[LP] Forest Swords – Compassion

Disque du tourment et des ténèbres, le nouvel album de Forest Swords n’en oublie pas pour autant de fournir aux amateurs de sensations fortes l’atmosphère idéale à leurs fantasmes les plus enfouis, quelque part entre le malaise et la révélation. Un disque presque religieux, aussi bien dans ses samples que dans ses intentions, tant il attire vers lui une foi inébranlable en l’humain et ses ambiguïtés profondes.

Rapidement qualifié de producteur à suivre dès son premier EP, « Dagger Paths », en 2010, le compositeur anglais Matthew Barnes a pourtant pris son temps pour livrer des œuvres aussi différentes les unes que les autres ; trois au total, en comptant ce nouvel album et sans évoquer ses multiples collaborations. Une célébrité et une référence qu’il n’aura pas volées, tant ses créations se démarquent de toute autre sphère musicale connue, allant là où peu ont osé s’aventurer par crainte d’y perdre leur santé mentale (à part, peut-être, Matt Elliott à l’époque de The Third Eye Foundation). Revenant sur le devant de la scène avec « Compassion », celui que l’on connaît mieux sous le patronyme de Forest Swords semble obsédé, voire possédé par des esprits frappeurs et surgissant de nulle part, sinon d’une psyché obsessionnelle et agitée, lieu de troubles et de malédictions malingres et pesantes. Un opus fantomatique, dérangeant mais pourtant rapidement addictif, car s’accrochant aux parois fragiles de nos pensées à grands coups de griffes et avec la douceur froide d’une lame prête à nous transpercer.

Les nouvelles pistes de Forest Swords retiennent l’attention au même niveau que la grisaille de nos esprits ; elles fouillent, creusent dans nos cerveaux paralysés pour y insérer une électro glaciaire, reflétant cependant une beauté intérieure que l’on prédit, mais sur laquelle il est impossible de poser des adjectifs afin de la qualifier. Du progressif et transperçant « War It » aux chœurs découpés aux ciseaux de « The Highest Flood » et « Exalter », Barnes dépouille ses mélodies, n’en conservant que la colonne vertébrale sur laquelle il colle des bribes de chair et de peau, donnant vie à sa propre créature fantasmée et fantastique. Entre illusion et prestidigitation, les faux-semblants rassurants de « Border Margin Barrier », aux nappes saturées et étirées, ou encore la simplicité spectrale de « Sjurvival » n’en finissent plus de jouer avec nos nerfs, de nous mettre face aux reflets les plus obscurs de nos personnalités. Et, même au travers d’instants plus légers et apaisés (« Arms Out », « Raw Language »), Forest Swords frôle, du bout de ses doigts gelés, nos épidermes, y laissant une brûlure qui ne cicatrisera certainement jamais malgré l’appel suppliant et désespéré lancé à des cieux qui ne répondront pas (« Knife Edge »).

Éloge de la lenteur autant que de la peur intime de voir nos membres ne plus répondre à nos commandements, disque marquant et pluvieux, « Compassion » est l’exutoire parfait à nos nuits cauchemardesques, aux songes grattant nos cellules endocriniennes et dont on se réveille en sueur, assoiffé et perdu. L’album va sûrement en dérouter plus d’un, et c’est exactement pour cette raison qu’il ne faut surtout pas passer à côté ; tant de prises de risque et d’implication dans le processus de composition ne peuvent que fédérer, voire inviter les plus dubitatifs à cheminer dans ce labyrinthe à peine éclairé, à l’issue fatale car indélébile dans nos âmes radicalement éprouvées. Complexe, habité et d’une justesse aussi rare que brumeuse, cette nouvelle offrande est un coup de génie, porté derrière la nuque pour nous faire sombrer dans l’inconscience, seul lieu propice aux effets secondaires de ces titres sauvages et enfumés.

« Compassion » de Forest Swords est disponible depuis le 5 mai 2017 chez Ninja Tune.


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Raphaël Duprez

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