous comprendrez.

  • « Samba », on la retrouve sur « Tropi-Cléa », ton dernier EP de 5 titres. C’est sorti l’année dernière pour Le Printemps de Bourges. Est-ce que tu arrives à rejouer la configuration particulière de ce disque sur scène ?

Le concept de ce disque, c’est que c’était enregistré en version live. C’est-à-dire que les musiciens avec qui je joue depuis des années, je voulais que ce soit eux sur le disque et qu’on soit ensemble. Donc on a fait en même temps batterie, basse, claviers, voix. Ce qui fait qu’il y a quelque chose de très naturel. J’aimais bien, j’avais envie que les chansons soient comme ça et puis fortement inspirées de la musique brésilienne.

  • Au début de cet EP il y a un morceau qui s’appelle Neuilly. C’est une ville qui t’évoque quelque chose de particulier ?

C’est la ville où j’ai grandi. Je suis arrivée à Neuilly en 6e donc toute mon adolescence, mes premiers amours, beaucoup de belles histoires se sont déroulées dans cette ville. Ça m’a inspiré des chansons d’ailleurs : « Neuilly », « Méchant Loup », « Baie de Mes Rêves »…

Interview réalisée en collaboration avec Radio Campus Tours.


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Yann Puron

Découvreur musical avide d'émotions fortes aussi bien sur disques qu'en concerts