[LP] The Membranes – Dark Matter/Dark Energy

Que doit-on penser d’un groupe faisant son grand retour 25 ans après son effort précédent ? Que s’est-il passé entre un moment de gloire mérité dans les années 80 et une sortie en 2015, alors que personne ne s’y attendait vraiment et que tout espoir semblait perdu ? Peut-être est-ce simplement dû à de nombreuses expériences de vie ayant mis la musique entre parenthèses. Mais celles de The Membranes n’ont pourtant rien de glorieux ou d’optimiste ; et, avec ce nouveau disque, le quatuor anglais imprègne chaque chanson de ses douleurs traversées, exultant et marquant les souffrances au fer rouge pour mieux les exorciser.

The Membranes - Dark Matter/Dark Energy

Avec « Dark Matter/Dark Energy », les membres de The Membranes reviennent effectivement de loin. Constatant les effets du temps et ses aspects les plus négatifs, notamment la mort d’êtres proches et ses conséquences sur un quotidien déjà difficile, le projet s’est mis en veille pour mieux panser ses plaies. Peine perdue ; il semble en effet que celles-ci ne puissent cicatriser autrement qu’en étant mises en musique. Le temps de la réflexion et du repli sur soi nécessaires pour enfin laisser exploser sa colère et son affliction fut long et parsemé d’embûches ; mais ce nouvel EP est un doigt d’honneur fait à la Grande Faucheuse et à ses messagers terrestres. Et surtout, un hurlement cathartique puissant et salvateur.

La possession, tour à tour sordide et fulgurante, se révèle intense et cruelle tout au long du disque ; celle qui fait transpirer et déploie une énergie prête à faire trembler les murs et voler les objets en travers d’une pièce. Dès la progression énergique de « The Universe Explodes into a Million Photons of Pure White Light », le ton est donné ; ce sera la guerre, avec pour seule arme un punk/rock incisif et cru, mais également beaucoup plus élaboré qu’il n’y paraît. Car les musiciens soignent leurs compositions, glanant ici et là des myriades d’arrangements et d’éléments progressifs lumineux (Money Is Dust). On a l’impression d’assister à un échange entre des guitares tantôt échevelées, tantôt posées et presque psychédéliques dans leur interprétation (Magic Eye (To See the Sky)). Les plaisirs de l’inconscience, ces moments suspendus dans le temps pour mieux recharger ses batteries, prennent toute leur dimension spectrale et parfumée de soufre sur « Money Is Dust » et « Dark Matter », instants sur le fil du rasoir et mantras dont l’affect demeure à jamais couvert de cicatrices.

Totalement transcendé, voire consumé par ses folies passagères et autres blessures béantes et ensanglantées, John Robb souffle le chaud et le froid tout au long d’une œuvre emplie de désespoir et de lumière noire. Hurlant sa rage (Do The Supernova) ou apaisant son esprit en proie aux troubles les plus viscéraux (The Hum of the Universe), il traverse les plaines désertes et brûlantes de titres prêts à laisser couler leur lave destructrice, seul moyen de faire table rase du passé pour mieux se tourner vers un futur ténébreux, mais purificateur. La matière et l’énergie noires, sources des plus troubles obsessions de l’être humain et de sa place dans l’univers, demeurent ici à l’origine de toutes les pertes de repères que le groupe a traversées dans les deux décennies égarées qu’ils ont parcourues, posant aujourd’hui un regard à la fois acéré et rédempteur sur le vide cosmique qui leur a tendu les bras. Traverser le vide afin de le maîtriser en le regardant droit dans les yeux ; The Membranes y est parvenu et en ressort à jamais grandi.

The Membranes
crédit : Harry Stafford

Mark Lanegan considère ce disque comme le meilleur album de l’année 2015 ; on ne le contredira certainement pas, tant il rejoint les créations les plus personnelles du moment.

« Dark Matter/Dark Energy » de The Membranes est disponible depuis le 22 juin 2015 chez Cherry Red Records.


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Raphaël Duprez

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