The Marshals n’est certainement pas le groupe le plus original de la planète, mais il est pourtant l’un des groupes indépendants auquel nous nous sommes le plus attachés ces dernières années. Dans une industrie musicale de plus en plus standardisée, il est presque vital de pouvoir se délecter d’une sensibilité musicale aussi altruiste que sincère, d’une quête artistique aussi humaine que modeste. Loin des analyses et des superlatifs en tout genre, nous préférons sentir les frissons parcourir notre corps lorsque le diamant se pose sur le vinyle, en plein décollage vers un ailleurs revigorant, emporté par les titres grisants, électriques et planants des Bruyères Session.
La séance (et pas la dernière, n’en déplaise à Eddy !) s’ouvre sur un « Same Old Life », certes un peu classique et peut-être un peu bavard, mais qui nous transporte déjà en terrain connu. En effet, dès les premiers rugissements de la guitare, sort des amplis de Julien ce son rugueux, presque sale, bouillonnant et environnant, que nous aimons tant chez les Marshals. Il envahit l’espace pour mieux nous rappeler que la musique du diable n’a décidément pas besoin d’un bassiste, à condition d’être malin et ingénieux. Thomas, le batteur, l’a d’ailleurs bien compris : il plaque une rythmique massive, marquée par ces coups de caisse claire qui claquent et nous invitent déjà au dévergondage et à la débauche. Plus que jamais, cette nouvelle session célèbre la générosité viscéralement live de ces trois lascars. Si plus loin, le côté direct et brut est poussé dans ses retranchements avec « Down My Place », entretenant l’illusion jubilatoire d’une démo (trop cool le larsen !), il nous rend complètement dingues avec cette batterie nous rappelant étrangement une certaine intro des Pixies enregistrée par le sorcier Albini. Quel que soit le tempo, les développements, le style, les profondeurs de champs, le trio est toujours à la poursuite de cette vibration originelle et profonde, née de la souffrance du peuple afro-américain, il y a plus de 100 ans, dans les États du sud des États-Unis. Débordante d’énergie, la musique est parfois excessive (sur le final de « Gold and Glitter » par exemple) car elle ne joue jamais à l’économie, et encore moins la carte de la séduction. Le propos reste ainsi toujours entier et sans faux-semblants.
La tentation de comparer les Marshals aux célèbres Black Keys a depuis leurs débuts été un postulat aussi parlant que réducteur. Cette référence reste, à notre humble avis, judicieuse si nous pointons en effet, les premiers exploits des Américains comme le bondissant « Thickfreakness » sorti en 2003, et sommet de la – leur meilleure- période des « Lonely Boys », inscrite sur le label Fat Possum. Peut-être aussi « The Big Come Up » sorti en 2002, même si celui-ci appuie parfois sur des astuces lo-fi par pur effet de style. Cette aspiration basse fidélité est à l’inverse, totalement absente chez les Auvergnats, qui utilisent avant tout la sobriété des moyens pour conserver une fraîcheur et un état d’esprit, leur permettant de se concentrer sur l’essence même de leur musique. À des échelles de notoriété bien différentes, les deux entités partagent (partageaient ?) en effet, cet amour d’une authenticité sonore resserrée, éruptive et sauvage (« Down My Place »). Pourtant si le background musical de Patrick Carney et Dan Auerbach est évidemment teinté de rock et de blues, il ne passe pas nécessairement par les mêmes détours.
Du côté de Laurent Siguret, Julien Robalo et Thomas Duchezeau, les reprises qui s’illustrent sur leurs fameuses sessions, sont autant d’indicateurs laissés à notre appréciation pour cerner un territoire d’inspiration vaste, empreint de flamboyance et de caractère. En reprenant le fil conducteur de cette série de covers révélateurs ; à savoir « Crosstown Traffic » de Jimi Hendrix sur « AYMF Session », « Folsom Prison Blues » du grand Johnny Cash sur « Les Courriers Session » et, bien sûr, « Run Through the Jungle » de Creedence Clearwater Revival sur ce nouvel album, se dessine une admiration pour des musiciens à la personnalité bien trempée, reconnaissable entre mille à travers leurs innovations et un son bien à eux. Parfois proche de formes incantatoires, certains titres, absolument décisifs de ces « Bruyères Session » comme « Let It Shine » et « Dark Room » s’étirent dans la transe et revêtent ainsi des évocations amérindiennes, pour réveiller en tout bien tout honneur, les grands esprits et notre spiritualité animiste. Sur « Northern Blow », un train à vapeur démarre lentement et sûrement, en route vers une obscure faille spatio-temporelle encore plus saisissante de vérité que celles de Robert Zemeckis (avec l’apparition d’un quatrième larron, Fabien aux maracas).
Depuis l’inaugurale « 21 Cordeliers Street Session » en 2010, les lignes se sont judicieusement déplacées. Le duo est devenu trio (avec l’arrivée de Laurent à l’harmonica). Le blues rock minimaliste, braillard et débraillé a ouvert les portes de nouveaux possibles en explorant notamment les contrées marécageuses du « swamp rock », à proximité de la bande à Fogerty (CQFD) et même de certains morceaux de Tony Joe White. Message personnel : « les gars, vous avez déjà pensé à reprendre « Prisoner » de ce grand monsieur ? ». Les « Bruyères sessions » consacrent ainsi parfaitement, et pour notre plus grand bonheur, ce goût prononcé de The Marshals pour cette version rurale et métissée du rock américain, ayant puisé sa force dans le melting-pot culturel contrarié du sud des États-Unis. En résulte un excellent disque de rock pur et racé, comme nous aimerions en découvrir plus souvent, fidèle à l’image des somptueux concerts énergiques et électrisants du groupe.
« Les Bruyères Session » de The Marshals est disponible depuis le 1er mars 2019 chez Freemount Records.
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