[Live] This Is Not A Love Song 2019, jour 1

Après une édition 2018 marquée par une affiche regorgeant de groupes célèbres et prestigieux qui n’aura pas apporté toutes ses promesses et lui aura un peu fait perdre de son originalité au milieu des mastodontes estivaux, le festival nîmois This Is Not A Love Song (TINALS pour les intimes et les feignasses) revenait pour une septième édition résolument plus indépendante. Si le pari est réussi en termes de programmations, le festival a par moments été victime de son succès avec une fréquentation exceptionnelle et des couacs organisationnels sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. C’est parti pour un compte-rendu jour par jour de cette fête géante, exubérante et épuisante de trois jours, et on commence bien sûr par le jeudi !

Caroline Rose – crédit : Cédric Oberlin

Cette année, le festival a fait le choix pour le moins étonnant de ramasser l’essentiel de sa programmation quotidienne entre 20 heures et 2 heures du matin et de proposer comme d’habitude quelques concerts entre 15h et 20h, en entrée libre et notamment pour attirer un public plus familial. C’est un tour de force plutôt bien géré qui implique de réussir à « filtrer » le public et virer manu militari (mais dans la bonne humeur) tous les « faux » festivaliers sur les coups de 20 heures. Pour ce faire, le créneau 19h30-20h était systématiquement exempt de tout concert ou animation. Cela dit, on pourra regretter que chaque jour, un groupe soit sacrifié sur l’autel du « tu joues en premier et après il y a un blanc de 45 minutes », ce qui n’est guère motivant pour les festivaliers « payants » qui vont devoir ensuite rester sur place jusque tard dans la nuit. Ainsi, nous ratons les pourtant très sympathiques Le SuperHomard, groupe français qui a sorti cette année un très honnête album d’indie pop luxuriante aux relents de Tricatel / Aquaserge (alors que le groupe n’évolue pas du tout dans cette scène-là). Peu importe, ils rejouent plus tard dans la soirée, mais on se dit que c’est un peu étonnant de les mettre là si on sait qu’il n’y aura quasiment personne pour assister au concert – ça et tous ceux qui viennent de loin et sont encore coincés dans les bouchons. Nous arrivons plutôt vers 18h, après une longue et épuisante route et une escale logement / douche / préparation qui nous retarde quelque peu. On regarde de loin la pop sympathique de Wallows, qui sur un morceau nous rappelle vaguement une vibe très dilettante à la Mac DeMarco, puis sur une autre dégaine des arrangements de cuivres beaucoup trop sophistiqués pour la pop de branleur du Canadien.

Sympathique pour se mettre dans l’ambiance en plein cagnard, descendre une première pinte (une longue dynastie d’ambrées suivra) et visiter le site avec un son sympa dans les oreilles. Le site qui a d’ailleurs un peu changé depuis la dernière fois où nous y étions (2017, ndlr) : la petite scène extérieure sur laquelle HMLTD avait tout explosé il y a deux ans a disparu, et la Mosquito (scène extérieure moyenne, désormais petite en comparaison de l’autre, la Flamingo), semble avoir avancé de 10 ou 20m. Les autres espaces sont conformes à notre souvenir, avec un joli coin pour les enfants et les grands enfants (autre nom du festivalier bourré) équipé de jeux en bois (Puissance 4 géant, jeux de lancer, jeu de palets) et un coin ombragé faisant office d’espace de conférence et d’ateliers et d’aire de repos. Plus d’Elvis pour nous marier, mais on croise une « Happy Team » où le Elvis est devenu Génie rose et l’équipe gère quelques animations amusantes (karaoké, tarot de l’amour, récompenses des jeux proposés ailleurs sur le site, etc.) pour ceux qui ne trouvent pas chaussure à leur pied et concert à leurs oreilles. Ce qui frappe, c’est à quel point tout le monde semble vraiment heureux, sourit, chante, danse et salue tout festivalier qui passe par là, communiquant une bonne humeur vraiment réjouissante. Côté intérieur, on retrouve la grande salle avec son balcon, aux dimensions hors normes et pouvant théoriquement accueillir même une tête d’affiche du festival sans problème, le patio, espace à ciel ouvert au sein du bâtiment la Paloma où l’on retrouve un bar et une file cashless où il n’y a jamais personne puisque personne ne sait qu’elle est là, et le club, qui n’accueillait plus de concerts depuis l’édition de 2017, mais qui cette année s’y est remis, avec un succès mitigé comme nous le verrons.

Le tour du propriétaire derrière nous – il fallait bien présenter les lieux au petit nouveau qui nous accompagnait cette année ! – on décide d’aller voir les copines lyonnaises Nina & Simone qui font leur blind-test au Patio. Le talent d’animatrices de ce duo ne se dément pas tant leur sens de la répartie est au moins aussi amusant que leur sélection musicale éclectique et endiablée. On trouve quelques morceaux (bon OK, beaucoup de morceaux, à tel point qu’elles finissent par ignorer nos mains levées pour que tout le monde puisse jouer), les filles distribuent des cadeaux aux festivaliers qui trouvent aussi des musiques, l’ambiance est super fun et, à la fin du jeu, on s’éclipse et on se dirige enfin vers un concert qu’on décide de suivre assidûment, puisque nous sommes après tout là pour cela.

On décide alors d’aller voir The Nude Party qui, sur album, nous avait moyennement convaincus – euphémisme – avec un rock tellement référencé qu’il sonnait comme une parodie peu inspirée et vaguement premier degré. Premier constant en arrivant devant la Mosquito : pour un groupe qui s’appelle grosso modo « la fête naturiste », ces gens sont un peu trop habillés, et deuxième constat : c’est vraiment pas terrible. Certes leur classic rock très old school est plutôt bien exécuté, mais en trente secondes d’un morceau, on en a déjà fait le tour, on a eu à l’esprit au moins quatre ou cinq chansons plus connues existantes qui y ressemblaient en mieux et on se dit que le groupe, malgré sa bonne humeur, n’a pas grand-chose à raconter autre que leur amour manifeste pour le Velvet Underground, qui ne dément d’ailleurs toujours pas sa place au panthéon des groupes les plus influents – et donc les plus pillés – de l’histoire du rock. Après un ou deux autres titres dans une veine très Rolling Stones revus par le Brian Jonestown Massacre, le concert s’achève. Mouais.

Le food truck à gauche de la scène commence à nous faire de l’œil, mais il est bien trop tôt et nous nous sommes fixés un budget serré côté bouffe et boisson, donc nous repartons, d’autant que Black Midi ne va pas tarder à commencer au Club et qu’on pense qu’il y aura du monde pour les voir, même s’ils jouent en même temps qu’Aldous Harding dans la Grande salle. Nous ne croyons pas si bien dire. L’accès aux deux salles n’est pas permis avant 20 heures pétantes, ce qui en soi est une première aberration, puisqu’un gigantesque bouchon se crée dans la Paloma, que le Patio fait office de sas pour faire la queue pour l’une des deux salles, et que la cohue générale commence un peu à semer la panique et à énerver le public qui sent venir l’entourloupe. Quand les portes ouvrent, si pour la Grande Salle qui a une capacité énorme ça ne pose visiblement aucun souci, pour le Club qui va accueillir Black Midi, un des groupes les plus en vues de la scène art punk britannique actuelle – le tout sans avoir sorti d’album, c’est une autre histoire. On a vite l’impression que la salle est pleine à craquer et que tout le monde ne va pas pouvoir rentrer, et notre groupe se retrouve séparé dans la foule. Problème, une fois à l’intérieur, nous nous apercevons qu’il y a au contraire largement la place de faire entrer encore quelques dizaines de spectateurs, et pourtant non. La faute à un public qui se répartit mal et bouche l’accès unique à la salle. La faute à une sécurité aux ordres (de qui ?) un peu trop zélés et déconnectés de la réalité de la salle. En tout cas de très nombreux spectateurs payants n’auront pas pu accéder à ce concert et ce n’est pas normal. Nous ratons pour notre part le premier morceau à cause de ces problèmes de queue, mais la monumentale tarte que nous collent les Anglais efface bien vite cette frustration.

Le groupe délivre tout bonnement ce qui restera comme le meilleur concert de la soirée – et un des meilleurs du festival. D’une précision infernale grâce à un batteur exceptionnel et des musiciens visiblement formés au jazz, les musiciens aux chapeaux de cowboys déroulent une musique difficilement descriptible, mais qui donne parfois l’impression d’assister à un tribute de Primus joué par le Dillinger Escape Plan. Riffs acérés, parfois dissonants, assénés avec une force implacable, batteur en roue libre qui joue des breaks époustouflants et conduit le concert comme une jam effrénée où les morceaux – ou parties de morceaux – s’enchaînent sans temps morts, mais juste avec des changements de rythme et des effets de contrastes saisissants qui ramènent du groove à cette musique chirurgicale. D’une minute à l’autre, on passe du funk au hardcore, du jazz au metal alternatif et du blues à la noise dans un tourbillon. Comme l’album ne sort que le 21 juin (il s’annonce excellent, vu le concert), on ne reconnaît pas grand-chose, ni même les trois morceaux déjà publiés, mais, peu importe, l’énergie hallucinante que met le groupe dans sa musique et l’inventivité renversante de leur musique se communiquent rapidement à un public médusé qui sans se lancer dans un pogo (les tempos sont trop complexes et aléatoires pour cela) réagit en plein milieu des morceaux aux prouesses des musiciens, ce qui est rare dans un concert de rock, bien que fréquent dans un concert de jazz (un bon indice de l’univers quasi extraterrestre dans lequel le groupe navigue). Le show est si hallucinant que des inconnus autour de nous ressentent le besoin de nous prendre à témoin du génie de ce à quoi nous assistons, et de sortir de la bulle dans laquelle on se trouve généralement en tant que spectateur d’un concert. Si votre voisin, un parfait inconnu, voyant que vous appréciez aussi le spectacle, ressent l’envie de manifester son enthousiasme et de le partager avec vous de la sorte, c’est qu’il se passe un truc de puissant, de magique. C’est l’exploit qu’a réussi Black Midi en jouant devant un parterre de curieux et de gens dont la plupart n’avait probablement jamais entendu le moindre son de ce tout jeune et mystérieux groupe si prometteur.

À la fin du concert, nous restons dans la salle, car le prochain concert qui nous intéresse s’y trouve et que nous ne voulons pas revivre l’enfer de la cohue précédente. Presque tous nos amis nous y rejoignent, la plupart ayant assisté par dépit au concert d’Aldous Harding dont le folk intimiste à fleur de peau divise – en même temps, ce n’est a priori pas la tasse de thé des fans de punk. On croise aussi une vieille amie et camarade de classe d’il y a dix pas revue depuis des années par un pur hasard, le genre de choses qui arrive presque systématiquement en festival où qu’il se déroule et qui procure toujours une joie immense, car sincère et inattendue. Notons au passage l’excellence de la playlist d’attente entre les deux concerts du Club puisque la personne en charge avait décidé d’écouter les BBC Sessions de Led Zeppelin, un choix éclairé s’il en est. Mais les meilleures choses ont une fin et Robert Plant se fait bientôt couper le sifflet pour que s’installent les Japonaises rigolotes de Chai. Rigolote n’étant ici pas employé à la légère tant rien ne nous paraît mieux résumer l’attitude de ce quatuor nippon, qui joue un hybride réjouissant de J-pop et de punk sous fond de critique acerbe et hilarante des diktats du Kawaï, un code de beauté japonais qui consiste en un culte de ce qui est considéré comme mignon, mais obéit à des standards très stricts. Venues défendre un dernier album judicieusement intitulé « PUNK » et dont la pochette facétieuse montre un visage déformé en train de se curer le nez, le quatuor débarque sur scène en tenues de pom pom girls – ou de membres d’un girls band de J pop lambda, affichant une bonne jovialité qui semble tout sauf affectée. Si le début du concert fait instantanément fuir quelques badauds qui ne connaissaient pas et se retrouvent pendant quelques mesures devant un spectacle correspondant effectivement aux canons de la J pop, dès que la batteuse et la guitariste s’en mêlent, le doute vole en éclat et la vérité éclate : ces filles jouent bien du punk.

Chai – crédit : Cédric Oberlin

Du punk réjouissant, du dance-punk si vous voulez – on songe parfois à Le Tigre ou même à Sleigh Bells en moins noise et bordélique, mais du punk quand même. Et le jeu de la batteuse force au passage le respect tant elle fait des merveilles. Rapidement, on se retrouve à chanter en yaourt des paroles dont on n’a pas la moindre idée du sens, sans lorsqu’elles basculent le temps d’un refrain en anglais, mais surtout, on danse et on s’amuse énormément, comme lors de ce break impromptu et a cappella où les quatre musiciennes s’alignent sur le bord de scène, exécutent une chorégraphie et reprennent quelques passages d’un tube des Ting Tings avant d’enchaîner sur un titre d’ABBA que nous mettons un moment à reconnaître avant d’éclater de rire. Entre les morceaux, la chanteuse parle beaucoup dans un anglais difficilement compréhensible, mais elle aborde des sujets essentiels et étonnants avec un humour bien senti, tels que le « body positivity », évoquant ses complexes devant ses yeux ou ses jambes qui ne correspondent pas aux canons de la beauté japonaise, et avant de les envoyer balader pour jouer l’assez géniale « Neo Kawaii ». Retournant ainsi les clichés inhérents à un genre qu’elles détruisent de l’intérieur avec férocité et un enthousiasme débordant (un peu comme ces animaux mignons qui se trucident dans Happy Tree Friends), elles nous parlent de leur ressemblance physique – un cliché sur les asiatiques du point de vue occidental, mais aussi sur l’industrie de la J pop et de la K pop où les membres d’un même groupe doivent se ressembler le plus possible quitte à recourir à la chirurgie – avant de nous confier que c’est parce que deux d’entre elles sont en fait jumelles, devant l’hilarité générale. À l’inverse, la bassiste et la batteuse reprennent le même discours et nous expliquent qu’elles ne se ressemblent pas et ne sont pas jumelles avant de faire des moues tristes. Seule ombre au tableau, la durée bien trop courte du concert, qui se finit prématurément (sans doute parce que sur la durée le genre peut aussi s’avérer un brin redondant et limité artistiquement ?), là où Black Midi avait au contraire profité du temps entre les deux sets pour dépasser un peu. Ce n’est pas bien grave, elles nous auront fait rire et danser comme des fous en pensant aux Riot Grrrls comme à Baby Metal, et c’est le plus important.

On se dépêche de quitter le Club pour rejoindre la grande salle pour voir la fin de Shellac dont le set dépassait de toute façon celui des Japonaises, mais comme elles ont en plus fini en avance (peut-être pour les voir aussi, qui sait ?) on se retrouve en plus avec une bonne moitié du concert à se mettre sous la dent. Comme il est souvent difficile de se mettre dans l’ambiance en débarquant en plein milieu d’un concert, nous optons pour le balcon et nous nous retrouvons vite en situation de simili-headbang depuis la balustrade, ce qui est assez cocasse. C’est bien simple, dès que le bassiste frôle une de ses cordes, les murs tremblent, donc quand le batteur et Monsieur Steve Albini à la guitare et au chant s’y mettent, c’est l’apocalypse. Le trio fait un bruit pas possible avec trois fois rien, et joue un rock basique de l’enfer avec une puissance de destruction inimaginable, et du coup ça marche.

On reconnaît quelques morceaux du tout premier album et du dernier, « Dude Incredible », paru en 2014, mais on regrette les longs blancs entre deux morceaux, qui cassent la dynamique d’un set pourtant conçu pour tout casser (un sacré paradoxe, si vous voulez notre avis). Tout au plus, l’interminable anecdote au sujet d’une chanson intitulée « Wingwalker » (une face B du groupe souvent appelée « I’m a plane » à tort à cause des paroles et des acrobaties des musiciens quand ils la jouent), nous arrachera quelques sourires malgré des détails sexuels un brin sordides dont nous nous serions passés. On applaudira en revanche le bassiste qui tient sa position « d’avion » pendant un long moment, en équilibre sur un pied, instrument à la main. Ça ne sert absolument à rien, mais c’était drôle. En revanche dès que le groupe joue, ça calme, à l’instar de ce final incroyable sur « Dude Incredible » et ses riffs et breaks écrasants étirés à l’infini. Mort de la subtilité et de nos tympans, mais on en reste pantois.

On chope la fin de Ron Gallo sur la Mosquito, histoire de goûter un peu une énième variation – efficace mais pas hyper inspirée – autour d’un rock fuzzy et vintage résolument tourné vers les guitares pyrotechniques et les coupes de cheveux improbables des années 70, puis on va voir quelques minutes du Superhomard au Patio, pour exorciser le peu de culpabilité que nous avions d’avoir snobé leur concert de 15h. C’est comme prévu élégant, mignon et sophistiqué, ça ressemble décidément énormément à n’importe quel groupe ou artiste passé par l’école Burgalat – Tricatel et c’est d’autant plus bluffant que ce n’est pas leur cas, mais ça fait le job et la chanteuse est vraiment jolie. Malheureusement, ce n’est pas non plus assez mémorable ou enthousiasmant pour que nous restions plus de 10 minutes et nous filons au Club où là encore ça coince à l’entrée à cause de la sécu qui filtre alors que la salle est à moitié vide (et on est sérieux, on aurait pu s’allonger par terre et faire l’ange sur le sol qu’on n’aurait pas touché nos voisins).

Fort heureusement, on finit par accéder à la salle et on reste pour une bonne moitié du concert des Messthetics, une formation instrumentale composée en partie de membres de Fugazi (ce qui explique pourquoi autant de monde voulait les voir) qui officie dans un registre plutôt orienté post-rock, math-rock voire rock progressif (ce qui explique pourquoi la salle s’est rapidement vidée de moitié). Techniquement c’était bluffant, le batteur avait même une grosse cloche en fonte attachée à son drum-set, et le guitariste envoyait des sons de l’espace – cruellement sous-mixés par rapport à l’album cela dit, mais le tout manquait un peu d’incarnation, d’humanité. À cette froideur on ajoute le mutisme d’une musique purement instrumentale et pas vraiment faite pour danser non plus, ce qui nous amène à penser que ce n’était peut-être pas le groupe idéal à programmer dans ce genre de festival, tant leur univers s’adresse plutôt à un public prog ou jazz – qui a dit snob ? Bref, c’était objectivement de haut vol, mais difficile de se passionner pour ce genre de musique à cet endroit et à ce moment précis.

La programmation étant très chargée et beaucoup de sets étant superposés à d’autres, nous avions sacrifié Kurt Vile pour voir Messthetics (désolé Kurt, mais on t’a vu environ douze mille fois en 5 ans, et la dernière fois nous avait en plus laissé de marbre), donc nous rejoignons le reste de nos amis devant les légendes de l’indie rock Built to Spill, en pleine tournée anniversaire de leur album culte de 1999, « Keep it Like a Secret » (un secret si bien gardé que l’album n’est d’ailleurs pas disponible sur les plates-formes de streaming). Un des membres de notre troupe d’amis lyonnais les avait d’ailleurs vus la veille à Lyon et avait été très déçu, il y avait donc une attente certaine à l’approche de ce concert. Si de nombreux avis c’était très beau et très bien, en tout cas mieux que la veille, précisons néanmoins que de mémoire nous n’avons rarement vu un groupe tirer autant la gueule sur scène et dégager si peu de présence.

Les musiciens ne se regardent pas, ne nous regardent pas et n’ont absolument aucune énergie pour jouer des morceaux pourtant, il faut bien l’avouer, assez magnifiques. Doug Martsch tire de sa guitare des sons exceptionnels et vibrants et sa voix est assez captivante, mais le groupe fait si peine à voir qu’on n’arrive pas à entrer dans le concert, à moins sans doute de connaître par cœur la musique, ce qui n’était de toute évidence pas notre cas. Après de longues minutes assez pénibles où l’on est tiraillé entre le sentiment que tout de même, c’est bien, et une voix dans notre tête qui nous hurle qu’elle s’ennuie et que c’est nul, on décide de s’en aller pendant que le groupe étire à l’infini l’outro de « Broken Chairs », la dernière chanson de l’album qui fut jouée en entier et dans le désordre ce soir. Et bien nous en a pris, car nous arrivons devant la scène Mosquito quelques minutes avant le début d’un concert auquel nous n’avions absolument pas prévu d’assister au départ, mais que l’insistance d’un de nos amis avait fini par transformer en alternative plus que crédible pour la fin de soirée…

Caroline Rose arrive donc sur scène avec un look sportswear imparable, une claviériste-multi-instrumentiste gonflée à bloc, un bassiste absolument canon et un batteur qui arbore fièrement un T-shirt « Support Sex Workers ». Autant dire qu’on ne saurait commencer mieux. Et, très rapidement, on s’aperçoit que ce concert restera comme un des moments les plus funs de la soirée, la pop espiègle et parfois un peu musclée de Caroline Rose faisant des merveilles. Le public est incontestablement le plus cool de toute la soirée, et le plus safe de tout le festival, puisque l’intégralité des premiers rangs semble composée de jeunes LGBTQ visiblement ravis d’être là, et que le groupe qui joue devant nous et de toute évidence a minima queer friendly.

La complicité qui unit les quatre musiciens, associée à l’efficacité pop de titres comme « Bikini » ou « Cry ! », dominés par des claviers vintages. Là encore, derrière l’humour et le second degré se cache le commentaire plus politique d’une certaine jeunesse qui revendique le droit d’être anticonformiste et de disposer de son corps comme elle l’entend. Caroline Rose profite d’un incident de sangle (spontané ou non, dur à dire) pour lancer un fendard « No more guitars ! » à l’audience, sortir un kazoo et reprendre « I Don’t Want to Miss a Thing » d’Aerosmith dans l’allégresse générale. Une bonne teuf de fin de soirée, même pas gâchée à la fin du concert lorsqu’une bande de mecs relous et bourrés viennent éventrer la fosse où tout le monde dansait peinard pour lancer un absurde pogo qui effraie une bonne partie des meufs initialement présentes. Sans doute la plus belle découverte scénique du festival à défaut d’être vraiment le meilleur concert.

La soirée touche à sa fin, et nous décidons de voir la deuxième moitié de Fat White Family qui joue dans la grande salle. C’était un de nos choix initiaux, mais le concert de Caroline Rose ayant été particulièrement fun et convaincant, nous sommes restés jusqu’à la fin. Là encore, au moment d’arriver devant l’entrée de la Grande Salle, un vigile nous barre l’accès, prétextant que la salle est pleine. C’est la goutte d’eau : c’est le quatrième concert de la soirée où cet incident arrive, tout le monde autour de nous s’en est également plaint et potentiellement quelques milliers de personnes n’ont donc pas pu assister, à différents moments de la soirée, à un concert pour lequel ils ont techniquement payé un droit d’accès. Nous commençons à discuter calmement avec le vigile, lui signalant que pour les autres concerts où ils filtraient, il y avait systématiquement de la place à l’intérieur, et les quelques personnes qui quittent la salle à ce moment le confirment d’ailleurs aisément, rien n’y fait. À ce moment, une scène que nous n’avions pas vu venir démarre, et une personne sortant de la salle et se présentant à nous comme un officiel du festival – nous tairons son nom – décide de nous empoigner par les épaules et de nous éloigner contre notre volonté pour nous hurler dessus dans le couloir et nous faire une leçon de morale aussi hallucinante qu’indigne et franchement odieuse. Peu importe le rang qu’occupe cette personne dans l’organisation du festival, la violence de son laïus et la dimension humiliante et paternaliste de son comportement (gestuelle déplacée, tutoiement et interrogatoire en règle de notre « pedigree » de festivals à l’étranger complètement hors de propos) sont inexcusables. Nous ne remettions absolument pas en cause la qualité de son travail ni celle du festival et de sa programmation, nous soulevions simplement un problème manifeste et incontestable d’organisation et de gestion des flux du public. Peu importe que la norme de festivals étrangers soit de faire la queue, pour assister aux concerts, sans garantie d’y assister (et franchement on en doute, mais cette personne nous l’a assuré), ce n’est parce que cela existe ailleurs qu’il faut prendre exemple dessus, et un très grand nombre de personnes a été frustré de ne pas avoir pu assister à Black Midi par exemple. Le type continue de nous hurler dessus, se moque même un moment du média pour lequel nous travaillons avec une condescendance désarmante, et alors qu’il fait mine de carrément essayer de nous dégager du festival (!), un badaud passe prendre notre défense et le vigile revient nous chercher pour nous faire entrer dans la salle, car finalement il y avait bien de la place.

L’incident est clos, mais nous somme si secoués qu’il nous est parfaitement impossible d’apprécier la fin du concert de Fat White Family, qui nous semble être en plus de cela un énorme bordel bruitiste quelque part entre les Stooges et les Black Angels, avec un chanteur à moitié nu et franchement effrayant en train de hurler sur scène pendant que ses acolytes envoient de gros riffs psychédéliques à un volume indécent. Nous devrions de toute façon les recroiser sur scène en septembre pour le Levitation à Angers, gageons que nous serions d’une humeur plus compatible avec leur style.

C’est donc sur une note plutôt amère et inquiétante que se termine cette première soirée au TINALS 2019, soirée par ailleurs marquée par une programmation de haut vol et des prestations marquantes dans des styles très différents par des artistes aux univers diamétralement opposés. Si Black Midi emporte sans conteste la palme du concert de la soirée (c’est donc d’autant plus frustrant que tant de monde n’ait pu y assister), Chai et Caroline Rose se partagent quant à elles celles du fun et de l’inclusivité, tandis que Shellac emporte avec lui celle de la force de frappe. Le jour 2 s’annonce tout de même sous de très beaux auspices.


Retrouvez This Is Not A Love Song sur :
Site officielFacebookTwitter

Photo of author

Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique