Petit bijou de rock mélodique à la fois clair et poussiéreux, « Out In The Storm » de Waxahatchee s’écoute et se savoure comme lors d’une promenade nocturne dans les banlieues désertes et abandonnées de villes fantômes. À l’heure où les esprits s’éveillent, où les moteurs de véhicules depuis longtemps détruits se remettent à ronronner, et où l’on aime se perdre en n’étant jamais certain de revoir la lumière du jour. Une caresse froide et touchante, qui fait frémir et paralyse, entre beauté et poudre noire.
Ne jamais se départir de ce qui fait le charme d’une musique à la fois personnelle et bouillonnante, grouillant autant d’énergie que de songes parfois tourmentés mais souvent salvateurs ; c’est bien ce qu’inspire ce « Out In The Storm » au titre évocateur, même si l’on est en droit de se demander de quelle tempête, de quel orage il s’agit. Car l’Américaine Katie Crutchfield, alias Waxahatchee, affronte les éléments, les convoque dans un tourbillon au fond duquel on traverse aussi bien les grands vents que l’œil du cyclone. Elle parle à nos âmes endolories, regarde les chutes d’eau s’écraser sur des rochers attirants, appelant un sacrifice mélodique qu’elle seule semble pouvoir accomplir. Un regard, un sourire, une larme ; puis, l’extase, saturée ou claire, de chansons imprégnées d’une déstabilisante maturité. Bien mieux qu’un simple disque, il s’agit d’un conte cruel, empli d’histoires se rejoignant au bord du précipice et de déviances scénaristiques imprévisibles et savoureuses. Doux-amer et âpre, il devient rapidement thérapeutique, faisant de l’obscurité la source de toutes les possibilités ; même les plus lumineuses.
Comme une impatience difficile à combler, « Out In The Storm » s’ouvre sur le mouvementé « Never Been Wrong », petite merveille saturée et captivante annonçant d’ores et déjà que les murs vont trembler lorsque la colère prendra le pas sur l’apaisement. Cependant, on décèle rapidement une propension à transmettre, grâce à des arrangements et mélodies vocales magnifiques et obsédants, ce que d’autres pistes révéleront au fil de trente minutes d’un plaisir aussi bien mutuel que solitaire : un désir poignant d’aller vers l’intériorisation, vers l’introspection, afin de mieux laisser retentir des élans énergétiques toujours plus bouleversants. De ce fait, les diamants bruts et doux que sont le sublime « Recite Remorse », dialogue orgue-chant d’une beauté rare, ou encore « Little More », folk caressant et aussi pénétrant qu’une bruine tenace et traversant les couches supérieures de nos épidermes, s’en trouvent d’autant plus mis en valeur sous une lumière certes tamisée, mais d’une brillance prenant rapidement des atours de vérité. De même, là où « Silver » et « Hear You » lâchent la bride et font retentir des cordes pratiquement à nu, les harmonies se font dociles, intenses et vivifiantes, portées par une mélancolie prédominante et essentielle à cet exercice de style qui, finalement, n’est autre que le propre miroir artistique de sa conceptrice. Un reflet musical qui n’a jamais été aussi clair que sur « Fade », où le piano s’impose comme élément moteur d’un regard porté sur ce qui constitue la femme nous contant ses espoirs, ses désillusions et ses amertumes.
Subjuguant et nous laissant dans une apnée mentale sans nulle autre pareille, « Out In The Storm » résume, en une demi-heure, nos existences troublées et romantiques, nos déceptions, nos désirs. Avec ce disque sentant autant le soufre que le parfum le plus doux, Waxahatchee laisse grandir, miraculeusement, une végétation bienvenue dans le béton et le macadam de nos esprits citadins, comme une gemme que l’on découvre mais qu’on ne souhaite pas voir viciée par l’homme. Entre amour, spleen et sourires, Katie Crutchfield nous transporte au-dessus des rues sales et mal fréquentées de cités vouées à la destruction, viciées et boueuses ; plus haut, plus loin, vers des nuages certes lourds, mais chargés d’une pluie ô combien purificatrice.
« Out In The Storm » de Waxahatchee est disponible depuis le 14 juillet 2017 chez Merge Records.
