[LP] Suuns – Hold/Still

Fort de deux albums acclamés par la critique, « Zeroes QC » et « Images du futur », et du projet plus électronique en collaboration avec Jerusalem In My Heart de l’année dernière, Suuns continue de nous émerveiller avec son art-rock sombre et expérimental sur « Hold/Still ».

Suuns - Hold Still

Le quatuor de Montréal, signé par Secretly Canadian – gage de qualité s’il en est-, a développé, chanson après chanson, un univers unique et reconnaissable entre mille, en jonglant continuellement avec des influences diverses comme le krautrock lancinant de Neu!, la musique expérimentale explosive de Liars ou encore le post-punk torturé de Clinic, afin de produire des albums se démarquant non seulement par leur qualité mais aussi par leur profondeur. Et, sur ce nouvel album, on retrouve bien certains éléments caractéristiques du son du groupe, comme la voix à la limite du murmure de Ben Shemie, les nappes éthérées de synthé ou les guitares criardes ; mais le groupe ne se repose pas pour autant sur ses lauriers et explore toujours de nouveaux chemins, de nouvelles façons d’enrichir et d’étendre son univers musical.

Shemie a ainsi dit du processus de création de « Hold/Still » que Suuns avait passé beaucoup de temps à « déconstruire les chansons » et à leur donner une « trajectoire ouverte », amenant une certaine dialectique entre la sensation d’être ballotté dans un ouragan artistique au sein duquel la moindre bourrasque sonore a une importance unique, et l’expérience de nuit noire suintant de chaque note. Or, qui dit ténèbres dit clair-obscur. Et il semble que c’est le premier single, « Translate », qui est également la première chanson à avoir été composée pour l’album et la dernière à avoir été travaillée en studio, qui l’incarne : cela, avec le riff nerveux de Joseph Yarmush s’ornant d’une ligne de basse ensorceleuse au synthé et d’un beat froid et implacable, afin de délivrer une rage contenue, un groove déchirant et noctambule, à l’image du filtre coloré sublimant le clip.

Cet album se démarque avant tout par sa noirceur omniprésente : on est englobé dans une nuit sombre, étouffante et polymorphe. Plusieurs chansons prennent ainsi leur origine dans des ballades mélancoliques à base de guitare/voix, pour évoluer d’une façon typique de Suuns. L’ode ténébreuse « Brainwash » paraît percutée en plein vol par une percussion lourde à la Modeselektor ; « Nobody Can Save Me Now » abandonne son objectif narratif premier pour se transformer en un Drone nihiliste ; alors que, dans « Mortise and Tenon », Ben s’accroche à son histoire sans se soucier de l’expérimentation instrumentale contenant, couvrant ou au contraire sublimant sa voix pour finalement se prendre au jeu en finissant avec une distorsion. On retrouve, sur cet album à l’éclectisme époustouflant, de multiples univers qui s’y regroupent, se séparent et forment un spectre émotionnel allant du très obsédant « Careful » au krautrock aérien et diligent se développant sur plus de sept minutes au plaintif « Paralyser », en passant par le colérique et entêtant « Resistance », dans lequel les guitares à fleur de peau répondent à un drone prenant petit-à-petit le contrôle de l’environnement sonore.

Une partie de l’album se construit autour de sons organiques qui semblent venir de tous les côtés à la fois ; à d’autres moments, c’est par le minimalisme oppressant et le vide sonore déroutant que « Hold/Still » bâtit son dédale artistique, dans lequel on se plaît à se perdre. Dans le palpitant « UN-NO », les guitares flottent continuellement entre un rapport mélodique et rythmique pour créer une tension frénétique s’achevant brutalement après un « I’m gonna leave it to you » qui pose plus de questions qu’il n’en résout, illustrant le rapport pervers mais intime s’instaurant avec l’auditeur dans cet album. « Instrument » paraît être une transe ténébreuse à la Andy Stott, et d’autant plus dans le refrain, où le seul mot « instrument » semble devoir apporter du concret face au chaos abstrait que développent tous les instruments, justement, autour. L’ouverture brûlante, de l’album, « Fall » paraît même être un exercice de style sur la dissonance lui permettant d’irradier une noirceur étouffante mais néanmoins hypnotisante.

crédit : Joseph Yarmush
crédit : Joseph Yarmush

Le « do it » sur lequel  » Infinity » et l’album s’achèvent paraît ainsi nous demander de nous replonger, encore et encore, dans l’univers organique d’asphalte époustouflant de « Hold/Still ». Nous sommes accrochés, intrigués, suspendus jusqu’à la dernière note ; à chaque fin de chanson, on se demande ce que la prochaine nous réserve, et nous ne sommes jamais déçus. Cet opus est captivant à tous points de vue, et c’est plus qu’une confirmation de la part de Suuns : le groupe se positionne définitivement comme OVNI musical qui ne peut que continuer à s’élever.

« Hold/Still » de Suuns est disponible depuis le 14 avril 2016 chez Secretly Canadian.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général