Hibernarock, festival itinérant, prêche depuis maintenant dix ans, par monts et par vaux, la bonne parole du rock indépendant. Tous les ans, du mois de janvier à la fin mars, des musiciens saisissants et incroyables investissent le département du Cantal, dans des lieux surprenants, souvent en pleine campagne et parfois complètement recouverts de neige. À Murat, une jolie bourgade confortablement installée au pied du Plomb du Cantal et du Puy Mary, c’est la Halle du Marché qui s’est transformée, l’espace de quelques heures, en salle de concert improvisée, pour accueillir avec bonheur le talentueux Will Samson et les lumineux musiciens de The Angelcy. Un évènement que ne pouvait décemment pas manquer la rédaction d’indiemusic.
Le samedi 27 février dernier, nous arrivons tranquillement en début d’après-midi. L’ambiance est détendue, tout le monde a le sourire, mais les musiciens du groupe israélien The Angelcy ont déjà pris possession de la scène. En fins professionnels, ils s’affairent, avec une grande précision, à développer un son à la fois puissant et chaleureux. Ce qui frappe au premier regard ? Cette complicité rythmique qui anime Uri et Mayan, les « deux batteurs ». Debout, partageant une batterie décomposée qui n’en est plus vraiment une, ils imposent un groove délicieux et une présence scénique redoutable. Et pourtant, l’heure est avant tout au réglage et pas encore à la fête. Plus généralement, la cohésion semble être le maître-mot et l’une des principales forces du groupe, au même titre que le plaisir réel de jouer ensemble. Maya, talentueuse violoniste, a pour l’instant quelques problèmes de voix ; qui ne seront (miracle de la scène) plus qu’un mauvais souvenir dans quelques heures. Rotem Bar Or, le leader du groupe, se repose ; il ne viendra qu’en fin de balance pour les derniers réglages. L’homme est souriant, plein de vie malgré la fatigue. Bien qu’il semble être exigeant dans l’exécution des très beaux morceaux de leur nouvel album, « Exit Inside », il n’y a rien d’autoritaire chez lui. Bien au contraire : ses remarques sont toujours accompagnées d’un sourire et de mots bienveillants. Un dernier morceau en conditions réelles et l’affaire est pliée : le son sera très bon ce soir. Les techniciens aux commandes du navire sont des amoureux du travail bien fait : leurs accessibilités et leurs efforts « bricolo » dans la langue de Shakespeare ont facilité l’implication du groupe dans le moment, qui n’a plus rien de charmant pour un projet qui enchaîne sa tournée européenne à un rythme effréné.
Will Samson est arrivé depuis quelques minutes. Patiemment, il attend son tour et observe cette pièce pour l’instant un peu trop grande pour lui. Will Samson a sans doute déjà la pression. Ses compagnons de scène l’ont malheureusement abandonné pour cette fois : l’immensité de l’Auvergne les a peut-être refroidis. En tout cas, le jeune Anglais a relevé le défi et a construit un set tout seul, comme un grand. Il s’installe sur scène, armé de son « tape delay », de son vieux clavier-basse, de sa guitare et de ses pédales. Il ne faut pas attendre longtemps pour entendre sa voix d’ange emplir l’espace et nous rappeler au bon souvenir de son formidable dernier album sorti sur Talitres. Nous quittons la salle envoûtés par la mélodie tout en apesanteur de « Pyrton Bells », qui sera le point culminant de son set fragile et cotonneux à venir. Nous rejoignons les membres de The Angelcy dans un restaurant attenant pour partager avec eux un très bon repas. Ils sont alertes et curieux, prêts à poser mille et une questions ; mais en même temps, et c’est logique, tournés vers les écrans de leurs smartphones, qui les relient au monde entier mais aussi et surtout, nous l’imaginons sans peine, à leurs amis, leurs proches et leur pays.
20h30 : les portes s’ouvrent. Le public est venu en nombre. Le festival Hibernarock résonne dans l’esprit de la population locale, la foule pourrait presque être estampillée du fameux « de 7 à 99 ans » des jeux de société de notre enfance. Sensibles à des artistes, qui ne sont plus vraiment des découvertes, des amoureux de la chose « folk » auront même fait le déplacement depuis Clermont-Ferrand. Des voix s’élèvent et regrettent une configuration en places assises, ceux là-même qui profiteront le plus du bar, qui restera une place de choix pour profiter pleinement du show qui nous attend.
Discrètement, Will Samson s’installe sur scène et captive très vite l’attention avec son folk nostalgique, teinté d’electronica et de textures vintage. Perturbé par de micro-problèmes techniques, Will Samson se confond en excuses. Le moment est pourtant très beau, certes fragile, mais soutenu par l’implication touchante de l’artiste dans sa musique et dans son chant. L’écoute du public est sincère, et les applaudissements généreux que suscitent les morceaux démontrent toute la capacité de Will Samson à développer un univers sonore attractif, propice à la rêverie et à la divagation. Malheureusement limité par les contraintes de son escapade en solo, le set manque un peu de nuances et ne rend pas totalement hommage à son superbe album « Ground Luminosity ». A la fois soulagé et semble-t-il heureux d’avoir partagé ce moment avec nous, Will Samson cède sa place à The Angelcy après un set de presque quarante minutes. Loin de vouloir fuir le monde, il découvrira, selon des sources fiables, un peu plus tard dans la nuit mais sans excès, les joies du bon vin et de l’accueil cantalien.
Comme un seul homme, portés par une envie qui se lit sur leurs visages, les musiciens de The Angelcy déboulent sur scène. S’ils font autant de kilomètres en avions, en camions de locations, s’ils consentent à tous ses efforts, c’est aussi pour partager la magie de la scène avec un public chaque soir nouveau et surtout de plus en plus important. The Angelcy aime être sur scène. La barrière de la langue ne sera pas un problème ce soir : un peu d’humour, quelques mots en français. Il n’en faut pas bien plus pour que l’assistance tombe rapidement sous le charme de ces Israéliens voyageurs.
Le show s’ouvre tout en douceur et fort logiquement avec « Rebel Angel ». Débutant par une simple guitare/voix, le morceau intègre progressivement tous les membres du groupe. À notre surprise, le projet enchaîne déjà avec le tubesque « My Baby Boy », véritable phénomène 2.0 et emblème des musiciens pour la sortie européenne de leur disque. Très proche de la version album, son interprétation met l’accent sur les somptueuses harmonies vocales, qui complètent à merveille le timbre de voix si particulier de Rotem Bar Or. Maya a, en effet, retrouvé sa voix et participe avec grâce aux nuances harmoniques du morceau. Les six interprètes sont déjà à l’unisson ; ils déversent, avec une joie toute communicative, leur potion magique à base de contrebasse, clarinette, violon alto, cymbale et tom basse, guitare, ukulélé et même mélodica. La température monte de quelques degrés sur « Freedom Fighters », dans une version énergique qui évoque par moments la noisy pop de Pavement. Uri Marom, le clarinettiste de la bande, nous envoûte alors avec un gimmick sautillant, réalisé pour le coup à la flûte traversière. Déjà trois morceaux parmi les plus intenses de l’album : the Angelcy devrait en garder sous la pédale. Question qui ne se posera plus : la set-list est rodée. En effet, « We Love You » interroge : est-ce une reprise ? Les paroles et les mélodies nous sont tellement familières. Nous tentons un effort de mémoire. Après vérification, le morceau est extrait d’un EP de faces B, disponible sur Bandcamp, mais ayant bien été écrit par Rotem Bar Or. Seront extraits de cet EP le fameux « Burning Man » et son esprit swing/klezmer virevoltant, le malin « Pile of Compost » permettant au public de démontrer son aptitude à la polyphonie vocale sur fond de « pom pom et whouiiii » et, pour le coup, la seule vrai reprise de la soirée, qui clôturera d’ailleurs le set, avec version épurée du cinématique « Moon River » composé par le grand Henry Mancini et Johnny Mercer. Un instant suspendu et ravivant, chez les plus anciens, le souvenir ému de l’actrice Audrey Hepburn.
La part belle est néanmoins toujours laissée à l’album « Exit Inside », avec une version très intense de « People of The Heavens » qui nous transporte pendant quelques instants dans l’univers cosmopolite de la Nouvelle-Orléans. Le concert est aussi un voyage dans les époques et dans les styles musicaux, pour le bonheur des petits comme des grands. L’instrumental « Captain Zero » réveille notre soif de grands espaces et nous installe quelques minutes devant les couleurs délavées façon 35 mm des chevauchées fantastiques de Sergio Leone, soutenues par les orchestrations magistrales de son ami d’enfance, Ennio Morricone. Pour peu, nous en oublierions presque la douce mélancolie du somptueux « Dreamer », qui clôt avec maestria l’album « Exit Inside ». La sincérité et l’intention de Rotem Bar Or dans le texte met la chair de poule et nous rappelle, à juste titre, qu’un très bon morceau ne tient souvent pas à grand-chose, si ce n’est à la justesse de son écriture.
La lumière se rallume. Les sourires se lisent sur les visages. Les nombreuses personnes qui s’agglutineront autour de la scène pour un autographe, ou tout simplement pour remercier les musiciens, attestent du beau moment que le groupe nous a permis de partager avec lui. Peut-être pas le concert le plus intense et le plus rock’n’roll de la tournée, mais certainement l’un des plus chaleureux. En tout cas, de quoi motiver, encore et toujours, l’organisation du festival à poursuivre la fabuleuse aventure de ces concerts pas comme les autres pour la 11ème édition à venir.
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indiemusic tient à remercier la communauté de Communes du Pays de Murat et la ville de Murat pour leur accueil et leurs implications dans cet article (Merci Monsieur le Maire, pour les photos) ; et bien sûr le festival, à travers sa programmatrice Adèle Jacob.