Les Black Lips chantent… dans un monde qui s’écroule. C’est le titre (faussement innocent) du nouveau long format des turbulents énergumènes originaires des banlieues pavillonnaires d’Atlanta, Géorgie. Et quel titre ! Prémonition, simple constat, ou méthode do it yourself pour s’équiper d’une paire d’œillères confortable et se rendre imperméable au bordel ambiant (qui devient de plus en plus difficile à occulter, soit dit en passant) ? Qu’importe ! Nous gravissons ce soir la colline de Ménilmontant pour un shot de pur hédonisme imbécile et adolescent, sur fond de guitare à l’accordage approximatif et de refrains hymniques et imparables.
La Maroquinerie et les Black Lips sont faits pour s’entendre. Le lieu est assez grand, mais permet tout de même une quasi-intimité avec les artistes sur scène. La musique de cette formation, particulièrement en live, est une musique qui se vit. Ce que confirmait bien volontiers Cole Alexander, un des chanteurs, dans cette interview avec Konbini de 2017. Pour l’heure, la foule est clairsemée. Le groupe d’ouverture, Film Noir, s’installe sur scène, sa bannière hissée bien haut derrière la batterie. Tambours de guerre, ligne de basse coup de poing, guitare minimaliste, mais effilée comme une lame de rasoir, harmonies vocales assurées. Le quintette a tout pour plaire. Combo gagnant, il est emmené par une jeune femme au caractère bien trempé, lookée comme une stripteaseuse de bar de routier (tout de cuir et bas-résille donc) qui piétine les retours de ses talons comme elle piétinerait la tronche d’un poivrot un peu trop entreprenant. On déplorera une voix lead pas assez mise en avant. Bien dommage, car le groupe chante en français, ce qui, compte tenu de la relation de haine-amour du Gaulois moyen avec sa langue natale dans le contexte musical, est plutôt couillu. Affaire à suivre donc. Les nouveaux Rita Mitsouko sont peut-être en gestation.
Heureux hasard, nous croiserons le guitariste près de la fontaine de Jouvence de la tireuse à bière quelques minutes plus tard. Il nous racontera que les Black Lips, s’étant amourachés de leur projet, les prirent sous leur aile. C’est comme ça que Film Noir enregistre son EP à Los Angeles dans le même studio que les Américains, et que l’ami Cole Alexander joue des six cordes sur le dit EP. Elle est pas belle la vie ?! Rien de surprenant cela étant dit. Plus tôt dans la journée, Cole et Jared nous témoignaient leur amour pour le français et en particulier les artistes chantant le rock (et disciplines assimilées) dans la langue de Molière. Jacques Dutronc (dont ils firent une reprise) fut mentionné. L’interview arrive, gardez un œil sur indiemusic.
Les Film Noir quittent la scène en remerciant les têtes d’affiche et le public. La salle s’est remplie progressivement et il devient plus difficile de circuler. Deux options s’offrent à nous : maintenir le gobelet de bière au niveau de la taille et le protéger tant bien que mal, mais risquer d’en renverser sur les chaussures des spectateurs, ou alors au-dessus des têtes et risquer d’en renverser dans leurs cheveux… choix cornélien. L’objectif final étant d’éviter l’escarmouche alcoolisée. Mais revenons à nos moutons.
Les invités d’honneur investissent la scène sous une ovation unanime. Un « We’re the Black Lips » laconique retenti, un gros power chord plein d’une fuzz nasillarde le rejoint. Nous voilà embarqués dans une sale affaire ! « Familly Tree », saxophone épileptique, riff entêtant sur les cordes graves et chromatismes Motown. Les kids aux pieds de la scène la connaissent par cœur. Quand Cole hurle comme un jeune chien fou juste avant le refrain, « All right yeah ». Ils se déchainent comme des zombies sous cocaïne attirés par l’odeur de la chair fraîche. Les premiers slameurs montent sur le bord de la scène et s’offrent une petite glissade sur la marée humaine. Avec plus ou moins de succès. Voir un corps disparaitre entre les bras levés comme avalé par le public est une vision comique qui vaut le détour.
Jared, bassiste de son état, est looké en rock’n’roller sauvage, tout droit sorti des 50’s. T-shirt blanc séré avec les manches (déjà bien courte) retroussées, banane impeccable que n’aurait pas reniée le king, jean noir et gros ceinturon. Cole, quant à lui, arbore une magnifique coupe mulet, à mi-chemin entre Mel Gibson dans l’Arme Fatale et le couvre-chef d’un trappeur canadien. Un poncho ultra large aux motifs hippies et le pantalon assorti. La Airline blanche légendaire qu’il manipule apporte la touche finale.
On ralentit avec « Dirty Hands », bluette insouciante parfum Flower Punk, tirée de leur album « Let It Bloom » et rappelant quelques titres des Clash première période. Occasion rêvée pour se laisser chalouper en rythme et allumer son briquet son smartphone. Les Lèvres noires sont habiles avec leur setlist et alternent chansons enlevées et plus calmes. « Modern Art », entêtante, avec sa mélodie de guitare répétitive qui vous maltraite méticuleusement les tympans, son carillon et ses chœurs sophistiqués. Elle voit la salle prendre un degré de plus dans la folie. Les gobelets de bière fendent l’air (vicié), les slameurs exaltés se jetant dans la foule prennent des airs de produits manufacturés sur une ligne d’assemblage. Sur scène, Cole exécute un de ses tours favoris : cracher en l’air et rattraper sa propre salive. Nous saluons la dextérité d’une moue approbatrice.
Une réflexion sociologique digne des grands penseurs de ce monde nous frappe alors. Après tout, venir à un concert des Black Lips c’est un peu deux heures de sport pour ceux qui n’adhèrent pas à la culture fitness. La démence en plus et les miroirs en moins.
Les Américains enchainent avec l’expiatoire « Can’t Hold On », Cole hurle d’une voix cathartique soutenue par la phrase de guitare à l’urgence poignante.
Ils n’oublient bien sûr pas la légendaire « Katrina », chanson personnifiant et prenant à partie l’ouragan Katrina, qui dévasta La Nouvelle-Orléans en 2005. Sa mélodie, à vociférer en cœur, a tout du chant de supporter. Donc vous reste collée dans la tête dès la première écoute. Sur ce morceau, les cinq musiciens se transforment en petite chorale rock’n’roll, avec voix cartoonesque à la South Park et dents noircies comme des sales gosses après une bagarre de cour de récré. Il n’est pas dans le music business de si grands princes du n’importe quoi et du bizarre que les Black Lips.
La fin du show arrivant, les musiciens saluent leur public et prennent congé. Après un court instant, Zumi Rosow (saxophoniste et chanteuse) revient avec Jeff Clarke à la guitare acoustique. Le duo interprète « Crystal Night », balade goguenarde qui détourne les clichés de la ritournelle romantique 50’s.
Le reste du groupe les rejoint pour retourner le couteau dans la plaie, avec le fameux « Hippie Hippie Hourrah » de Dutronc. Un deuxième passage sur « Katrina » pour faire bonne mesure. Puis le coup de grâce avec « Bow Down and Die », gospel écorché vif qui donne envie de pleurer dans sa bière, faire des câlins à tout le monde en leur souhaitant le meilleur pour la suite, et tout plaquer pour faire la manche avec des tubes à quatre accords sur les routes d’Amérique du Sud. Rien que ça !
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