Renouvelant sa collaboration avec le producteur et musicien John Parish (PJ Harvey, Sparklehorse), la muse néo-zélandaise Aldous Harding nous livre à travers son troisième album, « Designer », une collection de neuf titres aussi mystérieuse et sombre que délicate.
C’est dans un tunnel de draps soyeux roses, ressemblant étrangement aux méandres de L’Origine du monde que s’ouvraient en février dernier les images de « The Barrel », premier extrait de ce nouvel album sorti deux ans après le mystique « Party ». On y découvrait la grande femme, drôlement vêtue, perchée sur des bottines compensées, jambes et bras écartés, se dandinant de façon plutôt ridicule. L’effet était pourtant là, scotchés à l’écran, on ne pouvait objectivement point décrocher le spectacle des yeux. À en juger par nos froncements de sourcils, Aldous Harding nous intriguait à nouveau.
Pour nous plonger dans le monde de l’étrange Aldous, l’opus s’ouvre sur un titre qui nous avait été également présenté en images : « Fixture Picture » alliait grands chapeaux, costumes sophistiqués et pas de danse douteux. Soit l’impression d’être dans un mauvais rêve ou d’ouvrir un livre de Camus : ici tout semble absurde et lourd de sens à la fois, on ne peut pas s’empêcher d’être un peu gênés et pourtant conquis. La mélodie, appuyée par la guitare acoustique et la basse, est résolument pop et l’air de cette chanson sera probablement celui dont on se souviendra le plus. « Fixture picture… I’ve got it, I’m on it, You’re in it, I’m honored… Fixture picture… I’ve got it, I’m on it, You’re in it, I’m honored… »
S’ensuit le titre éponyme de l’opus « Designer » ; un air dansant et léger qui nous démontre que la pensée de sa créatrice est bien complexe et qu’il sera difficile pour nous de bien saisir où elle veut nous emmener. Les chansons défilent et nous transportent : « It’s the greatest show on earth you shall receive. It’s the greatest show on earth you shall receive… What am I doing in Dubai? ».
Ainsi, à l’écoute de ce troisième album, Aldous Harding nous donne la ferme impression d’avoir pris plusieurs longueurs d’avance sur la concurrence, évoluant dans un monde folk au registre vu et revu. Elle, nous confronte incontestablement à une œuvre étonnante et singulière. Les sonorités sont fidèles au style, mais étonnamment novatrices, dans l’écriture, dans l’arrangement, sans parler des multiples visuels en présence. Guitares acoustiques, pianos et voix dominent l’ensemble, le style est épuré et va droit à l’essentiel sans même s’encombrer de fioritures sonores.
Avec son acolyte Parish, les deux talents parviennent même à nous surprendre, installant une clarinette par-ci, des double-voix louches par-là, tandis que la chanteuse joue avec aisance sur les timbres et tessitures. Aldous Harding dépeint un paysage qui n’appartient à son imaginaire, à sa psyché intérieure, ornementée de textes torturés, relativement cryptiques, dont elle seule détient le mystère ; ce dont elle faisait encore récemment part cette année à NPR : « On attend de nous d’avoir la capacité de nous justifier, de porter partout avec nous un petit sac plein de sens, mais je n’ai pas nécessairement ça en moi ». Une bonne occasion nous est donnée de pratiquer le lâcher-prise et d’accepter que parfois tout n’ait pas nécessairement de sens tant que la poésie reste au rendez-vous. Définitivement, « Designer » bercera beaucoup de nos nuits futures.
« Designer » de Aldous Harding est disponible depuis le 26 avril 2019 chez 4AD.
Elle sera en concert le 25 mai à La Maroquinerie et le 12 novembre à La Cigale.
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