[Entourage #103] The Animen

En 2020, comment ne pas se réjouir de l’insolente santé du rock suisse ? Parmi ses plus ardents ambassadeurs, The Animen, quartet de Carouge dévoilait en mars dernier, son troisième album « Same Sun / Different Light ». Un album savoureux, élégant, aux titres séduisants, conviant la passion de The Walkmen à l’intonation mythique de John Fogerty. Entre revival jubilatoire et fougue moderne, rock brûlant et ambitions pop, la bande de joyeux bandits emmenée par Théo Wyser, perpétue sa propre légende avec un disque toujours plaisant, terriblement entraînant et enthousiasmant. Des tubes à la pelle, superbement écrits, joués avec classe, incarnés avec les tripes. Le rock helvète sous son meilleur jour. Pour accompagner la sortie de ce disque irrésistible, à même de réconcilier bien des générations de mélomanes avec le rock actuel, nous avons demandé aux Animen de nous conter leurs plus belles escapades musicales avec la scène rock internationale, de Nyon à Nashville en passant par Lille et Laval.

crédit : Mehdi Benkler

General Elektriks

« Le père Noël est-il un rocker ? », Le Splendid (Lille), 22 novembre 2016  

Théo (chant / guitare) : Nous étions à la fin d’une tournée à rallonge, qui se contrefoutait de toute logique dans l’ordre des dates. Nous traversions le territoire français de haut en bas pour le retraverser de bas en haut le lendemain. La bouffe d’autoroute et les kilomètres commençaient à nous creuser sévèrement le dessous des yeux et nous avions tous déjà pris deux kilos, ou deux litres, depuis le début du tour, comme pour mieux encaisser cette fin de novembre marmoréen. Nous étions fatigués, éreintés, mais heureux comme des gamins de 8 ans, car ce soir nous ouvrions pour General Elektriks.
Après nous être perdus dans les faubourgs lillois, nous arrivons enfin au Splendid, majestueuse salle de concert avec balcons et strapontins vermeils. Le pas de porte passé, nous avons juste le temps de sécher d’un revers de main la pluie qui ruisselle sur nos visages que nous l’entendons déjà : le groove ! Ce putain de groove ! General Elektriks était en pleine balance, et quelle classe ! Ce soir-là, nous jouons la rage au ventre et le sourire aux lèvres. On prend le temps, on savoure. Puis c’est au tour des cadors. Ils sont vraiment bons ! De sacrés musiciens. Tous. Mais Hervé Salters, il a ce petit truc en plus, il est habité !
Un concert magistral. Le public en redemande et nous aussi. À tel point que nous dépenserons notre cachet en merchandising de General Elektriks. Tant pis, ça nous fera du neuf à écouter dans le van pour ratisser la France de gauche à droite et de droite à gauche cette fois. Et les mecs de taper la discute dans les backstages après le concert avec nous. Adorables. C’est beau d’être tout en haut et de rester aussi gentils et accessibles. Une sacrée leçon !
Nous ne saurons pas si le « Père Noël est un rockeur », mais General Elektriks est un grand groupe pour sûr !


Motörhead

Caribana Festival (Nyon), 5 juin 2013

Théo (chant / guitare) : « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, picoté par les blés, fouler l’herbe menue : écouter Motörhead ! » Arthur presque Rimbaud.

Il est parfois décevant de rencontrer des légendes. Les masques tombent et l’on se rend compte que ce ne sont que des hommes comme nous. Parfois.
Motörhead vient de terminer un set assourdissant de rage et d’énergie dans le superbe festival du Caribana. Galvanisés par cette électricité, nous décrétons d’aller trinquer avec Lemmy. Ayant joué plus tôt dans l’après-midi, nos badges « Artists » ne nous donnent malheureusement pas accès aux backstages de Motörhead. Pas de soucis. À l’abri des regards, nous escaladons la première palissade et enjambons la deuxième.  Nous nous faufilons ensuite entre des caisses de bières et des palettes de Jack Daniel’s : nous sommes tout proches du but ! Mais nous avons juste le temps d’apercevoir une collection de Santiags et ce qui pourrait être un chauffe-bottes, que deux armoires à glace nous hurlent dessus. Les agents de sécurité sont comme les chiens, ce ne sont pas ceux qui aboient le plus fort qui sont les plus dangereux. Toutefois, Monsieur gueule en fer à cheval et Joe « teint de cendrier » ne nous poussent pas à être braves. Autant s’adresser à un mur de prison. Battus, mais pas meurtris, nous abandonnons et la mort dans l’âme, allons nous consoler au bar. Jack Daniel’s à la santé de Lemmy.
Le mythe est sauf ! Longue vie au Rock’n’roll ! À écouter très fort.


Clear Plastic Masks

Nashville, Tennessee, avril 2015  

Guillaume (batterie / claviers) : On a rencontré les Clear Plastic Masks pendant l’enregistrement de « Are we there yet? » – notre deuxième album – à Nashville. Andrija Tokic, qui a enregistré et mixé l’album, a joué un rôle formidable pendant toute la session. Il faut dire qu’on n’en menait pas large : les quatre petits Suisses qui débarquent sur la terre sainte du rock’n’roll avec des fantasmes pleins la tête et une angoisse bien ancrée dans l’estomac. Ce qui nous a tous énormément surpris, c’est qu’il nous a tout de suite présenté beaucoup de personnes. Il faut savoir que Nashville est la ville qui produit le plus de musique au monde, mais, avec Andrija, on s’est retrouvés dans une petite communauté de musiciens alternatifs qui étaient tous très cools et vraiment ouverts à nous rencontrer. Dès la première soirée au studio, Andrija a invité plusieurs de ses potes musiciens et on a tout de suite sympathisé avec Matt, le guitariste des Clear Plastik Masks. À partir de là, il a commencé à passer régulièrement au studio pour écouter ce qu’on avait enregistré pendant la journée. Il était super cool et montrait un réel intérêt pour notre musique, ce qui nous a beaucoup aidés à prendre confiance. Andrija nous a proposé de jouer pour le Record Store Day dans le magasin d’un de ses potes et c’est là qu’on a partagé la scène avec les Masks. Pour ma part, c’était mon premier concert avec les Animen car je venais d’intégrer le groupe ; du coup, c’était vraiment le baptême du feu sur différents niveaux. On a fait notre set sous un soleil de plomb avec la fatigue accumulée des sessions d’enregistrement et en essayant de se rappeler tant bien que mal les derniers changements qu’on avait faits dans nos morceaux. Ensuite, les Masks ont joué et Matt était déchaîné ! Il se tordait dans tous les sens et sautait partout alors qu’il était super calme voir un peu timide dans la vie. À la fin de la journée, Théo a eu la sagacité de se rappeler d’un jeu débile que les Masks nous avaient raconté faire en tournée. Ce jeu comporte deux étapes : quand un pote de ton groupe boit un verre, tu dois taper dedans en criant « gentleman » et ensuite le but de la personne visée est de rester un vrai « gentleman » et de ne pas réagir. Theo, donc, au moment de dire au revoir aux Masks qui partaient en tournée le lendemain a décidé que c’était le bon moment de kicker dans la bière d’Andrew, le chanteur, qui fait à peu près deux têtes de plus que lui. Réaction d’Andrew : pas du tout de manière gentleman ! Il tente de rendre la pareille à Théo mais loupe son verre. Résultat : son pied termine dans les parties intimes de notre cher bassiste.


Le Villejuif Underground

Un singe en été (Laval), juin 2017

Théo (chant / guitare) : Le splendide château de la Mayenne abrite en son cœur l’un des plus chaleureux festivals que l’on connaisse : Un singe en été. Jolie revanche pour ce lieu puisqu’il s’agissait d’une ancienne prison. Dès notre arrivée, nous sommes frappés par la bonne humeur ambiante et le cadre idyllique. Ce n’est pas tous les jours que nous jouons dans le parc d’une forteresse pieds dans l’eau. Nous sommes plutôt habitués aux caves, bars et salles de concert qui sentent l’effort de la veille.
Il y a décidément quelque chose de spécial dans l’air en cette fin d’après-midi de juin. Premièrement, nous restons sur quatre victoires d’affilée au babyfoot du backstage (malheureusement, nous finirons par perdre notre titre plus tard dans la nuit). Et deuxièmement, nous sommes sur le point de découvrir Le Villejuif Underground, groupe hallucinatoire de la banlieue sud de Paris.
D’emblée nous aimons la posture, parce que justement il n’y en a pas. Ils jouent la sincérité à grand coup dans la gueule et ça fonctionne. Le chanteur avec sa prose lou-reedienne à la main harangue la foule avec humour. Il y a de la tendresse dans son regard et de la tristesse dans ses textes. Ça nous parle. Ce Jonathan Richman sous psychotrope et le groupe délivrent un set brutal et planant avec une énergie communicative. Nous sommes sous l’influence de cette musique tantôt fragile tantôt massive. Ce jour-là, Nathan (le chanteur) scandera sa prose à genou, se roulera dans l’herbe et terminera le concert par grimper à l’arbre attenant à la scène.  « It’s fun to be fun ». Très belle découverte. Pour une belle soirée ! Vivement le prochain concert du Villejuif Underground !


The Walkmen

Mascotte (Zürich), avril 2013

Robin (basse) : L’apprentissage de la tournée. Retour en 2013, à la sortie de notre premier album « Hi ! », nous commençons à prendre la route et partons pour jouer en première partie des Walkmen à Zürich. Ce fut un trip terriblement excitant. Nous allions enfin défendre notre premier disque sur scène et pas devant n’importe qui. Il fallait taper juste et convaincre, nous sommes arrivés à l’heure voire en avance. The Walkmen, eux, arrivèrent en retard. Première leçon : une tête d’affiche arrive quand elle arrive, surtout un dimanche.
Les yeux cernés de la veille, peu causants, mais plutôt avenants, le groupe est entré dans la salle. On comprit assez vite qu’il y avait un problème quelque part quand on nous demanda de prêter notre basse. Ils avaient oublié la leur en Allemagne. Bien évidemment nous acceptons, heureux de voir cette belle Fender Precision de ’74 passer un moment dans les mains des Walkmen. Il n’est jamais très confortable de jouer sur l’instrument d’un autre, par habitude d’abord et aussi de peur d’abîmer le matériel d’autrui. Leur bassiste, exalté, a attaqué le bois sans s’en soucier le moins du monde. Deuxième leçon : le rock ça se joue fort, avec les tripes et à bas les convenances.
Cette tournée fut l’une des dernières sorties européennes des Walkmen. Nous fûmes fort heureux de pouvoir les rencontrer et de les voir jouer « The Rat » en live, malgré qu’ils aient pillé le backstage sans même nous laisser une seule cacahuète à se mettre sous la dent. Troisième leçon : profite de la bouffe tant qu’il y en a, on ne sait jamais quand on se nourrira.


« Same Sun / Different Light » de The Animen est disponible depuis le 20 mars 2020 chez Two Gentlemen.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques