Parfois un nom de groupe a cette faculté à suggérer par lui-même sa propre histoire, sa propre fantasmagorie. C’est évidemment le cas des Parisiens de Baron Crâne. Inspiration vaudou ? Obsession mortifère ? Piraterie sauvage ? Rien de tout ça, et pourtant à travers son chemin instrumental sinueux, Baron Crâne suscite nos imaginaires en nous plongeant dans son psychédélisme rock foisonnant et flamboyant. Le power trio, organisé autour de Léo Pinon-Chaby à la guitare, Léo Goizet à la batterie et Olivier Pain à la basse, cultive l’art de l’escalade musicale périlleuse, la science des alternances climatiques, entre immersions cinématiques et explosions électriques combatives. Il y a du rock progressif, du heavy metal, de la noise, du stoner, du jazz qui irrigue ce territoire d’expression héroïque où selon les sensibilités, certains entendront des points d’accroches disparates et éclatés : Santana, King Crimson, Them Crooked Vultures, Led Zeppelin, Pink Floyd, Nomeansno, Queens of the Stone Age, All Them Witches, Return to Forever, Thee Oh Sees, Black Sabbath, King Gizzard & the Lizard Wizard… Et pourtant la quête de Baron Crâne ne semble pas être celle d’une nostalgie et encore moins, celle d’une admiration béate pour les grands anciens. Le groupe est assurément attiré par les vertus libératrices du développement à travers des formats longs assumés et pleins : développer une idée, développer un paysage, un dialogue entre instruments, une jam… pour atteindre ces sensations de plénitude et d’accomplissement que procure le rock dans ses versants les plus intenses et physiques. Bien que sorti en 2020 dans cette fameuse période, qui a invisibilisé tant d’œuvres et de disques indépendants et autoproduits, leur album « Commotions » ressort en version vinyle, en collaboration étroite avec le label Mrs Red Sound, fondé par le groupe Mars Red Sky. À cette occasion, indiemusic ouvre les portes d’un numéro d’Entourage foncièrement passionné et curieux formulé par ce groupe atypique et attachant.
I.N.C.H
C’est un incroyable MC et beatmaker qui collabore avec énormément d’artistes (Oxmo Puccino, Hugo TSR, Infamous Mobb, Seth Gueko, Le Gouffre…). Il a un univers sonore qu’on adore, très marqué, dense et sombre. Il puise son inspiration dans tous les styles de musique et ça se ressent dans la richesse de ses compositions. Accessoirement c’est un ami, un excellent batteur avec qui Léo (guitariste) a beaucoup joué par le passé. On a écrit un morceau pour qu’il vienne poser quelques couplets sur notre dernier album « Commotions ». Évidemment, c’était un traquenard empli de mesures asymétriques, mais il a relevé le défi avec brio et ça a donné « On rase les murs », morceau dont on est très fiers.
Guillaume Perret
Nous avons la chance de travailler avec ce saxophoniste sur un titre de notre prochain album qui sortira en octobre 2021. Nous avons découvert Guillaume en 2012 avec la formation Electric Epic, curieux d’entendre le travail de ce français produit par John Zorn (Tzadik). Claque immédiate et l’envie d’en entendre plus, chose faite lors du Jazz à la Villette de la même année… Re-claque, c’est sauvage, magnifique, et unique. Les sons et les compositions transportent directement dans les meilleurs univers de science-fiction et suscitent par la musique uniquement une très grande amplitude d’émotions. Tout le reste de son travail est somptueux et à découvrir. La session de préproduction avec lui a été très agréable et stimulante, c’est la première fois que nous travaillons avec un autre instrumentiste, et on a très hâte de concrétiser cette collaboration.
Dub Trio
Nous avons fait la première partie de ce groupe américain unique qui mélange punk et dub, gros plaisir à écouter. Ils sont totalement passionnés par le son et le livrent avec beaucoup de singularité et de talent. Nous étions tous déjà très imprégnés par leur travail et ne pouvions nier les accointances avec ce trio instrumental. Rencontrer ces musiciens dans les loges, discuter avec eux et partager la scène restera une expérience mémorable pour nous tous (merci Ben Crumble).
Zarboth
On répète dans le même studio qu’eux, au Ventre de la Baleine à Pantin et on a beaucoup d’admiration pour leur travail. Ça fait partie des gens qui nous ont envoyé beaucoup de précieuses bonnes ondes lorsqu’on a démarré l’aventure et qui nous ont donné envie de creuser notre singularité. On a fait pas mal de dates ensemble, c’est un trio fou furieux, porté par trois musiciens incroyables (Étienne Gaillochet, Macdara Smith et Phil Reptil), extrêmement libres et inventifs. Sur scène, c’est une expérience unique ; ils explorent le rap, le slam, le chant polyphonique, le metal, le jazz, le rock, le stand-up ou même la danse sans jamais perdre le public. Vivement qu’on puisse reprendre la route ensemble.
PoiL
Nous avons rencontré ce trio au cours d’un co-plateau nantais avec PinioL, fusion des groupes PoiL et Ni. Et dire que leur folie est contagieuse serait la moindre des choses ! S’en est suivi la découverte de leurs albums ensemble, et dans leurs projets distincts. L’écriture des morceaux, la puissance dans le son, la liberté et la précision dans la composition, la fougue et l’élan dans le jeu et l’interprétation, tout ce souffle créatif est très inspirant pour nous. Cet univers musical semble venir d’un autre monde, avec même l’invention d’une langue pour le chant, mais garde aussi un lien évident avec des musiques plus « cadrées » comme le math rock et le post rock. Une vraie claque instrumentale et une source d’inspiration vers d’autres horizons.
« Commotions » est un album exigeant et excessif, qui demande une vraie disponibilité d’écoute et d’attention, mais garantissant un plaisir total et sans artifice. En effet, rien n’est jamais sûr ou acquis ; avec Baron Crâne, l’apaisement peut ainsi laisser place aussi rapidement qu’il est venu à la tension, l’ordre au chaos… organisé. Chez eux, le groove, symbolisé par la complicité basse batterie, est vicieux et conflictuel. Quant à la guitare, elle n’a jamais le dernier mot, même lorsqu’elle monte sur ses grands chevaux. Le point d’équilibre du trio est ainsi particulièrement mouvant, il se déplace en permanence, en fonction des prises de pouvoir du moment, des interactions, des appels et des provocations réciproques. Et pourtant, cette relation singulière, ce jeu de questions-réponses en trident s’ouvre sur certains titres à la voix d’invités étonnants comme Arthur Brossard, en pleine montée seventies sur « Acid Rains » ou encore le rappeur beatmaker I.N.C.H (présent dans ce numéro d’Entourage), qui réveille les pulsions punk des Parisiens sur l’abrasif « On rase les murs ». Un morceau assumé et différent qui nous transporte dans les grandes heures frondeuses du rock fusion français des années 90, dont Lofofora semble être le dernier survivant, le tout sans rompre cette emprise esthétique et cathartique phénoménale. La liberté est le moteur de ce LP massif, rayonnant, incandescent et ambitieux, qui attend d’ailleurs déjà un petit frère (ou un grand frère, tout est une question de point de vue) pour l’automne prochain.
« Commotions » de Baron Crâne est disponible ce samedi 12 juin 2021 en vinyle pour le Disquaire Day chez les disquaires indépendants.
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