Au sens purement pop du terme, l’opus de Sunflowers est complexe et déroutant. À l’inverse, son contre-pied artistique certainement inspiré des albums concepts des années 70 et par des pans entiers de la contre-culture, en fait une œuvre absolument passionnante, qu’il convient d’écouter comme un tout et non par bribes, au risque de rater les incroyables effets de cette musique libre et rebelle.
L’arrivée d’un nouveau larron à la basse aux côtés de Carolina Brandão et Carlos de Jesus n’est certainement pas étrangère à la direction inédite empruntée par le groupe portugais. Le duo s’était distingué par une approche revigorante et sauvage du rock, notamment sur l’incandescent « Castle Spell », sorti en 2018 en France via Only Lovers Records. À travers ce nouveau long format, le désormais trio explore encore un peu plus, et surtout un peu plus loin, les recoins sombres et à tiroirs du rock (exotica, sci-fi….), en introduisant davantage de psychédélisme dans son savoureux mélange de punk, de stoner, de garage, de surf et de krautrock, grâce notamment à l’utilisation excessive et décomplexée de synthés vintage et analogiques. L’album « Add Insult to Injury » des mythiques Add N To (X) a peut-être été l’un des disques phares sur la route lors des inlassables tournées de ces derniers années ?
La présence des claviers caractérise tellement ce disque, que nous pourrions d’ailleurs penser (à tort) que l’iconique Money Mark (repéré sur le label Mo’Wax et aux côtés des Beastie Boys) aurait lui aussi rejoint le navire. Une dimension sonore qui rajoute encore plus de nuances au côté un brin conceptuel de cette œuvre atypique. En effet, en filigrane, de nombreux disques cultes des années 70 surgissent ici et là, au moment de l’écoute, comme autant de marqueurs de la soif musicale des Portugais : nous pourrions citer, de manière très subjective, le premier album des Stooges, et même « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and The Spiders from Mars » de l’éternel David Bowie pour certains élans glam du début de disque. Autant de références qui nous permettent, sans véritablement situer stylistiquement « Endless Voyage », de saluer sa démesure certaine et sa vraie liberté, développant à l’évidence un imaginaire qui aurait plus à voir avec les Man or Astroman ou les Cramps, et une ouverture d’esprit (pas si courante dans l’univers du rock actuel) proche de certains délires de l’Anglais DJ Format ou de l’Allemand Mr Chop.
Néanmoins, le chemin du psychédélisme reste la voie centrale de ce LP, à l’image de l’inarrêtable « Oscillations », toutes guitares en avant, à peine introduit par une voix fantomatique et schizophrénique sortie de l’enfer et déjà envolée dans la stratosphère. Le genre de morceau 100 000 fois plus excitant que l’intégrale de The Oh Sees, un peu comme si les vétérans Mudhoney s’étaient soudain perdus dans un désert aride propice à toutes les hallucinations. À la différence de bon nombre de groupes psyché garage du moment, Sunflowers n’enrobe jamais ses envolées dans d’interminables solos et parvient pourtant à faire monter en permanence la sauce encore et toujours, en utilisant cette formidable énergie punk naïve qui lui va si bien. Et comme nos amis ibériques sont visiblement très joueurs, ils se jouent de notre écoute en balançant, l’air de rien, un surprenant instrumental (qu’aurait pu composer Money Mark !) avec « Contemplation » pour mieux nous retourner le cerveau façon The Psychotics Monks quelques instants d’après (« Endless Voyage 1 »), avant de nous emmener prier d’obscurs icônes païennes et interplanétaires (« Epilogue »).
Avec beaucoup d’ardeur et d’audace, Sunflowers s’aventure ainsi là où d’autres ne poseraient même pas les pieds, les guitares, les claviers, la chemise à fleur, l’épingle à nourrice, la canette de bière, le mezcal, le calumet de la paix. Bien mal lui en face ; et, sadomasochistes que nous sommes, nous en redemandons, et plutôt deux fois qu’une !
« Endless Voyage» de Sunflowers, disponible depuis le 7 février 2020 chez Only Lovers Records.
