[Interview] Voyou

Voyou est la nouvelle figure ascendante du label Entreprise. Il porte des vêtements colorés, parfois joue de la trompette et s’émerveille devant une ville enneigée. Loin d’être défini en quelques mots, l’artiste nous parle, à la veille de la sortie de son premier album « Les bruits de la ville », de ses inspirations, de sa nouvelle scénographie et d’un correspondant belge turbulent.

crédit : Pierre-Emmanuel Testard
  • Tu es illustrateur : tu projettes d’ailleurs tes animations sur scène. Comment se passe cette connexion entre l’image et la musique ? Cherches-tu à la faire évoluer avec la sortie de ton album ou préfèrerais-tu t’entourer d’autres artistes visuels pour ça ?

Je projetais, mais là, ça ne va plus être le cas. Ça m’a vachement plu à faire. À la base, je l’ai fait parce que je voulais présenter un show un peu différent pour les Trans Musicales. Du coup, je me suis lancé dans cette idée d’illustrer, pour la scène, ce qu’il y avait dans ma tête quand j’écrivais les morceaux. Je ne me considère pas vraiment comme un illustrateur. Je fais ça plutôt pour m’amuser et mettre du contenu à ce que je fais. Ça m’amuse beaucoup et j’aime bien l’idée d’essayer de recréer les décors qu’il y a dans ma tête en utilisant les images, toujours dans un esprit DIY.

  • Jusqu’à présent tu es seul en scène. Est-ce qu’avec ce nouvel album d’autres musiciens vont te rejoindre ?

J’ai commencé à travailler avec des musiciens et, à partir de maintenant, les concerts seront avec des musiciens. J’ai commencé les répétitions, j’entre en résidence la semaine prochaine et après on va tourner tout le disque à quatre sur scène. Je continuerai à jouer tous les instruments que je jouais.  Comme on sera quatre, il y aura beaucoup de percussions, deux choristes. L’idée était d’enlever tout ce qui était humain dans ma musique que je ne pouvais reproduire seul parce que je n’avais pas assez de mains pour tout faire. Il était super important, pour moi, de remplacer les chœurs féminins qui m’accompagnaient, mais qui sortaient de mon ordinateur par de vraies chanteuses.

  • Tes textes sont-ils plus la chronique de ta vie ou le fruit de flâneries et d’observations ?

C’est plus une chronique du monde qui m’entoure qu’une chronique de ma vie. Bien sur il y a pleins de choses très personnelles dans ce que j’écris, mais qui viennent toujours de plus que juste moi. Quand j’ai l’impression de me poser des questions et que plein de gens autour de moi se les posent aussi, nous pouvons avoir des conversations. Je peux avoir l’avis de plein de personnes, je peux donc après en tirer des morceaux et me sentir légitime à avoir une parole parce que ce n’est pas juste ma parole.

  • Comment t’es venue l’idée de parler à la ville pour le morceau « Il neige » ? T’adresses-tu à une ville précise ?

Ce n’est pas une ville précise et en même temps c’est un morceau que j’ai eu envie d’écrire après les grosses chutes de neige qu’il y a eu l’an dernier à Paris. D’un coup, on s’est retrouvé dans un espace-temps complètement modifié parce qu’il y avait de la neige partout, tout était ralenti. L’hiver était très dur cette année-là, c’était très long et chiant. On avait froid, on en pouvait plus et le fait que la neige arrive comme ça, ça a été comme un déclencheur d’émerveillement dans les yeux des gens. Les gens étaient contents d’être dans la rue : même s’il faisait froid, ils étaient heureux d’être dans le décor, enfin dans leur décor. Ce n’était pas le cas deux jours plus tôt quand il faisait juste glacial, que tu marchais avec les yeux fixés sur le sol parce que tu n’avais pas envie de regarder autour de toi cet environnement trop hostile. Quand il s’est mis à neiger, tous les sons étaient modifiés, la ville a changé de couleur et est devenue d’un coup magique. Le soir où toute la neige est tombée, je suis sorti avec des copains pour profiter de la neige et de la ville sous la neige. Mon unique but était de me balader dans Paris enneigé parce que c’était très beau et que nous étions tous excités à l’idée de redécouvrir cette ville.

  • A-t-il été aussi douloureux de quitter Lille que de quitter un premier amour ?

J’ai choisi Lille parce que c’est la première ville que j’ai quittée, c’est un peu comme si elle était la première femme que j’avais quitté. Mais je l’ai écrite au moment où je quittais Nantes. C’est une véritable chanson de rupture, je trouve que le fait de quitter quelqu’un a les mêmes répercussions que de quitter un endroit où l’on a passé beaucoup de temps, pour lequel on a de l’affection et des habitudes.

  • Est-ce que les paroles de « Dehors » seraient le remède aux fameuses « soirées qui se suivent et se ressemblent » dont tu parlais dans « Les soirées » ?

C’est plus un morceau qui se passe en journée, mais il est vrai que c’est bizarre ! C’est un morceau qui dit qu’il faut arrêter de se plaindre de ce qu’il se passe autour de nous, et de regarder le temps filer en ayant l’impression que tout est vain. Il est un peu contradictoire avec « Les soirées ». Parfois, j’ai l’impression que sortir est néfaste et, à d’autres moments, je trouve que c’est très important. C’est peut-être un peu schizo. Je n’avais pas fait le rapprochement ; l’un dit d’arrêter de reproduire le même schéma en permanence et l’autre demande d’arrêter de se plaindre et d’essayer d’avancer.

  • Après, on peut organiser des soirées qui sont différentes les unes entre les autres.

Tu sais, il y a des endroits où les soirées se suivent vraiment et se ressemblent vraiment avec des endroits et des manières de sortir. C’est pour ça qu’il est bien aussi de changer de décor parfois.

crédit : Pierre-Emmanuel Testard
  • Pourrions-nous établir un lien entre « À nos jeunesses » qui ouvre l’album et « Lille » qui le clôt ? Comme si la nostalgie des textes prenait son sens à la fin.

Je ne cérébralise pas autant quand j’écris les morceaux, ça veut dire que là, je dois du calcul mental (rires). « À nos jeunesses » a un côté très ouverture, c’est un morceau où je dis « nos jeunesses étaient super, mais ce n’est pas pour autant que la suite ne sera pas tout aussi belle », je m’adresse à mes amis. Donc il y a déjà un aspect de fin, mais en même temps, il est valable à plein de moments, c’est une réflexion que tu peux avoir à 40 ans comme à 15 ans, parce que tu as toujours été plus jeune que ce que tu deviens. Il ouvre et effectivement « Lille » ferme parce que je pars, je laisse un décor sur place. Je sors de ce décor un peu comme si je laissais tout ce qui c’était passé dans cet album et que je m’en allais vers quelque chose d’autre.

  • Pourquoi as-tu collaboré avec Yelle pour « Les bruits de la ville » ?

J’avais déjà travaillé avec elle avant de faire ce morceau. Les deux moments ont été très rapprochés, c’est-à-dire que j’ai travaillé avec elle pour certains de ses morceaux. On a passé quelques jours ensemble en Bretagne, c’était génial et j’ai beaucoup appris d’elle et de GrandMarnier, son producteur. Après ça, je suis parti m’isoler au Pays basque pendant deux trois jours pour écrire de nouveaux titres, et j’ai écrit « Les bruits de la ville » sans me dire qu’il fallait que je fasse un feat dessus. Je l’ai écrit de A à Z et l’ai envoyé à GrandMarnier et Yelle qui l’ont écouté et m’ont proposé que Yelle prenne une part dessus, qu’elle chante dessus. C’était assez évident vu que je venais de passer du temps avec eux à travailler sur de la musique, il y avait quelque chose qui se répercutait dans ce que j’ai composé juste après. Tout s’est fait de façon naturelle.

  • Comment as-tu découvert le travail de Vincent Castant, le réalisateur de tes clips, mais aussi de « Ouais j’vois ouais » ?

Nous sommes amis depuis cinq-six ans, j’ai toujours été fan de son travail. On avait déjà essayé de travailler ensemble pour un autre groupe et il avait dit « Bah nan parce que je n’aime pas ». Ça, c’est Vincent, s’il n’aime pas, il ne fait pas et n’a aucun mal à le dire et ça ne provoque aucun conflit. Mais pour « Seul sur ton tandem », j’avais l’idée de le faire avec lui parce que je trouve son travail génial et pensais que la chanson collait bien à son univers, à sa manière de raconter les choses un peu graves, un peu tristes en y mettant de la légèreté. Lui a ce don de réussir à tout alléger, rendre tout agréable. Je lui ai envoyé le morceau en lui disant « Écoute je sais que si ça ne te plait pas, tu ne le ferras pas, mais si jamais ça te plait j’aimerais qu’on le fasse ». Il a écouté le morceau et était partant. Il m’a dit « Tu n’as qu’à venir chez moi, on va filmer des images ». Avant, nous nous sommes retrouvés à Paris, on a échangé des idées plus débiles les unes que les autres. On partait dans nos délires comme on pourrait le faire en tant qu’amis avant de le faire en tant que personnes qui travaillent ensemble. Il est rentré au Pays basque, je suis venu le week-end pour tourner des images. Et il se trouve que nous avons une amie en commun, qui débarquait à Paris pour faire un break de Londres. J’ai dit à Vincent qu’elle passait à Paris et il lui a proposé de passer aussi pour qu’elle soit dans le clip. Ce qui est génial avec ce gars c’est que l’on peut faire les choses de manière très simple et très peu réfléchie, d’avoir confiance en ce que tu vas faire. Mon label paniquait beaucoup de ne jamais avoir de script, de scénario, sur le déroulé du clip et finalement le résultat plaisait énormément.

  • Quels sont les enrichissements que t’ont apportés tes concerts aux quatre coins du monde, au Japon, au Québec, au Royaume-Uni ?

Déjà, c’était chouette de voyager, pouvoir se balader dans autant de pays différents ! Ça me rend fou de me dire qu’en chantant en français, j’ai joué dans tant de pays et surtout qu’avec un EP. Ça fait du bien à l’égo et ça permet de voyager, de s’amuser, de rencontrer plein de gens super. J’ai aussi pu partager des moments rares avec des musiciens. Au Brésil ou en Équateur, j’ai rencontré, joué et échangé avec des musiciens et découvrir ce qu’eux faisaient. Nous sommes très accompagnés en France dans le milieu de la musique, on a des salles très bien équipées, les fonctionnements de rémunérations sont super. J’ai pu me rendre compte de la chance que j’ai finalement. En allant jouer dans d’autres pays, j’ai été confronté à des conditions un peu plus rudes, et de devoir conquérir encore et encore des gens qui n’étaient pas acquis à ma cause et ne connaissaient pas mon travail. C’est super, toi ça te fait progresser, tu vois aussi de manière plus globale la réaction du public par rapport à ta musique et donc tu cherches à l’enrichir d’une manière ou d’une autre. Le truc premier est la joie de se dire que l’on va partir à l’autre bout du monde, dans des pays où tu as toujours voulu aller, et d’y venir grâce à ton travail.

  • Quelle a été ta réaction à l’annonce de ta participation à la 31e édition de Dour ?

J’étais trop content ! Il y a eu plein de petits moments comme ça où j’ai halluciné d’avoir ces festivals. L’année dernière, j’étais halluciné de jouer aux Vieilles Charrues et au Montreux Jazz Festival, et cette année ! d’aller jouer à Dour ! c’est fou ! Je n’ai jamais foutu les pieds sur ce festival, mais vu que j’ai grandi dans le nord de la France, tous mes petits potes l’ont déjà fait cinquante fois et sont revenus autant défoncés de fatigue qu’avec des paillettes plein les yeux.

  • Ce sera moins rude qu’en tant que festivalier…

Ouais, il paraît que pour les festivaliers, c’est un peu dur. Le gros plaisir de savoir que tu vas jouer dans ces festivals-là, c’est de savoir que tu vas voir des groupes complètement improbables que tu n’aurais jamais vus de ta vie. À Montreux, j’ai vu un concert pour l’anniversaire de Quincy Jones, pour ses 85 ans, en présence de Quincy Jones avec que des rappeurs de ouf et des jazzmen de malade mental. Il avait genre Jorja Smith, Mos Def, Jacob Collier, et de se dire « Wow, je suis en train de jouer dans le même festival que ces gens-là ! Je suis à une soirée avec Quincy Jones à dix mètres de moi » ça fait un peu capoter. Mais tu es trop heureux et ça te permet de rester un petit gamin, tu ne pèses pas grand-chose et ne te poses pas la question de qui tu es. Tu regardes juste des mecs faire ça et tu te dis « OK, ils sont vraiment très forts » !

  • Pour un voyou, quel est ton plus beau délit ?

Mon plus beau délit ? Voyons un truc mignon… il y a une période où je n’étais pas très assidu en cours, en seconde, je crois. J’étais allé en cours dans un autre lycée en me faisant passer pour le correspondant belge d’un de mes potes, pour pouvoir être en classe avec lui. J’avais foutu le bordel dans la classe comme un gros débile. Je n’en suis pas très fier et, en même temps, c’était marrant. Je ne sais pas comment le prof a gobé que j’étais un correspondant belge sans que personne ne l’ait prévenu, mais c’était très drôle.


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Alice Tabernat

Alice Tabernat

Étudiante passionnée par la création musicale et les beaux textes.