[LP] The Veils – Total Depravity

The Veils a bien profité de ses trois ans de silence. Le projet de Finn Andrews y a découvert le sentiment de blessure, et l’a mis à profit dans un disque obscur, puissant, et avant tout humainement artificiel.

The Veils - Total Depravity

Ces Néo-Zélandais installés à Londres ont toujours eu une idée tronquée du rêve américain tant ils ont toujours imaginé de près un Colorado si lointain. La technologie leur a permis cette approche et leur musique, bien qu’héritière du rock de Depeche Mode des années 2000 et d’un Nick Cave ensoleillé (épisode « Do You Love Me »), a toujours eu ce grain d’Arizona, des grandes plaines et de dust bowls (son album de 2013, « Time Stays, We Go », en est la preuve sonore). Ce mélange de conservatisme moderne fonctionne parfaitement à chaque pas en avant.  En 2004, « Lavinia » nous avait fait l’effet d’une bombe, en nous faisant croire à nouveau en ce mariage entre rock dur et électro propre, en proposant une infinité de portes à ouvrir. Mais The Veils n’a pas de tempo, et ses disques se font rares.

L’attente aura donné naissance à « Total Depravity ». Avec ce cinquième album, l’Arizona d’avant, celui de « The Runaway Found »(2004), est mort entre temps, les immensités de John Wayne sont inondées, et les flots ont emporté les câbles et électrons dans les sales États du Missouri. La colère s’est changée en un blues épais. Il est clair qu’un train est passé sur la musique du quintette londonien tant les plaies se voient et s’écoutent. En redéfinissant la teneur et le poids de l’électricité, l’espace The Veils ressemble désormais à un porche de baraque dans les marais de caïmans où les âmes perdues viennent griffer des guitares en regardant des horizons plastiques. Un mélange réussi, un bel équilibre, car ce « Total Depravity » enfin né, accroche l’oreille, s’agrippe aux tripes, et bouscule le morne en faisant cap sur l’Amérique dans une métaphore du mal d’être, explorant l’amertume sous la croûte des brûlures. Le noble fils de Barry Andrews (XTC) et ses acolytes (cette délicate furie de Sophia Burn) se jettent enfin dans le gros son, armés d’une envie terrible de tâter du blues et de la graisse de garage, en gardant l’intelligence de ces détails électroniques qui enrichissent leurs errances.

Ils envoûtent et obsèdent, ils nous happent dans un univers épais comme du pétrole. Il est clair que la thématique est sordide et la part littéraire sanglante et obscure, mais il est tout aussi vrai que l’émotion s’est cherchée dans la peine et la détresse. « Total Depravity » est le reflet d’un monde où Finn a vécu et survécu sans cesse, et dont aucune lueur ne brille à l’horizon si ce n’est celle du génie. Comment ne pas percevoir un réel effort dans la lettre et l’expression de la voix de Finn Andrews, ne pas souligner un travail sur l’électronique du sentiment, un labeur profond sur la chair de la musique. Il y a cette perversité du beau de l’enfer, de l’attraction du mal et de la beauté du diable ; un Chris Isaac dans la boue jusqu’au cou pour image sonore.

The Veils

Nous restons le doigt suspendu en l’air, a rien de céder à la touche pause, le temps exact des douze titres de l’album. Nous sommes blessés, quelque part saouls de sons et emportés par la tristesse effleurant chaque mot de « Total Depravity ». Nous nous retrouvons assis sur le portique d’une vieille baraque oxydée par les marais de Twain et les cloques de Louisiane, où la voix racle les maux. Pourtant, nous nous surprenons d’avoir fermé les yeux. Nous avons retrouvé des années plus tard cette étincelle qu’avait The Veils, sur la rive d’un Mississippi sale, redécouvert l’étincelle de ces claviers mécaniques aux envies d’organique et la vue plus lointaine d’un rock probable.

« Total Depravity » de The Veils, sortie le 26 août 2016 chez Nettwerk Music Group.


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Guillaume Mazel

Écrivain, dessinateur et cajolant mon oreille depuis môme, c'est depuis Madrid que je recherche des sensations à transmettre partout.