[Clip] Bandit Voyage – Attendons demain

Déjà auteur d’un album de pop bricolé et lo-fi, délicieusement foutraque et foncièrement libre, en 2018, le duo suisse Bandit Voyage revient en pleine forme sur le label parisien Entreprise, pour un nouveau single excessif et inventif, délicieusement clippé dans une vidéo imaginative et référencée. Comme aiment à le signifier Anissa Cadelli et Robin Girod, « Bandit Voyage cultive l’art de ne pas savoir, mais de faire ou de trop savoir et de faire quand même ». Une belle manière de s’émanciper des convenances habituelles du rock et de la pop, en assumant des partis-pris esthétiques décomplexés, clivants et joueurs. Le tout dans un esprit bricolé qui pourrait aussi bien rappeler des noms emblématiques de l’esprit DIY américain, tels Beat Happening ou Moldy Peaches, et plus près de nous, la scène arty punk, fin des années 70 début 80 en France, identifiée sous l’appellation générique des Jeunes Gens Modernes.

Certains groupes, justement, de la mouvance des Jeunes Gens Modernes reprenaient à leur compte les principes et l’imaginaire de la Nouvelle Vague. D’une certaine manière, le clip « Attendons demain » de Bandit Voyage s’inscrit certainement dans cet héritage lointain, qui a bien sûr transcendé les frontières artistiques, les époques et les frontières tout court. Le grain de l’image n’est certainement pas innocent, il induit par sa tonalité pastelle, son côté délavé, un autre rapport au temps, une sensualité de la lumière et des couleurs. Les plans donnent l’impression d’avoir été capturés dans l’instant, presque volés, débarrassés des contraintes de la technique, pour rechercher une autre vérité. Enfin de nombreux ingrédients narratifs semblent réunis pour appuyer l’hypothèse d’une influence cinématographique si référencée :  la symbolique du couple absolu et impossible, l’atmosphère estivale et insouciante des vacances, le mythe de l’adolescence éternelle… Pourtant Bandit Voyage semble jouer avec les propres codes de la pop culture comme pour mieux les déconstruire, les détourner, les dérouter, les faire siens. En ramenant par exemple dans le final le contexte dans un réel nettement moins glamour, dans cet appart tout ce qu’il y a de plus banal, véritable archétype de l’intérieur du musicien alternatif : bordélique et cheap. Bandit Voyage façonne ainsi en quelques minutes, son propre storytelling à la frontière de la fiction et de la réalité, comme des duos emblématiques de la culture rock de ces dernières années l’ont fait avant lui, en jouant consciemment ou inconsciemment sur l’image supposé d’un couple supposé : The Kills, The White Stripes. De son côté, à travers son expressivité vocale (à la limite du maniérisme), sa manière très rock de faire sonner la langue française, sa posture physique très habitée, Anissa Cadelli rappelle à l’évidence dans ce clip des personnalités femmes aussi fortes que celles d’Elli Medeiros ou de Catherine Ringer, elles-mêmes figures de duos mythiques s’il en est.

Ainsi même si son alter ego masculin, Robin Girod est évidemment présent et actif dans ce clip malin et subtil, de fait, il s’efface visuellement au profit de sa partenaire, sans être totalement en retrait. Une manière peut-être de casser le cliché fantasmé du musicien et de sa muse, honni par les sphères indépendantes du punk et du lo-fi, dont semblent issus nos deux jeunes musiciens (Robin Girod a notamment créé le micro label indépendant Cheptel Records). De fait, la complicité et l’équilibre semblent être de véritables forces dans ce tandem singulier et arty. Avec ce premier single, au minimalisme acoustique souvent proche de l’épure, au romantisme excessif et obsessionnel, souvent proche de la rupture (sonore on s’entend), Bandit Voyage interroge déjà nos représentations, nos certitudes sur le bon goût, sur les moteurs de la musique indépendante, et nous invite surtout et fatalement à prendre parti pour sa musique, car de toute façon, avec un tel aplomb, il est fort à parier qu’avec eux c’est à prendre ou à laisser.

crédit : Valerian7000

Le prochain EP de Bandit Voyage sortira fin mai prochain chez Entreprise.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.