Rencontre avec Viktor Coup?K

Avant de le retrouver samedi, sur la scène de La Dame de Canton, dans le cadre du Festival Aurores Montréal, nous avons rencontré Viktor Coup?K. Une heure trente d’un après-midi pluvieux, à parler écriture, rébellion, résidence « Mains d’œuvre » avec le plus rockeur des rappeurs.

Viktor Coupk

  • Coup?K c’est quoi ce « ? » ?

C’est quoi ce bordel ? J’ai toujours eu ce truc du tag, tu écris souvent ton truc avec des étoiles, des lunes, des machins et je me suis toujours habitué à signer « ? ». Au départ c’était un délire autour de QuestLove, le batteur de The Roots, il écrivait son Q avec un ? à l’envers. Il y avait aussi le côté de celui qui passe son temps à se poser des questions. Ça symbolisait bien mes textes et tout ce qui germait à l’époque.

  • Petite présentation ?

Je viens d’un groupe, Kalash, qui a existé pendant 14 ans. C’était un compositeur et moi. On a commencé dans le rap « pur et dur », assez classique, imprégné de soul, de jazz. On a fait un 1er album en 2003, qui a été en indé une belle réussite. On a fait trois disques. Et on s’est séparé l’année dernière. Ça faisait un moment que j’avais l’envie d’aboutir d’autres idées musicales.

  • Pourtant déjà avec votre dernier CD, on sentait une mutation ?

Même dans l’avant-dernier, on avait commencé cette mutation rap-rock. C’est pas là dessus que ça ne marchait plus, car le compositeur était lui aussi d’accord sur cette démarche là, c’était plutôt comment le faire ? Il voulait aller vers quelque chose de plus chanson, de plus pop. Moi j’avais envie de quelque chose plus rap électro punk. De plus barré. Pour ce qui est de l’écriture, quand tu es tout seul, tu peux aller plus loin dans l’introspection.

Viktor Coupk

  • Quand tu écris dans un groupe, tu dois prendre en compte ton binôme? 

En groupe, tu as forcement une autocensure, tu as une façon d’écrire qui est imprégnée des gens que tu as autour de toi. Un groupe, c’est comme des amis, à un moment, ils t’influencent. Et moi, je n’avais plus trop envie de cet entourage-là. J’avais envie que mon écriture puisse aller sur mon ressenti, vers quelque chose de plus gouaille parisienne, vers une poésie plus surréaliste, plus rock. J’avais envie de faire s’entrechoquer ces deux trucs et c’était plus facile tout seul !

  • Une envie de changement musical aussi ?

Autant sur l’écriture, j’avais l’envie de m’enfermer. Autant sur la composition, j’avais envie d’amener beaucoup plus de gens. Et puis, j’adore faire des bricolages, confronter différentes compos et recomposer ce que m’ont envoyé des gens. Et puis, mon rêve c’était de revenir à une base rap plus rythmique, comme le fait la nouvelle scène de Los Angeles avec Tyler the Creator. Mêler de l’électro et les guitares du post punk, mon trip c’était d’aller voir plein de gens, plein de musiciens. Mais de rester à quelque chose de primaire. Avoir une unité de sons.

Viktor Coupk

  • Tu parles de punk, c’est aussi ton côté contestataire ?

J’ai ce bagage de contestation, même si aujourd’hui je le fais moins premier degré. Je suis arrivé très tard dans le rock, c’est le manager d’Assassin qui m’a fait écouter les références punk.

  • Mêler ces musiques correspond bien à l’esprit d’une résidence ?

Viktor Coupk

Oui, je cherchais un endroit issu du milieu alternatif, où bouillonnait l’esprit rock. Normalement les résidences c’est plutôt court, là, à Mains d’Œuvres, j’ai trouvé une résidence longue. J’y suis jusqu’en 2014.
Et puis la musique et la démarche ont bien plu. Pour moi, c’est formateur.
C’est tout une philosophie, il n’y a aucune notion de rentabilité, juste un épanouissent artistique. C’est une belle rencontre. Il y a un partage avec ma coordinatrice et mes voisins de résidence.

  • Oui, d’ailleurs, comment ça se passe avec tes colocataires ?

Au début, chacun est dans son monde. Puis l’alcool et les fins de soirées, l’écoute des concerts de chacun, font que des sympathies se sont affirmées. Le guitariste de Cheveu me conseille et avec mes autres voisins, on a l’idée de faire des choses ensemble. On devient une petite famille.
Il y a des webzines, des labels, des graphistes.

  • Et avec toi, as-tu amené des musiciens ?

Non je tenais à être tout seul. C’était une demande de ma part de ne pas partager le studio. Mais une fois par semaine, je bosse avec H, un VJ, qui est vraiment le second membre du groupe. Il dessine à côté de moi, on échange sur les textes. Son univers envahit le studio. Il fait partie intégrante de l’imagination, de la poésie. Dans tous les titres, il y a une phrase qui part de nos discussions. Il est aussi devenu back.

Viktor Coupk

  • À quel stade de ta résidence en es-tu ? De ton projet ?

À mi-album en terme de création. Je veux 12 titres pour mon album, et comme là, je suis assez fier de l’ébauche du 7e titre, je peux dire que je suis entré dans la deuxième partie de l’album. C’est aussi simple que ça.

  • Parle-moi de ta démarche Rap Rock Équitable.

C’est parti d’une blague. À dix personnes, « si vous aimez bien cette phrase je vous en fais un titre ». Sur Facebook, ça a vite liké et je me suis dit qu’il y avait un truc. Plus besoin de label. J’ai torturé cette démarche et maintenant il y a des gens qui suivent le projet, il y a des possibilités. On aimerait que ce côté direct du producteur au consommateur devienne un site à part entière. Que ça dépasse Viktor Coup?K.

  • Et pour la diffusion ?

L’idée de la démarche, c’est de donner les maquettes gratuitement. D’avoir des retours dans l’instant. Et s’ils veulent la version définitive, ils donnent un euro minimum. Peu à peu, on arrive à beaucoup de personnes. Tu pars de 10, tu arrives à 5000. Si des partenaires éthiques et humains viennent avec des propositions pour faire gonfler le projet, on ne leur dira pas « non ». Mais ce qui est intéressant, c’est s’il n’y en a pas, je ne serais pas dépendant, je pourrais quand même vendre mes disques.
Ce qui a fondé cette démarche, c’était de me dire « qu’est-ce qui compte pour moi, en tant qu’artiste ? », avant tout c’était de faire une chanson qui peut me mettre le frisson et après de la faire écouter. Et puis le moyen le plus simple, c’est de faire écouter sur internet.

  • On est sur un festival « québécois », internet permet notamment cette ouverture internationale ?

Pour moi, on restera plus sur le côté européen, francophone. Mais carrément, j’ai envie de bouger. Rien que le contact à la province, c’est mortel. Avec ce projet, j’ai des retours de gens de partout.

Viktor Coupk - La Dame de Canton

  • Tu parles de ton projet, comme si tu n’avais pas de public. Pourtant tu as celui de Kalash?

Avec Viktor Coup?K, je suis un nouvel artiste. Je suis un inconnu. David [manager] me disait « va rechercher cette base-là ! ». Moi je préfère être neutre, repartir de zéro. Et j’adore ça. Ça me fait triper. J’aime bien les défis, j’ai tout à prouver. Avec Kalash, j’ai été catégorisé rap politique, maintenant il n’y a rien de tout ça. La bizarrerie poétique qu’on veut créer, je ne l’impose pas à un public qui m’a connu en rap conscient.

  • Du coup, dans l’écriture, tu tires un trait sur le rap conscient ?

Je m’en détache naturellement, sans essayer. Ce n’est pas ce que j’ai envie de faire maintenant.
Je crois qu’il y a des chansons plus contestataires, qui donnent plus envie de se rebeller, sans le dire dans le texte. Je suis beaucoup plus musique anglo-saxonne, je ne comprends rien à l’anglais, mais il y a des chansons qui me donnent envie de tout foutre en l’air. Cette envie de tout retourner peut se faire par une poésie.

  • Mais ce n’est pas anodin de rentrer dans le rap ?

Ce n’est pas un hasard. J’ai commencé à écrire à 14 ans, par la contestation du rap. Je viens d’une famille de gauche, on écoutait Léo Ferré, il y avait déjà ces questionnements-là. Mais avec NTM et Assassin, le rap contestataire a été mon déclencheur. Ce que je pense, c’est que tu restes toute ta vie, artistiquement, marqué au fer rouge par ton adolescence. C’est la même rébellion, mais aujourd’hui je l’exprime d’une autre façon.

Viktor Coupk

  • Tu parles de Léo Ferré, en tant qu’auteur, comment  envisages-tu l’écriture ?

Il n’y a pas règle. Sauf, qu’actuellement, j’écris tous les jours. J’écris des trucs qui peuvent être des bouquins, des chansons. Et quand une musique m’inspire, je vais dans mes carnets et j’en sors un premier jet, une grosse trame. Après je l’aboutis. Là en résidence, avec H, on a un dialogue de préparation. On regarde des films. Il dessine. Maintenant, on tente aussi de chercher une certaine folie, comme dans le cinéma indé belge. Les Poelvoorde.

  • Tu puises chez quel auteur ?

Je suis plus poussé par la musique anglophone. Mais en France, les deux derniers qui m’ont marqué, qui m’ont nourri, c’est Cantat et Bashung. Mais il y a un truc tout con, je fais des ateliers, je croise des centaines de jeunes, leur rap m’influence. Ce qui influence clairement mon écriture, c’est la vie en n°1, et la littérature.

  • Vu que tu parles de Bashung, j’ai entendu parler d’une certaine collaboration avec Yan Péchin, son dernier guitariste…

J’ai bien aimé la tentative de Casey et Serge Teyssot-Gay, sur Zone Libre. Ça rejoint un peu ce que je veux faire. Pour Yan Péchin, c’est un peu un hasard. Là on vient juste, à Mains d’Œuvre, de finir trois jours de création unique. C’est vraiment magique. C’est une révélation. Il a réarrangé les titres existants et on a travaillé sur de nouveaux.

  • Cette confrontation avec le rock a du faire évoluer ton phrasé ?

Oui, je ne rappe plus du tout comme avant. Sur l’album, j’ai des parties très rappées et un espèce de truc scandé, gueulé.

  • Tu participes à des ateliers d’écriture avec des gamins, ça fait partie de ta culture hip-hop?

Oui c’est le hip-hop et le rap qui m’ont amené vers ça. C’est une grande richesse. Notre génération, on partait du constat que les plus anciens n’avaient rien transmis. On était un peu énervés par rapport à ça, et j’ai eu envie de transmettre, pour accélérer les débuts de la création. Le rap visible est devenu de la pop, une daube de supermarché, je trouvais ça dommage que les jeunes n’aient que ça comme référence.

Viktor Coupk

  • Quelles références leur donnes-tu ?

C’est Roce, Casey, les anciens de La Rumeur. Il y a aussi des trucs plus vieux, les Sages Po’, la Cliqua.

  • Samedi, tu es sur la scène de la Dame de Canton pour le Festival Aurores Montréal, comment envisages-tu le live dans ton projet ? Combien êtes-vous ?

Il y a un DJ, Moktarr. Un savant fou musicien, qui est Neeko. Il joue les basses au clavier, il a des machines et joue aussi de la guitare. Et il y a H, au VJ et au back. Je ne pense pas que ça soit la formule définitive, il y aura sûrement un autre guitariste plus tard. La Dame de Canton, ça sera notre troisième date. On aura seulement 6 titres, mais dont on est content. Et une impro. Il n’y aura pas de rappel. J’aime ce côté sans chichi, ce rapport à la scène qui est celui d’Iggy Pop. Il joue son set. Merci. Au revoir.
Il n’y a pas ce côté douze fois merci, on revient on fait un rappel, on en fait deux.
Non, tu donnes ce que tu as de meilleur, pas plus.
Je suis un artiste du peu. C’est comme si le temps et la profusion donnaient de la qualité. C’est faux.

viktorcoupk.com
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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes