Brûlant, c’est le mot qui ressort à l’évidence de l’écoute de « Sous la peau ». La cendre, la fournaise, la crémation même imbibent les pores d’un disque où les titres font corps, fusionnent dans le feu d’un rock plus noir encore que la cendre. Avec ce troisième album, Versari prend rendez-vous avec l’obscurité autant qu’avec la mort, pour faire renaître des titres dont la noirceur appelle le paisible et le sublime. L’ataraxie a sûrement à voir avec l’humeur de ce disque aux mots ravageurs comme sa pochette terriblement mortelle. « Sous la peau » retourne l’âme d’un seul et même acte, par sa gravité, sa constance et sa pertinence. Le trio parisien rend sa beauté fatale à la vie, à la mort. Laureline Prod’homme, Cyril Bilbeaud et Jean-Charles Versari composent une œuvre urgente comme un dernier souffle, à la chaleur constamment ravivée. Forts de leurs passés individuels, parfois croisés, au sein de la scène post-punk française et au-delà (Sloy, Candie Prune, Hurleurs, Tue-Loup entre autres), les Versari nous font l’immense honneur de nous raconter intimement leurs rencontres et grandes amitiés avec Theo Hakola (Passion Fodder), Serge Teyssot-Gay (Noir Désir), Adrian Utley (Portishead), Girls Against Boys et 13th Hole. Plongée dans la nébuleuse des amitiés versariennes…
Theo Hakola
Nous commençons par Theo parce qu’il est un des liens entre nous trois.
Jean-Charles : Au début de mon ancien groupe, Hurleurs, nous avons réussi à faire passer notre première cassette à Theo – ce qui me touchait particulièrement, car j’adorais alors Passion Fodder. Il nous a tout de suite appelés pour nous dire à quel point il aimait les titres. Nous lui avons demandé de produire notre démo suivante, puis notre premier album. De cette collaboration est née une grande amitié, et grâce à lui j’ai rencontré Cyril, puis Laureline qui jouaient avec lui.
Cyril : Avec Sloy, nous avons fait la première partie de Theo à l’Ubu en 94 et nous avons beaucoup discuté ce soir-là, car il avait apprécié notre performance. Comme il était le frontman d’Orchestre Rouge et Passion Fodder, ce n’était pas rien pour nous. Il nous dit alors qu’il n’est pas inquiet pour nous, car il nous imagine très vite signer, ce qui a été le cas avec Rosebud. Des années plus tard, alors que Sloy venait de se séparer, Theo me propose de jouer avec lui, ce qui devient une collaboration de sept ans.
Laureline : Je rencontre d’abord Cyril quand il jouait dans Sloy et moi dans Candie Prune, car nous avons fait plusieurs dates en plateau commun. Nous avons tout de suite accroché, car nous avions une culture musicale commune et beaucoup d’affinités humaines. Des années après, alors que Theo cherchait une bassiste, Cyril lui parle de moi, je le rencontre et nous décidons de commencer à travailler ensemble. Je joue toujours avec lui à ce jour.
Jean-Charles : En janvier 2001 se monte une tournée commune, Serge Teyssot-Gay qui joue son album sur Hyvernaud, Theo Hakola & the Wobbly Ashes et Hurleurs. C’est là qu’on (JC) se rencontre avec Cyril, et l’on se lie d’amitié. Lorsque Hurleurs se sépare, j’appelle Cyril pour que nous montions un nouveau projet. J’ai alors déjà rencontré Laureline sur une date avec Theo vers la fin des Hurleurs.
Après le premier album de Versari – qui est un album de transition que nous assumons, mais qui ne nous ressemble plus – nous appelons Laureline pour jouer de la basse sur scène, et c’est là que nous trouvons notre équilibre et que ce que nous sommes aujourd’hui commence.
Le dernier album de Theo a complètement été enregistré à Balloon Farm à Rennes où nous avons aussi enregistré « Sous la Peau ».
Serge Teyssot-Gay & Zone Libre
Cyril : Alors encore guitariste de Noir Désir, une relation amicale se crée également pendant cette fameuse tournée de 2001 – Noir Désir appréciait Sloy. Parallèlement à la création de Versari, nous (Cyril et Jean-Charles) souhaitons monter un label. T-Rec voit le jour en 2004 et Zone Libre, composé de Serge et Cyril, commence son travail sur le premier album en 2005. Les liens se resserrent et Serge intègre le label.
Jean-Charles : J’ai beaucoup regardé Serge jouer de la guitare et je pense que j’ai beaucoup appris dans ce contexte. Marc Sens joue aussi sur cet album (« Faites vibrer la chair ») et c’est également une approche de la guitare qui m’a libéré des standards de jeu de guitare – je ne jouerais probablement pas comme je joue aujourd’hui sans eux, entre autres.
Au-delà de notre amitié et de notre amour de son travail, Serge est un des musiciens les plus intègres et c’est une communauté d’esprit que nous partageons avec lui.
Et il faut quand même noter que Theo a produit le premier EP de Noir Désir.
Adrian Utley
Jean-Charles : J’ai rencontré Adrian sur le dernier album des Hurleurs. Il est venu comme « musicien additionnel », et ça a été une vraie belle rencontre entre nous deux ; en plus de son apport nous nous sommes liés d’amitié. Nous étions tous très fans de Portishead, et son approche a été très enrichissante – c’est un autre guitariste dont j’ai beaucoup appris en le regardant jouer.
C’est quelqu’un avec qui je voulais vraiment travailler, et quand je lui ai proposé de réaliser le deuxième album de Versari, « Ostinato », il a tout de suite dit oui.
On a pris beaucoup de temps pour composer « Ostinato » et, bien que nous avions alors une idée assez claire de là où nous voulions aller, nous mettre dans les mains d’un réalisateur nous semblait important.
Il a été un réel catalyseur de ce que nous étions alors ; c’est comme s’il avait impulsé une énergie et qu’il nous avait projetés dans une direction où nous voulions aller, mais sans savoir par où commencer.
« Ostinato » nous semble être notre réel premier album et il ne serait pas ce qu’il est sans Adrian.
C’est encore une fois amusant de noter que nous l’avons enregistré chez Denis Barthe (batteur de Noir Désir) sur les conseils de Serge.
Girls Against Boys
Cyril : Sloy est programmé au festival de Fontenay-le-Comte où nous ouvrons pour Girls Against Boys. Plus tard dans la soirée, nous les croisons et ils nous disent avoir adoré le concert et leur première partie vient d’annuler toute la tournée anglaise. Ils nous proposent alors de venir avec eux. Ce sera l’occasion de retourner faire des concerts en Angleterre et c’est une belle rencontre. Quand « Ostinato » sort, Big René de Radical, qui manageait et faisait tourner Sloy, cherche une première partie pour GVSB sur deux dates en France, et pense immédiatement à Versari. C’est l’occasion de retrouvailles avec Cyril, et d’une rencontre entre deux groupes aux désirs musicaux communs. Nous passons beaucoup de temps avec Scott lors de ces dates, et c’est un groupe qu’on aime beaucoup – comme toute la scène de Washington D.C. et plus globalement du post-hardcore.
13th Hole
Jean-Charles : C’est quelque chose qui me touche beaucoup : bien que je ne sois pas de Rennes et que je n’y ai jamais vécu, jouer avec une Rennaise et un Rennais d’adoption me confère une position à Rennes de membre de la communauté. Chaque fois que je suis ici, je suis comme chez moi, et on me parle comme si j’habitais là. J’y suis régulièrement, car nous y répétons. Ça me touche aussi, car je suis très fan de Marc Seberg et de Marquis de Sade. Et ici je me sens faire partie d’une famille de groupes, d’une scène dont les 13th Hole sont probablement les meilleurs représentants.
Laureline : 13th Hole, c’est ma famille. Nous avons vécu tant de choses ensemble, dont une tournée en Angleterre alors qu’un des groupes avec qui je joue, The Dude, devait signer sur le label anglais Lime Records en même temps qu’eux. C’est un des plus vieux groupes rennais encore en activité et en évolution permanente : ils représentent réellement une intégrité musicale que j’adore. Et c’est un groupe de rock fantastique.
Nous n’avons pas encore eu l’occasion de jouer avec eux, mais nous sommes très proches, nous aimons beaucoup ce qu’ils font, et nous adorons leur esprit – et ils nous le rendent bien.
« Sous la peau » de Versari est disponible depuis le 24 avril 2020 chez T-Rec, Unknown Pleasures Records et Declared Goods.
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