[Interview] Thylacine

Nous sommes allés à la rencontre de Thylacine, jeune phénomène de l’électro française, à l’occasion de son passage dans un Stereolux bouillant venu l’accueillir pour la sortie de sa dernière création « ROADS – Vol.1 ». Cette fois encore, comme pour « Transsiberian », son premier album, il a décidé de s’échapper de son home studio afin d’y trouver une plus grande créativité. Il est parti pour un voyage initiatique au travers d’une Argentine où il s’est mêlé aux autochtones et a affronté les éléments pour en revenir avec dix titres d’une grande sensibilité, toujours électroniques, mais avec une sonorité beaucoup plus acoustique. Écoutons-le nous conter son road trip captivant ainsi que la genèse de ce nouvel opus.

crédit : Fabien Tijou
  • Tu as composé tes deux derniers albums lors de voyages ; « Transsiberian » à travers l’Europe de l’Est et « ROADS – Vol.1 »  Sud. Quelle place occupe le voyage dans ton travail de composition ? Avais-tu fait le tour du travail en home studio ?

Pas du tout. C’est plutôt venu d’un constat en Amérique du Sud, en me posant la question « Pourquoi cette semaine, j’ai bossé comme un fou et je n’ai rien d’intéressant alors que parfois il me suffit d’une journée, deux journées et là il y a un truc ». Je me suis rendu compte que quand j’été dans des lieux différents, dans des situations de voyage ou que je vivais des choses assez fortes, j’avais du coup des choses à raconter en musique. C’était beaucoup plus naturel, facile et il y avait une « vraie inspiration ». Quand je reste chez moi, j’ai l’impression de faire une musique un peu fade, qui ne raconte pas grand-chose. Il y a ça et il y a aussi le fait que le voyage me permet de me couper d’un peu tout et d’avoir vraiment le temps de me plonger entièrement dans la création sans avoir un rendez-vous qui m’en extirpe. J’avais besoin, de temps en temps, de commencer des fois un morceau à minuit et de finir à 8h du mat’. Pouvoir avoir une temporalité complètement libre. N’avoir aucune obligation. Ce sont des moments qui me permettent de me plonger complètement dans la musique. Pour moi, c’est important en tout cas.

  • Tes productions s’accompagnent de chants et de paroles. À quel moment décides-tu d’ajouter des voix à ton travail de composition électronique et instrumental ? Est-ce au fil des rencontres ?

Oui, il y a différents cas de figure. Des fois, sur des morceaux, la voix va être une rencontre, un enregistrement, presque le point de départ du morceau. Je vais construire le morceau à partir de ça. Ça m’est arrivé plein de fois, aussi bien sur « Transsiberian » que sur mon dernier album. Et puis, il y a des fois où ça vient après, avec du recul. Certaines fois, il s’agit d’un morceau que j’ai commencé, et puis là il y a une rencontre qui se fait. Quand ça marche, c’est génial ! Sur cet album j’ai deux morceaux, c’est la première fois que ça me fait ça, que ce soit sur « 4500m » et « Santa Barbara ». Il s’agit instrumentaux que j’avais fait là-bas, en Argentine. Pour « 4500m », j’étais bloqué dans le désert du Chili à cette hauteur. C’était un truc assez fort avec un énorme orage. Toute la région était bloquée. J’étais coincé sur place. J’avais un peu envie de raconter ce rapport aux éléments, de raconter ce moment. Du coup, je l’ai envoyé ensuite à J Meideros en lui expliquant toute l’histoire. Il y avait quelque chose à raconter aussi en texte cette fois-ci. Moi je ne suis pas du tout parolier, alors je trouve les personnes qui savent le faire bien.

Sur « Santa Barbara », ça parle d’un tout petit village où j’étais resté plusieurs semaines, avec qui j’avais lié une grosse amitié. Pareil, j’avais envie de raconter des petites bribes de quotidien.

  • En parlant de ce petit village, quel a été ton plus beau moment d’humanité vécu lors de ton périple argentin ?

Clairement, ça a été tous ces moments que j’ai passés avec eux. Ça s’est fait petit à petit. Au départ, c’était forcément très froid, sur la défensive même. Et puis au fur et à mesure je les ai aidés… Ils avaient besoin de médicaments pour un bébé. D’autres fois, ils n’avaient pas de voiture et je les emmène un peu à droite à gauche. Au fur et à mesure, on mangeait tous les jours ensemble, on allait pêcher à la main dans la rivière, on faisait des ascensions de montagne, etc. ; c’était un quotidien comme ça. Eux, c’était une petite communauté, une sorte de famille élargie. Une dizaine de personnes grand max. C’était le quotidien. Ils venaient frapper à la porte de la caravane : « On a fait du maté. Tu viens manger avec nous ? ». C’était une proximité assez géniale. À la fin, ils m’ont même fait un grand banquet d’au revoir. C’était un rapport très fort.

  • As-tu gardé des contacts avec certaines de tes rencontres ?

Oui parce que quelques-uns ont un téléphone. Là-bas, ils n’ont pas de réseau, mais quand ils vont dans de plus grosses villes, ils peuvent m’envoyer des messages. On s’envoie des messages de temps en temps et à chaque fois ils me demandent quand je reviens. Je croise les doigts pour avoir un concert en Amérique du Sud pour pouvoir y faire un détour. J’espère vraiment pouvoir faire ça…

  • La part du saxophone est importante sur cet album. Tu as eu une formation classique à cet instrument. Quelle ambiance souhaitais-tu apporter à tes compositions par le biais de cet instrument ?

Eh bien ! je ne l’ai pas trop choisi pour instaurer une ambiance ou autre. C’est plus qu’il y a assez peu de morceaux où le saxophone marche bien, je trouve, sans qu’ils soient cheesy. Il y a assez peu de morceaux où ça fonctionne, et là c’est la première fois. Sur « Transsiberian », dans le train, j’avais rien pu enregistrer sur le moment. Là, c’était la première fois où j’avais le temps, les micros, l’environnement nécessaires pour travailler là-dessus et au-delà d’une ambiance. Même si parfois c’est peut-être un rapport de solitude avec son instrument au milieu de nulle part. Mais c’est plus que ça, vu que c’est un instrument que je maîtrise maintenant ; je n’ai pas une affinité plus particulière avec son son, j’ai grandi avec lui. Ça me permet de me balader en écriture, en mélodie ou autre, et proposer quelque chose de différent que ce que je ne ferais pas sur un morceau normal. Ce n’est pas du tout la même écriture. C’est assez particulier, mais je ne sais pas où je veux emmener mes morceaux. Je me laisse un peu emporter et quand ça marche, je continue. Je me laisse emporter moi-même quoi.

  • Ton album est plus instrumental que les précédents. Cela traduit-il chez toi une envie de te rapprocher durablement de ce style ?

Durablement ? C’est possible. On va voir ce qui va se passer, mais c’est vrai que c’était aussi ma première occasion de le faire. J’avais un vrai studio. Pour « Transsiberian », c’était au casque avec un ordinateur, un petit clavier ou autre. J’avais beaucoup composé comme ça avant. Avec peu de moyens, peu de matériel et jamais dans de grands studios. C’est vrai que ça m’a fait beaucoup de bien. J’aime beaucoup la musique électronique… mais des fois les sons synthétiques me fatiguent. Moi, j’adore faire de la musique électronique avec des sons organiques, qui sont plus chauds. En plus, j’adore découvrir des instruments avec lesquels je ne sais pas forcément jouer. J’explore, je découvre et s’est hyper inspirant pour moi au niveau mélodie ou autre. C’est très agréable. Là, c’est vrai qu’il y a des instruments de voyage que je redécouvre et avec lesquels j’ai envie de travailler un peu. C’est quelque chose qui me plaît pas mal. On va voir si ça va durer, mais, en tout cas, en ce moment c’est vraiment le cas.

  • La part d’instruments argentins est-elle importante sur cet album ?

Oui, déjà, je me suis pris la guitare de plein fouet en Argentine. Ce n’est pas rien ! C’est LA culture globale. Donc la guitare est assez présente, mais aussi il y a un instrument qui s’appelle le charango. Je l’ai utilisé au final sur au moins quatre morceaux. C’est un tout petit instrument de style ukulélé, mais à 12 cordes doublées, que j’ai beaucoup utilisé et qui m’a permis de lancer plein de mélodies. Je suis parti là-bas avec uniquement un saxophone. Même la guitare je n’en avais pas et je n’en ai pas acheté. Les gens me disaient « Ah tiens musicien, j’ai ça si tu veux » et puis je leur empruntais pendant plusieurs jours et ça me permettait de travailler dessus. Donc voilà, ce ne sont que des instruments que j’ai trouvé sur place.

  • La musique argentine t’a-t-elle inspiré et accompagné lors de ton périple ? A-t-elle nourri tes compositions ?

Oui, bien sûr, quand je rencontrais des gens je leur demandais « C’est quoi la musique que vous écoutez ? ». En général, je ne leur parle pas de ma propre musique, sauf s’ils me le demandent. Je ne fais pas écouter ce que je fais. Je n’ai pas envie de m’imposer comme ça. Par contre, je suis curieux et j’ai envie de découvrir ce qu’ils écoutent. Sur « Murga », il y a la voix de Juana Molina qui est une chanteuse argentine, que des gens m’ont fait découvrir là-bas. Sur « Purmamarca » il y a un sample d’un vieux morceau de José Larralde. Ici, pareil, c’est des gens qui m’ont fait découvrir. Ça m’est resté vachement en tête et je l’ai alors utilisé. Il y a des morceaux de la culture là-bas, découverts sur place, que j’ai réutilisé.

  • Molécule était rejoint, lors de son périple en Alaska, d’un ami vidéaste pour agrémenter sa musique de visuels, qu’il a ensuite su mettre à profit dans son live. Te concernant, tes clips sont tournés en pleine nature. As-tu tourné ces images ou étais-tu accompagné sur la route ? As-tu bénéficié d’aides extérieures pour le dire autrement ?

Les deux en fait. J’ai eu deux périodes où un réalisateur m’a suivi. La première semaine et puis à la fin j’ai retrouvé deux cadreurs argentins qui m’ont rejoint. Pareil, une grosse semaine. Après, le reste du temps, c’est moi qui filmais tout ; mon ingé son ou ma copine m’ont rejoint occasionnellement selon si j’étais tout seul ou avec quelqu’un. J’avais envie (de solitude) cette fois-ci, car sur « Transsiberian », j’avais ma petite équipe pour faire un documentaire. Là, j’avais envie de retrouver une liberté totale de mouvement. Je ne voulais pas partir avec une équipe qui dort à l’hôtel alors que moi je passais plus d’une semaine au milieu du désert. Après il n’y avait pas d’hôtel. Je n’avais pas envie de me soucier de tout ça avec un itinéraire préétabli. Je n’avais pas d’itinéraire, je changeais de destination du jour au lendemain. J’avais envie de garder cette liberté forte de mouvement. Ça passait par le fait de produire de l’image un peu plus amateur, à la première personne. C’est quelque chose que j’ai bien aimé même si, du coup, je ne peux pas en sortir un documentaire. Cela m’a apporté beaucoup de liberté on va dire.

  • Tu joues tout à l’heure dans la salle Maxi de Stereolux. Comment as-tu préparé ton show ? Va-t-il évoluer au fils des dates qui s’enchaînent pour toi ?

Ouais, il a déjà pas mal évolué en fait (rire). C’est le but des concerts aujourd’hui, c’est une sorte de voyage au milieu du voyage. J’y mélange un peu tout, des morceaux de « Transsiberian » et aussi du dernier album avec parfois aussi de vieux morceaux. J’ai créé toute une scénographie en écho à ce dernier album. C’est une fenêtre ouverte sur ce que j’ai pu vivre là-bas. Moi, ce que je fais en concert, ce n’est vraiment pas de jouer les morceaux de « ROADS – vol.1 » tels qu’ils y sont. Il s’agit plus de les casser, de les faire vivre. Certains sont complètement dégommés et d’autres vont ressembler un peu plus à l’album. Le but, c’est vraiment que je garde une grosse liberté d’improvisation et d’arrangement sur les morceaux. De pouvoir les transformer. Plus je les joue, plus je les transforme. J’ai de vieux morceaux que je n’écoute plus en versions CD, alors quand je retombe dessus je me dis « Ah ouais, je suis parti très très loin en fait ». Mais c’est ce que j’aime bien en fait. Le but du live, c’est totalement un autre cadre et un autre but aussi. Les morceaux n’ont pas le même objectif. Le public n’a pas le même ressenti. Il faut donc les travailler différemment. Le visuel est hyper important, mais aussi la structure, la musique, le son. Le but, c’est vraiment de les faire vivre en live.

  • Tu étais beaucoup dans le DIY au début de ton projet. L’es-tu encore et dans quelle mesure ?

Malheureusement, je le suis encore beaucoup trop. Enfin pas malheureusement, car je suis comme ça, mais effectivement je le reste. Là, j’ai sorti l’album avec mon label en étant autoproduit. C’est moi qui ai fait tous les graphismes, la scénographie. On est une toute petite équipe à faire tourner ça. Forcément, ça donne beaucoup plus de travail, mais en même temps c’est ce qui me fait plaisir, de faire tout ça. Thylacine, pour moi, c’est aussi travailler sur la scénographie, les vidéos du live, travailler sur les clips, le montage, le graphisme. Ce n’est pas faire juste de la musique et ensuite filer ça à quelqu’un. C’est un ensemble. J’essaye quand même de me faire aider pour mener à bout tous mes projets, mais ça reste très très DIY (rire). Sur mon label, on est deux. J’ai une manageuse. On a sorti l’album à trois personnes en gros. Ça reste très artisanal. Je dois être un peu le seul à ce point-là en ce moment (rire). Mais pour moi c’est normal.

  • « ROADS – vol. 1 » laisse entendre qu’un ou plusieurs autres volets de ce format « ROADS » sont prévus de ton côté. Après l’Argentine, as-tu déjà en tête tes prochaines destinations ?

Ouais, quand j’ai créé cette caravane (son home studio construit dans une authentique Airstream NDR), le but n’était pas de se limiter à l’Argentine. C’était un choix de vie et de création. Donc là, je suis en train d’étudier les destinations, même si ce n’est pas à l’autre bout du monde, j’ai bien des idées en tête. Forcément, j’aimerais bien repartir assez rapidement. Mais je garde ça pour moi pour l’instant (rire). Au cas où je change d’avis. Et puis j’aime bien garder la surprise, une fois arrivé sur place.

crédit : Fabien Tijou
  • Au commencement de ton projet, tu collaborais avec Camille Després sur ton premier EP et sur scène, où elle faisait quelques apparitions. Depuis quelques années maintenant, elle présente désormais son propre projet sous son nom, Després, en duo. As-tu pu écouter son 1er EP et qu’en as-tu pensé ?

Oui, je crois que j’en ai écouté plusieurs. J’ai trouvé ça plutôt bien avec de bonnes choses. Je suis très heureux qu’elle puisse développer un projet personnel et qu’elle prenne beaucoup de plaisir là-dessus. C’est tout ce que je peux lui souhaiter. Je suis ravie qu’elle se mette à bras le corps là-dedans et qu’elle fasse une musique qui lui plaise vraiment.

  • Fera-t-elle ta première partie sur une date comme Angers ?

Non, d’une part parce que j’ai déjà joué à Angers, mais aussi parce que j’ai déjà un groupe qui fait ma première partie, il s’appelle Jaffna. C’est le seul groupe que j’ai signé sur mon label. Du coup, je les prends avec moi partout, en première partie. C’est la petite famille. C’est déjà acté.


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Nicolas Halby

Parce que notoriété ne rime pas forcément avec qualité. J'aime particulièrement découvrir l'humain derrière la musique.