[Live] The Marshals et By The Fall à La Coopérative de Mai

Deux groupes pour deux superbes albums à célébrer : du talent à revendre, une ambition artistique évidente, une générosité simple et heureuse. Voilà de nombreux points communs qui unissaient By The Fall et The Marshals (sans oublier leur tourneur Dody Tour) le 25 novembre à la Coopérative de Mai de Clermont-Ferrand. Question musique, sans être opposés, les deux groupes ne naviguent pas dans les mêmes eaux, c’est une certitude : blues-rock électrique et intense d’un côté pour The Marshals, et de l’autre, folk élégant et feutré pour By The Fall. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour passer une très belle soirée et se laisser happer par les franches émotions provoquées par les prestations extrêmement convaincantes de ces deux formations qui jouaient presque à la maison.

By The Fall © Morgane Imbeaud
By The Fall © Morgane Imbeaud

En ce 25 novembre, By the Fall ouvrait le bal en douceur devant un public nombreux, ayant répondu à l’appel de cet événement prenant place à la petite Coopé. Nous avons en mémoire le très beau moment, qu’avait été leur passage aux iNOUïS du Printemps de Bourges en avril 2015, concert fragile et touchant dans un exercice que beaucoup redoutent. À l’époque, Vincent, le leader et initiateur du groupe, avait convié Maxime à venir l’accompagner pour interpréter les titres de son premier EP. À la Coopérative de Mai, ce fut bien à la formation du groupe By The Fall nous avons assisté. Et même si Vincent occupe toujours le devant de la scène, la complicité qui s’exprime désormais au sein du trio fait extrêmement plaisir à voir et à entendre. Sur scène, les regards et les sourires en disent long sur le chemin qu’ont parcouru nos trois musiciens pour défendre avec prestance les excellents titres de leur premier album, en exclusivité devant nous. Le concert débute sur le morceau éponyme du premier album de By The Fall, fraîchement sorti en ce jour.

« Wolfes » démarre avec la guitare électro-acoustique et la voix de Vincent, traits de caractère toujours aussi indissociables de l’identité du groupe, mais dès ce premier titre, Maxime et Polo illuminent la musique par leurs présences. Le morceau se révèle par strates successives, combinant des textures sonores d’une densité finalement inhabituelle pour By The Fall. Ainsi sur ce premier titre, l’intention première aurait pu rester proche de l’épure, mais à l’image du LP, le morceau s’envole très vite dans les hauteurs, profitant de la palette de nuances collective, qui s’affirmera d’ailleurs au fur et à mesure des minutes. Maxime utilise sa guitare électrique à la manière d’un peintre, posant des variations de couleurs avec beaucoup d’économie et de finesse. Tel un sculpteur, il travaille sa matière sonore comme une sorte de pâte à modeler infinie. Déjà repéré au sein du groupe Jólaköttur, Maxime attire notre attention, il est tout simplement beau à voir jouer, que ce soit dans son écoute ou dans sa concentration : attentif aux autres et à sa place dans le trio. Loin d’être en retrait, il sait aussi sortir du bois et envoyer la sauce comme sur le final magistral de « Polar », un peu plus tard dans la soirée. Dès le deuxième morceau du set, toujours extrait de l’album, Polo, le petit nouveau, et en quelque sorte l’homme orchestre du groupe démontre l’étendu de ses possibilités. Alors que By The Fall pouvait être rapproché auparavant des immenses Kings Of Convenience, les nouvelles intentions électroniques et rythmiques qui définissent « Wolfes », sont désormais assumées par ses soins au point de rapprocher « Spiders » du fameux « The Rip » de Portishead. Notre homme fera même vibrer son cor pour le final de « Quiet Fireworks ».

Vincent (By The Fall) / Crédit: Morgane Imbeaud
Vincent (By The Fall) / Crédit: Morgane Imbeaud

Forcément, By The Fall a pris quelque peu par surprise son public mais les morceaux du premier EP ne sont heureusement pas absents de la setlist. Ils ont d’ailleurs été réarrangés pour l’occasion, ce qui permet de mesurer une nouvelle fois toute la force de leur écriture. « A Thousand Seas » trouve un second souffle dans cette formule en trident sans rompre avec sa nature intrinsèque, tandis que « Watchtower » nous donne presque envie de danser avec ses lointaines réminiscences brésiliennes. Que dire du très attendu « Barcelona » que reprend en chœur le public. Les poils sur les bras se hérissent et le sourire presque gêné de Vincent vaut bien tous les discours du monde. Le groupe a l’intelligence de l’alternance : le choix des titres, ses enchaînements et un dosage malin entre la nouveauté et les tubes de l’EP « Ashes ». Des morceaux du nouvel album s’illustrent naturellement comme le tubesque « Dry » ou le très fin « Scarecrow ». Vincent prend le temps de souligner la dimension collective que prend ce soir – et certainement dans l’avenir – By The Fall en remerciant avec beaucoup d’humilité l’investissement de Polo et Maxime, mais aussi celle de Charles qui a façonné le son avec beaucoup de précision, et celle de Dorian pour l’élégance et la sobriété de ses ambiances lumineuses. Ce beau moment de partage s’achève avec le très mélancolique, « Still Holding On » dans une version à couper le souffle. Le silence religieux qui l’accompagne témoigne du bonheur évident qui se lit sur les visages dans la salle.

The Marshals © Sophie Hervet
The Marshals © Sophie Hervet

À peine le temps de se rafraîchir, avec modération bien sûr, que The Marshals est déjà en place. Le trio est heureux d’être là, absolument pas impressionné par l’endroit et par le moment ; et surtout prêt à défendre son dernier album dont les trois musiciens semblent tellement fiers. Il y a quelques temps, indiemusic dévoilait avec passion les trésors contenus dans « Les Courriers Session« . Il ne restait donc qu’à découvrir comment ce génial quatrième album allait prendre vie sur la scène de la petite Coopé. La réponse fut toute trouvée : The Marshals cultive comme peu de groupes cette science de l’acoustique et cet amour du son à travers une identité sonore qui inonde de part en part sa discographie, et qui ce soir, nous aura tout simplement bluffés. Le trio a adopté depuis des années un parti pris esthétique, en rappelant à juste titre que la musique se vit dans l’instant. Sur le disque, cette philosophie se décline sous la forme de ces fameuses sessions qui n’ont d’ailleurs rien d’anecdotiques. Histoire d’enfoncer le clou, Laurent, Julien et Thomas balançaient « I gave my wallet to the poor ». Pas de place pour les conventions et le calcul.

Le message est clair. Ce qui pourrait apparaître comme le tube de l’album (pour ceux qui ne prennent pas le temps d’écouter les disques dans leur ensemble), nous attrape par le col et nous file d’emblée une méchante baffe. La frappe de batterie est déjà particulièrement dense et appuyée. La guitare occupe l’espace avec gourmandise. À l’instar de The Inspector Cluzo, sur cette même scène il y a quelques mois, The Marshals démontre une nouvelle fois que le rock peut très bien se passer de bassiste (c’est un ancien bassiste qui parle, certes mauvais, mais tout de même). En même temps, quand la maîtrise de l’instrument est au rendez-vous, la guitare devient tout simplement un instrument magique, objet fondateur d’un mythe. De la première seconde à la dernière, le groupe sera donc à fond et n’aura absolument pas besoin d’un tour de chauffe pour faire vrombir le moteur. Fidèle à sa ligne de conduite, The Marshals est une incarnation de l’esprit rock originel, de ce blues devenu électrique par la force des choses.

Julien (The Marshals) © Sophie Hervet.
Julien (The Marshals) © Sophie Hervet

Chaque musicien donne tout ce qu’il a dans le bide. Julien, chanteur et guitariste, semble puiser son énergie dans le partage de l’instant, dans le moindre regard. Il endosse à merveille le rôle si bien englobé par le terme américain « frontman ». Fougueux et emporté par ses intentions, il trépigne, s’agite et provoque en continu le débat. Le morceau « Keep My Gold » (évidemment extrait du nouvel album) est en permanence proche du point de rupture. L’explosion est latente et son humeur symbolise cette grande liberté qui émane de « The  Courriers Session ». Avec ce nouvel effort studio, nos musiciens se sont aménagés un terrain de jeux à leur juste mesure et ils s’en donnent à cœur joie. C’est donc les nouveaux morceaux qui ont pris le pouvoir. Laurent, l’harmoniciste, vit par moment tellement intensément ses mélodies qu’il est totalement absorbé par sa propre partition et pourtant tellement en phase avec la musique. Quant au batteur, Thomas, son jeu épuré et puissant, nous impressionne. Il est de la trempe des batteurs efficaces et redoutables qui oublient d’être bavards : son jeu de tom sur le morceau « Good Old Days » est imparable. Parfois utilisé à tort et à travers, le mot « groove » ne sera pas galvaudé pour décrire cette diabolique invitation à lâcher les chevaux, qu’il nous adresse en pleine face. En puisant dans son répertoire plus ancien, le groupe se retrouve même en version guitare/batterie façon The Black Keys pour un « City Blues » plus direct, et extrait des fameuses « Coudray Session ». Le morceau a l’avantage de dynamiser le tracklisting par sa belle énergie et son propos plus resserré, plus immédiat, mais il met carrément en avant l’évidence du jeu à trois. Les fans du groupe (qui existe depuis 2010) soulignent d’ailleurs la performance du soir.

The Marshals © Sophie Hervet
The Marshals © Sophie Hervet

Au fur et à mesure du set, sans fioriture et sans artifice, tel de vieux briscards du circuit US, The Marshals nous épate à la fois par la décontraction et l’intensité de son concert. Le dernier morceau déboule, et c’est presque une heure et demie de live qui viennent de défiler sous nos yeux. Nous aurions bien continué jusqu’au bout de la nuit, mais il était déjà l’heure d’aller se coucher. Nous avons profité de la gentillesse et de la disponibilité de Vincent de By The Fall avant d’aller recueillir les impressions d’illustres spécialistes de la cause rock dans un bar mythique de Clermont-Ferrand dont nous tairons volontairement le nom, mais que les aficionados auvergnats reconnaîtront dès la première évocation, et où nous n’avons certainement pas fini d’écouter le dernier disque des Marshals.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.