[LP] Tim Hecker – Love Streams

En une quinzaine d’années seulement, Tim Hecker s’est établi comme porte-étendard de la musique électronique expérimentale en évoluant d’album en album, sans jamais perdre en qualité ni créativité. Il nous avait laissés au sommet en 2013 avec « Virgins », un chef-d’œuvre de musique drone qui avait défrayé la chronique et qu’on avait trouvé dans quasiment toutes les listes des meilleurs albums ; mais il prouve avec ce nouveau disque, « Love Streams », qu’il est désormais prêt à s’attaquer à d’autres hauteurs.

Tim Hecker - Love Streams

Plus qu’une rupture dans la discographie du Canadien, « Love Streams » semble être une transition visant à rajouter progressivement des éléments beaucoup plus organiques et mélodiques au cœur de la base froide, chaotique et abstraite qui caractérise sa musique. Tim Hecker a ainsi utilisé des chœurs religieux islandais (leur demandant régulièrement de « sonner plus comme Chewbacca ») chantant en latin inversé en tant qu’accompagnement à la transformation digitale de thèmes musicaux datant du XVe siècle. Dans les deux « Violet Monumental », les voix ont ainsi cet aspect de rivière, de brouillard déroutant résonnant de tous les côtés à la fois, afin de former une sensualité onirique venant d’ailleurs. Tim dit lui-même qu’il conçoit l’album comme « une voix transcendantale dans l’âge de l’auto-tune », s’opposant ainsi directement à tous ses précédents albums totalement instrumentaux.

Chanson après chanson, on est submergé par les gammes chromatiques qui s’agitent et s’exaltent, formant un all-over musical aux limites infinies, au chaos harmonieux coloré. L’ambient à la Tangerine Dream paraît ainsi être une toile sur laquelle les lignes étincelantes de synthé coulent et dansent comme le long d’une cascade. Contrairement à ses précédents efforts, « Love Streams » ne paraît pas être un tout uniforme mais bien un courant tortueux, une palette évasée à l’intérieur de laquelle chaque couleur prend son sens, d’abord individuellement, avant de s’inscrire dans un tout. Ce changement dans le rapport à la musique rappelle la manière dont Daniel Lopatin aborde ses créations : chaque piste fonctionne comme un mécanisme indépendant qui ne paraît nécessiter ni début, ni fin. « Obsidian Counterpoint » ouvre l’album de la même manière que « Boring Angel » ouvrait « R Plus Seven » de Oneohtrix Point Never, avec des notes galopantes de synthé et de flûte qui avancent délicatement dans l’espace sonore à travers des mélodies qui hantent et bouleversent à la fois.

Tim Hecker continue néanmoins résolument à jouer et à travailler avec le son afin de produire une expérience mystique : on vogue d’une idée, d’une dimension sonore à l’autre. La richesse instrumentale, comme celle portée à travers les remous du torrent par « Live Leak Instrumental » ou « Collapse Sonata », rend chaque son intrigant et éclatant, comme si une chaleur inébriative ravissait tous nos sens. Dans une subtilité sonique que lui seul peut produire, les parties apaisantes peuvent éclater en mur de bruit électrique sans que cela ne dérange d’une quelconque façon ; des chansons comme « Castrati Stack » ou « Voice Crack » montrent le contraste entre les envolées lyriques vocales dignes de Slowdive et la distorsion, le grondement digital furieux qui s’échappe sporadiquement. La multitude de nappes sonores de chansons comme « Music of The Air » se dévoile un peu plus à chaque écoute, dans un éclat triomphant nous donnant la liberté de flotter, de voler au milieu de toutes les mélodies colorées.

La pochette rappelle le titre de l’album « Harmony In Ultraviolet » et paraît, en effet, exploiter l’héritage violemment dramatique en lui donnant une dimension plus picturale, à mi-chemin entre Ben Frost et Arca. Le drone ambulant de « Up Red Bull Creek » semble ainsi dessiner délicatement des images dans l’environnement sonore, une chanson comme « Black Phase » étend un horizon paradisiaque alimenté par des couches sonores tout aussi floues et éthérées les unes que les autres ; alors que « Bije Dream » quitte l’univers océanique sous la forme d’une brume sonore cadencée par des fragments mélodiques oniriques et arythmiques. Cet univers unique et expérimental se trouve donc être, encore une fois dans la discographie du musicien, le paroxysme de la musique directe qui vise le cœur et l’imagination sans aucune contrainte.

« Love Streams » est donc presque un exercice de style de la part de Tim Hecker, qui prouve encore une fois qu’il est le maître de la musique électronique expérimentale et que son art évolue sans jamais s’arrêter plus qu’il ne faut à une étape. Grâce à un paysagisme abstrait coloré et mélodique, le musicien explore une facette encore nouvelle de la beauté d’une manière extrêmement personnelle, contemplative et unique.

Tim Hecker

« Love Streams » de Tim Hecker est disponible depuis le 8 avril 2016 chez 4AD et Paper Bag Records.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général