Depuis sa création, le duo suisse Bandit Voyage cultive une forme de liberté artistique décisive et salutaire qui lui a permis de toujours devancer l’emballement médiatique, le cyclone de la hype et les projections excessives de la reconnaissance critique. Le groupe suit en effet en permanence son instinct créatif, nourri de pop culture, de contre-cultures et d’esprit DIY, pour tracer son chemin en toute autonomie et indépendance. Alors que les radars de l’industrie musicale pouvaient voir (non sans raison) en Anissa Cadelli et Robin Girod les nouveaux Rita Mitsouko, les deux complices se retrouvent aujourd’hui à revisiter l’esprit libertaire, cosmopolite et arty du New-York de la fin des années 70 et du début des années 80, que captura notamment le cultissime label ZE Records. Preuve par le son et par l’image avec « Love Nowhere », à découvrir en exclusivité sur indiemusic, quelques heures avant sa sortie officielle.
Pas vraiment la peine de retracer en long et en large la biographie de Bandit Voyage, seulement quelques pistes dans le désordre suffisent pour planter le décor : ont croisé sur leur route le sorcier du dub iconique Lee Scratch Perry (malheureusement disparu), ont ouvert pour Catherine Ringer sur sa tournée récente en Suisse, ont sorti un album, le 2e sur le label Enterprise (Fishbach, Voyou, Grand Blanc…).
Nous imaginons mal Madame Ringer d’ailleurs, inviter le duo comme une sorte d’ersatz 2.0 de son propre groupe mythique. Il y a fort à parier que cette figure du rock (en) français a pu se retrouver par effet de miroir dans la détermination, l’engagement, la malice, la musicalité, l’intensité expressive d’Anissa. Autant de qualités et de vertus que nous retrouvons dans « Love Nowhere ». La musicienne et chanteuse impose une nouvelle fois, ce magnétisme insolent qui traverse de long en large ce clip référencé et cinématique, à travers une présence physique intense et terriblement incarnée. Loin du simple exercice de style, Bandit Voyage invoque cette fois, les digressions hybrides et musicales ayant émergé du foisonnement arty du New York 80’s. Dans les boîtes, les clubs, les caves, les ateliers… comme dans les sillons des vinyles, émergeaient de nouvelles voies irriguées de punk, de funk, de noise, de disco, de hip-hop, de dub et de musiques électroniques. Une nébuleuse où rayonnaient des entités aussi emblématiques et influentes (encore aujourd’hui) que Suicide, Talking Heads – la voix de David Byrne est samplée dans le morceau -, ESG… mais aussi plus confidentielles comme Material, Teenage Jesus and the Jerks, Lizzy Mercier Descloux, Rammellzee, Gray, James Chance and the Contortions. C’est d’ailleurs ce combo du musicien James Chance, qui arrive très vite à l’esprit à l’écoute de « Love Nowhere» : rythmique saccadée, groove vicieux et pénétrant, saxophone actif et vibrant… L’instrument à vent est ici attribué au saxophoniste Léon Phal, jeune musicien franco-suisse, figure de la nouvelle scène jazz européenne. Nouvelle preuve que le saxophone, malheureusement trop souvent associé à la guimauve musicale du jazz lounge, est toujours l’un des vecteurs remarquables de la grande histoire des musiques populaires du 20e siècle (Fela Kuti, John Coltrane, Morphine…). Encore une histoire de rencontre et de connexion, qui est vraisemblablement un inducteur inhérent de la créativité de Bandit Voyage. Elle se révèle à nouveau dans le bordel organisé de son instrumentarium iconoclaste et non conventionnel, où se croisent boîtes à rythmes analogiques, guitare, mandoline, basse, batterie, samplers, synthétiseurs, contrôleurs midi… et donc saxophone.
Comme nous l’avions souligné pour la chronique du clip « Attendons demain », les œuvres des grands cinéastes, en particulier ceux de la Nouvelle Vague française, s’immiscent dans l’univers visuel et l’imaginaire des Suisses : Louis Malle, Jean Eustache, John Cassavetes, Alfred Hitchcock… L’image en noir et blanc des différentes scènes du clip, marquée par une teinte vraiment appuyée, pleine de références et d’allusions cinématographiques, active une temporalité parallèle, quelque part entre les années 60, 80 et le temps présent. Elle permet à Bandit Voyage de garder intact son espace de jeu, sans tomber dans une surenchère esthétique de mauvais goût. Forcément, la voix d’Anissa reste toujours ce marqueur indélébile de la musique de Bandit Voyage. Elle imprime ce souffle narratif et poétique urgent et incisif. La jeune artiste réussit une nouvelle fois, ce tour de force de pousser cette forme de maniérisme vocale très actif, pour faire sonner la langue française de manière très rock, là où bon nombre de groupes se confondent entre suffisance, démonstration et égocentrisme. L’air de rien, « Love Nowhere » s’affirme ainsi comme une pure incantation punk funk bruitiste aussi irrésistible que déroutante, parfait teaser sonore et visuel pour le très attendu album « Was Ist Das ».
« Was Ist Das » de Bandit Voyage, sortie prévue le 29 septembre 2023 chez Cheptel Records.
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