[LP] Warpaint – Heads Up

Association qui paraît, sur le papier, hasardeuse de genres et de sonorités divers et variés, le troisième album de Warpaint, « Heads Up », parvient à développer une musique aussi riche que cohérente et semble donc confirmer la prise de maturité d’un groupe qui, à juste titre, garde la tête haute et le regard fixé vers le futur.

Warpaint - Heads Up

Warpaint est un groupe qui présente un parcours insaisissable : après un EP et un premier album qui ont convaincu l’ensemble de la critique, les plaçant comme chef de file d’un revival post-punk à forte orientation néo-romantique, le quatuor de Los Angeles a pris tout le monde à contre-pied en 2014 en sortant un album éponyme dans une veine totalement différente, basant sa musique sur des nappes atmosphériques et des bases rythmiques dominantes et répétitives, recevant des retours aussi mitigées que drastiquement contrastés. Insaisissable d’autant plus qu’en plein milieu de rumeurs concernant leur rupture, le groupe décida de sortir en janvier dernier les singles « No Way Out » et « I’ll Start Believing », développant un post-punk acéré et progressif semblant se situer pile au milieu de ces deux premiers albums, avant de prendre une nouvelle fois tout le monde à revers en annonçant leur nouvel album à travers le single au nom provocateur « New Song » et son groove entraînant et étincelant à la limite du disco.

C’est donc face à la même sorte de polémique qu’a dû affronter Grimes l’année dernière lors de la sortie de « Art Angels » que s’est confronté « Heads Up » avant même d’être sorti : la critique d’être devenu trop commercial, d’avoir perdu la touche qui rendait le groupe si spécial. Cependant, c’est avec amusement que le groupe a dû observer l’évolution des réactions après l’écoute de l’album entier, qui est définitivement le plus expérimental de sa discographie jusque-là.

Les percussions lourdes qui lancent « Whiteout » et l’album sont ainsi rapidement rejointes par des mélodies subtiles de guitare, une ligne de basse palpitante et des harmonies vocales qui ne nous lâcheront plus de tout l’album. De chanson en chanson, nous oscillons délicatement entre ambiance atmosphérique et pugnacité ; les mélodies peuvent ainsi bercer comme sur la gracieuse et éthérée « Don’t Wanna » autant que transporter comme dans l’explosive « By Your Side » qui paraît être une odyssée sonore tant les instruments partent et reviennent dans tous les sens, mélangeant des influences aussi variées que le hip-hop du beat, le post-punk de la basse et les voix pop.

Le point mis à l’honneur sur cet album semble ainsi être la déconstruction des chansons grâce à une diversification des sonorités recherchées, des influences invoquées.  La production est ainsi mise à l’honneur au point que nous savons régulièrement plus où donner de l’oreille devant l’abondance d’astuces sonores, des couches mélodiques superposées. La maturité prise en studio par le groupe est ici nettement perceptible, même les chansons les plus abouties de son répertoire jusque-là comme « Drive » ou « Biggy » paraissent mineure par rapport à celles présentes sur « Heads Up ». Les éléments sonores paraissent avoir la liberté d’évoluer organiquement vers une distorsion vaporeuse, un rayonnement shoegaze ou encore un bourdonnement psychédélique ; l’album semblant changer de forme au fur et à mesure des chansons.

Ce magnétisme intimiste provient majoritairement de la complicité incisive entre les percussions versatiles de Stella Mozgawa et les lignes de basses hypnotisantes de Jenny Lee Lindberg. Les deux musiciennes arrivent sans aucun mal à nous plonger dans les premiers albums des Cure dans « The Stall » comme à actualiser des sonorités entre trip-hop et hip-hop sur « Dre », un hommage au producteur et rappeur. Mais bien qu’elles semblent porter la base musicale, il n’y a pas de hiérarchie entre la mélodie et le rythme comme le montre l’outro de « So Good », où les mélodies vocales et les superpositions de synthé portées par Emily Kokal dans l’outro paraissent profiter de la solidité du groove pour s’envoler et se développer dans l’intégralité du ciel.

crédit : Mia Kirby
crédit : Mia Kirby

Si ce besoin d’expression sans barrière peut s’expliquer par la participation des membres du groupe à de nombreux autres projets, c’est aussi principalement dans une volonté d’amener l’énergie qu’elles déploient sur scène en studio. L’évolution fulgurante et évanescente de « Heads Up » possède ainsi un charme digne des improvisations avec lesquelles elles entamaient leurs concerts lors de leurs premières tournées de même que l’intense « Above Control » achève une pluie enivrante de mélodies en laissant Lindberg et Mozgawa faire un bref jam en décalé avec le reste de la chanson. Et c’est avec le charme émotif de l’acoustique « Today Dear » que l’album se clôt, nous donnant l’impression de nous trouver juste en face de Theresa Wayman, les autres membres du groupe ayant décidé de poser leur instrument pour nous offrir un dernier au revoir et ainsi confirmer la proximité entre leur musique et notre réception.

Si cet album se démarque avant tout par sa richesse, il ne pourrait cependant garder une telle cohérence sans une production affinée et un sens de l’écriture qui prouve à la fois la prise de maturité et la spontanéité ostensible entre les membres du groupe. « Heads Up » nous donne donc l’impression de suivre une évolution narrative, tant chaque album est une nouvelle étape à la fois manifestement différente et pourtant dans la continuité de ce qu’elles avaient créé jusque-là. Et cette tension entre confirmation et renouvellement d’un style nous donne donc tout autant envie de relancer l’album pour qu’il se dévoile un peu plus que d’écouter leur discographie dans son intégralité pour mieux appréhender son cheminement.

« Heads Up » de Warpaint est disponible depuis le 23 septembre 2016 chez Rough Trade Records.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général