[Live] Circuit des Yeux à l’Espace B

On avait quitté Circuit des Yeux fin 2016 à la Gaité Lyrique avec Julia Holter au cours d’une prestation renversante, une claque inattendue qui nous avait laissés groggy avant même le show de sa partenaire californienne. Entre-temps, Haley Fohr (de son vrai prénom) a éclairé 2017 avec « Reaching For Indigo », mini album riche d’explorations autant instrumentales que vocales qui l’emmène bien au-delà de ses débuts plus country. Sans hésitation aucune, on s’est donc rendu à l’Espace B où l’Américaine est revenue se produire.

crédit : Laurence Buisson

Dès son arrivée avec son groupe sur scène, on sent que l’ambiance sera particulière. Spots éteints, on distingue juste quelques silhouettes, mais les visages restent cloîtrés dans l’ombre. Cette volonté de rester dans le secret est plutôt propre à l’artiste, puisque faute d’obscurité à la Gaîté Lyrique, elle s’était réfugiée derrière sa longue chevelure coulante et n’avait même pas glissé un regard vers le public. Sur les premières notes de l’orgue de « Brainshift », celle qui réside désormais à Chicago se lance sur un air grave reconnaissable entre mille (qu’un spectateur tente brièvement d’imiter au point de provoquer une hilarité générale) tandis que des projections psychédéliques apparaissent sur le mur dans son dos, en guise de luminosité. Circuit des Yeux est ainsi un moment qui se vie et s’entend plus qu’il ne se voit. Inutile de dégainer les smartphones toutes les deux minutes, ou de solliciter un photographe, le visage et les traits de la musicienne restant imperceptibles, puisque seule son ombre plane, grande et inquiétante au fond de la scène. À ses côtés, deux musiciens à la batterie et à la contrebasse viennent compléter les productions folk expérimentales qu’elle mène à la guitare. Les arrangements de scène aux couleurs post-rock tantôt puissantes tantôt intimistes entre cordes sèches et électriques font ainsi parfaitement écho à son chant dramatique.

Nous sommes alors tout ouïe pour apprécier sa voix changeante et riche en nuances, à la fois grave, lyrique, profonde et vibrante, qui donne la chair de poule et cloue au sol un public bouche bée. C’est une performance au sens strict du terme qui est livrée au cours de cette heure intense, avec ces montagnes russes vocales en quête de sommets de notes dont nous habituent plutôt les opéras de la capitale. On note ainsi la prestation presque hallucinante de « Philo » dont le vibrato hanté témoigne d’une certaine technicité dans le chant. Un peu plus tard, ce sont les vocalises mutantes de « Paper Bag » qui captent l’attention, sur une setlist qui respecte piste par piste le déroulé de son album. Pas de vraie surprise au cours du concert donc, mais Circuit des Yeux a le mérite de décupler la force et l’intensité du rendu studio sur scène, à la hauteur des performances proposées pour ses albums précédents. On reste ainsi émerveillé à l’écoute de ces textes autobiographiques clamés la rage au ventre, avec une sincérité glaçante, témoignant notamment d’expériences douloureuses dans sa ville de Chicago.

Son disque entièrement interprété, Haley Fohr reste quelques minutes de plus après un rappel insistant et imprévu. Puis, elle s’esquive furtivement sans mot dire, escortée par son groupe, comme une ombre fuyante impossible à saisir. Mais sa voix elle, va continuer à nous hanter jusqu’au bout de la nuit.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens