[Live] The Lemon Twigs et Laure Briard à l’Épicerie Moderne

Pour la date lyonnaise des frangins prodiges des Lemon Twigs, l’Epicerie Moderne nous avait concoctés le 2 mars dernier un délicieux retour dans les seventies, tout en looks vintages improbables, coupes de cheveux extravagantes, de la pop rétro sophistiquée de Laure Briard au joyeux bordel, entre glam et opéra rock, des Américains.

The Lemon Twigs – crédit : Charles Pietri

La date est complète depuis un petit moment pour la première partie assurée par la Française Laure Briard et son groupe, c’est une timide foule qui s’avance. Dommage, car ces trois quarts d’heure de pop luxuriante et élégante vont filer en un éclair malgré un début un peu inhibé. Radieuse dans une combinaison noire, la chanteuse et claviériste toulousaine de 35 ans, dénote curieusement au milieu d’une troupe de musiciens qui semblent fraîchement débarqués du van de Scooby-Doo (le batteur est d’ailleurs un troublant croisement entre Vera et Jason Schwartzman dans The Royal Tenenbaums). Peu importe les looks d’enfer, c’est la musique qui nous intéresse, et de ce côté-là il n’y a pas de souci à se faire. Basse groovy, orgue omniprésent et un jeu de batterie remarquable viennent ornementer cette pop trilingue (français, anglais et portugais) des plus beaux atours de l’école française.

On pense au groove dandy des arrangements de Gainsbourg ou à toute la galaxie Aquaserge, et son jazz-pop luxuriant, galaxie que notre étoile du soir a par ailleurs déjà traversée, côtoyant par exemple Julien Gasc, Julien Barbagallo et donc, Bertrand Burgalat de Tricatel – ce qui explique au passage les looks impayables de hippies aux doigts d’or. Cette excellence instrumentale enrobe ainsi une musique qui vient flirter avec le Brésil le temps de quelques morceaux lusophones particulièrement enlevés, mais c’est surtout la jam intrépide à la fin du « Changer d’avis » de son dernier album « Un peu plus d’amour s’il vous plaît » qui retient l’attention. Deux morceaux de son premier album, « Égoïste » et « Révélation » (la chanson-titre) témoignent d’une inspiration plus dépouillée et insolente, tandis que la très mutine « Sur la piste de danse » faisait réellement décoller le concert au bout de quelques morceaux. Le tout s’achève sur une note plus intime, mais tout aussi convaincante avec « Un peu plus d’amour s’il vous plaît », qu’elle introduit, amusée, en racontant que la veille un membre du public a cru que la chanson s’intitulait « Un peu plus d’arbres s’il vous plaît ». Une belle entrée en matière donc.

Quelques instants plus tard, lorsque les musiciens des Lemon Twigs arrivent sur scène, on sent que la soirée va basculer dans une autre dimension. Si l’on retrouve d’impayables looks seventies, la vibe n’est plus à l’ambiance cosy presque lounge mais au rock criard et décadent. Pattes d’eph, jeans ultra-moulant, paillettes, débardeurs féminins échancrés, coupes de cheveux impayables… Les deux frères d’Addario ne sont pas en reste, mais c’est bien le bassiste, sorte de créature glam féérique de deux mètres, qui embauche la palme de look le plus queer (et le plus sexy) de la soirée. Pour qui ne connaît les Lemon Twigs que via leurs albums et n’avait jamais vu une performance live du groupe, la première moitié du concert sera particulièrement surprenante. Exit la pop sixties délibérément rétro et un peu barge, parrainée par Todd Rundgren et fortement réminiscente de groupes aussi divers que Electric Light Orchestra, Supertramp ou les bandes-son de Phantom of the Paradise et American Graffiti. Sur scène, les deux frères prodiges, un peu nerd, qui enregistrent tout dans la cave de leurs parents se muent en deux rock stars à l’ancienne, piquant des mimiques à un peu tout le monde (Bolan, Bowie, Jagger, Pop…) et rappelant plus l’ambiance électrique et dépravée de Sam France et de Foxygen que la pop mignonne un peu nasillarde à laquelle on s’attendait. Mais pendant plusieurs morceaux, cela fonctionne. Le public est gonflé à bloc, les fans, parfois venus de loin à en juger par les langues et accents qui se mêlent dans les conversations excitées entre les morceaux, connaissent les moindres paroles du pourtant pas évident dernier (concept) album, qui raconte l’histoire d’un singe surdoué rejeté à l’école (!). Les deux « tubes » « This is my Tree » et surtout « Small Victories » sont là pour le prouver et, sur scène, ils s’étirent en hybrides de glam rock versant dans la jam a priori improvisée, à grand renfort de solos de claviers, de guitares, de déhanchés suggestifs et de jambes lancées en l’air par un Michael visiblement survolté. Bref, le groupe assure le show, avec un contraste amusant entre Michael qui semble prendre les rênes du spectacle et Brian, plus en retrait, sensible tête pensante du duo, qui prend le piano pour une ballade nasillarde et qui se retrouve de temps en temps sur le devant de la scène pour les pièces les plus pop du concert.

Mais à mesure que le show avance, avec son esthétique kitsch presque camp et ses envolées lyriques criardes et outrancières, on se fatigue, et on se pose des questions. Tout ça semble bien huilé pour un concert qui se veut spontané et généreux, et la personnalité over the top de Michael paraît de plus en plus affectée et de moins en moins naturelle. Il prend le micro à plusieurs reprises pour déblatérer à toute vitesse des anecdotes étranges et un peu gênantes, gratuitement provocatrices et qui mélangent fierté, mépris, drogues et sexe. Ça sonne un peu faux, ça tranche avec le très jeune âge des deux frères et avec la personnalité beaucoup plus apaisée de Brian. Puis, en fin de concert, ça tourne carrément au vinaigre. Les meilleurs moments sont derrière nous, avec une version convaincante de « I Wanna Prove to You », le speech décousu, mais la chanson réussie « Hi + Lo » et la jolie ballade acoustique chantée par Brian, « Queen of My School » – il faut quand même se faire à ce timbre extrêmement nasillard et complètement anachronique – et Michael devient franchement puant. Il prend toute la place, s’agite de façon de plus en plus désarticulée sur scène, le show devient répétitif et mécanique, l’effet de surprise n’agit plus et les ficelles deviennent apparentes. Brian semble un peu gêné, voire agacé, par la présence (l’ego ?) envahissant·e de son frère. Michael s’énerve contre un mec du public. Il crie dans le micro « I’m the star, this is my stage ! », refusant que des gens puissent monter sur scène pour danser ou slammer.

Peu à peu, le spectacle décadent, glam et bon enfant, révèle des rouages un peu plus sinistres d’un show si maîtrisé et calculé pour être spectaculaire qu’il se coupe de toute interaction et de toute vie, finissant par tourner à vide. L’étrange sentiment qui nous habitait tout au long et nous poussait à remettre en question la sincérité de l’acte et des persona de ces musiciens se mue en intuition presque confirmée. Lorsque le show se termine, au bout d’une grosse heure et demie, sur un joli rappel acoustique juste à trois musiciens, « If You Give Enough », on se dit qu’il était peut-être temps. On peut mettre cela sur le compte de la jeunesse, de la célébrité arrivée trop vite sur un groupe pas vraiment prêt pour cela. Si l’hommage appuyé aux idoles d’hier est appréciable, la ligne entre hommage et imitation, voire singerie, semble allègrement franchie à plusieurs reprises, faisant redouter la suite pour le groupe, qui semble bien parti pour emprunter la route ambivalente et très casse-gueule de ses aînés de Foxygen. Espérons qu’ils nous donnent tort.

Photographies par Charles Pietri / www.charlesfaitdelaphoto.com


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique