[LP] VEGG – Joie de Vivre

Le rock dans tous ses états : hypnotique, frénétique, mais surtout incroyablement jouissif.

VEGG - Joie de Vivre

La scène française, en matière de musique à guitares, n’a que faire de certains des courants les plus attachants et captivants apparemment réservés à de nombreuses entités américaines. L’auteur de ces lignes, par exemple, conserve un souvenir impérissable d’un concert d’Isis (et une trouille bleue pendant les facéties du monstrueux chanteur d’Oxbow, en plein strip-tease hallucinogène durant la première partie) pendant lequel quelque chose, dans ces rythmes carrés et ces élans fulgurants de saturation contrôlée, ajoutait un échelon supplémentaire au rock. Méconnu, malheureusement ; étouffé par le post-rock et ses plus fiers représentants, le genre semblait destiné à demeurer dans l’ombre, à se ronger les sangs (et nous taillader les veines) en attendant son heure de gloire. Alors, crions-le haut et fort, cela nous rend prodigieusement mécontents. Les projections énergétiques de musiciens en transe ne sont-elles pas le but premier de la musique ? Ce besoin d’exulter, de foncer tête baissée droit dans le mur, quitte à y laisser quelques dents, mais en étant fier du résultat.

VEGG y croit et veut fracasser les idées reçues contre les fondations de l’explosion harmonique. « Joie de Vivre » est, pour parler communément, une claque. Mais, admettons-le, c’est surtout un grand coup de pied dans une fourmilière hexagonale qui, à l’instar du cinéma fantastique, n’ose pas. Et les Parisiens, eux, ne se posent pas de question. Ils y vont, se donnent et s’écorchent. Et on demeure transcendé par le résultat.

D’un côté du ring, des guitares sobres et droites, prêtes à en découdre, grâce à des armes tantôt délicates, tantôt tranchantes (The Creep), avec leurs homologues rêches et percussives (The Hero). Seules quelques lumières blafardes viennent illuminer le futur terrain d’un combat qui s’annonce, round après round, d’une violence fascinante et mortelle (The Faggot). Les lutteurs sont prêts, entraînés pour la mitraille de coups toujours plus sanglants et entaillant leurs visages déjà meurtris.

Car l’art de la guerre que l’on regarde ici, en spectateur impuissant, mais empli d’une jouissance furieuse et presque masochiste, est calculé, maîtrisé et puissant à contempler. On finit dans les cordes face à des uppercuts déstabilisants (The Retired) avant de chercher à savoir qui va tomber le premier. Pas de match nul possible. Et c’est dans un fracas incroyable que le duel s’achève, dans un surprenant retournement de situation qui nous emmène vers les plus hauts sommets du math-rock américain avant de nous abandonner, le visage décomposé et l’arcade sourcilière éclatée, sur un tapis brutalement saccagé (The Loner). VEGG lève un poing rageur, fier de ses armes mélodiques surprenantes et grisantes, sans coup bas. On reste à terre, vaincu, tout en sachant qu’on pourra difficilement faire le moindre reproche quant au savant talent de l’adversaire.

Un coup de tête, la nuque craque et les vertèbres se brisent. Plus qu’un choc, c’est toute une douleur, intense et sauvage, qui s’insinue dans notre moelle épinière, de celles qui s’immiscent dans les synapses et dérange les défenses cérébrales. Si les sensations sont franches et directes, les hématomes provoqués par VEGG nous marquent et laissent des cicatrices indélébiles. Ballotté entre oppression et libération, entre calme et rage conditionnée et contenue, l’auditeur s’efface devant ces paravents chargés d’aiguilles qui perforent la peau et laissent une empreinte de laquelle le liquide rouge et sombre dégouline puis crache le poison soporifique de la musique française mainstream. On sombre alors dans l’oubli, on s’écrase au sol, allongé et marqué ; mais on comprend que le contact, aussi marquant soit-il, était nécessaire.

VEGG

« Joie de Vivre ». Avant l’album, pas vraiment. Après, c’est une autre histoire. Car on saura encaisser les coups beaucoup plus facilement.

« Joie de Vivre » de VEGG, disponible depuis le 15 août 2014.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.