[LP] Stella Donnelly – Beware of the Dogs

« Attention : chiens méchants » ! On aurait tort de se fier à l’avertissement et passer notre chemin. On attendait avec impatience ce premier album de Stella Donnelly après l’avoir découverte avec l’EP « Thrush Metal » réédité en 2018 par le label américain Secretly Canadian (après une première sortie en 2017 en Australie et en Nouvelle-Zélande). La passion pour ces quelques titres épurés avait été immédiate. L’association de textes cinglants avec des harmonies guitare-voix cristallines avait été, dès la première écoute, source d’émotions et d’images d’une force rarement ressentie.

Dès les premières secondes de « Old Man », on goûte au plaisir de ces retrouvailles avec la chanteuse d’origine galloise désormais installée à Perth. Le format solo des débuts a laissé place au combo guitare-basse-batterie et le tout évolue avec légèreté au son d’accords majeurs. La folk-pop découverte un an plus tôt paraît plus ensoleillée encore mais, derrière son air espiègle, Stella Donnelly continue de régler ses comptes. Ce vieil homme dont il est ici question en prend pour son grade et la sécurité qu’il éprouve derrière sa position et son revenu enviables ne semble plus garantie. Signe des temps, la parole se libère et d’autres cibles seront atteintes tout au long de l’album.

Ballades et pop songs enjouées se succèdent et l’on a très rapidement la certitude de tenir là un chef-d’œuvre. Quand « Mosquito » et « Allergies » se font l’écho de scènes (très) intimes sur fond d’arpèges délicats, « Season’s Greetings » et « Tricks » prêtent à sourire avec leur irrévérence moqueuse et leurs refrains entêtants. Tout en raillant les hommes et leurs faiblesses, Stella Donnelly fait preuve d’un sens de la mélodie qui fait mouche et illumine ces instantanés d’une vie empreinte de nostalgie, de doutes et de joies.

La verve de l’Australienne est probablement la plus vibrante qu’on ait entendue dans la pop depuis longtemps. Les morceaux de « Beware of the Dogs » sont la preuve que la jeune chanteuse sait transformer le plomb en or. À partir de situations où l’ingratitude se mêle au désir non assouvi, elle arrive à s’élever et à décrire, avec force et non sans malice, les émotions d’une jeune femme en 2019.

Est-ce une coïncidence ? « Beware of the Dogs » est sorti le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Et l’on peut indiquer, sans contrarier la principale intéressée, que cet album est l’expression d’une parole féministe, libre et émancipée. Certes, cela n’a rien d’inédit, mais le propos est ici admirable et même bouleversant quand la tension atteint son climax sur « Boys Will Be Boys ». Déjà présent sur l’EP précédent, ce morceau n’a perdu en rien de sa force originelle. Frontalement, la douleur des victimes de violences sexuelles surgit et l’on est sous le choc quand Stella Donnelly loue leur beauté détruite et à renaître pour finir sur une promesse de tourment éternel adressée aux coupables. C’est précisément là que réside la magie d’une chanson de 4’05’’ : mêler la douceur à la rage et en tirer des paroles d’une universalité sans pareille.

La descente se fait ensuite en douceur. « Lunch » évoque la vie sur la route et l’on goûte avec délice à ce sentiment ambivalent qu’est la saudade qui reste dans l’air dans les morceaux suivants. Point de mélancolie et encore moins de tristesse dans ces couplets et refrains, mais un regard déjà nostalgique sur des instants, des rencontres et des émotions vécues intensément.

Sur le morceau éponyme, elle contrôle à peine sa rage comme un chien en laisse montrant les dents qu’on aurait du mal à retenir. La vindicte d’une sincérité franche et limpide se poursuit sur « U Owe Me » adressé à un ancien patron avant la ballade aigre-douce « Watching Telly » qui souffle le chaud et le froid. Sous de belles harmonies synthétiques, la colère gronde et la revendication de voir les femmes disposer librement de leur corps est exprimée à travers un témoignage glaçant. La prouesse de mêler manifestes et récits de vie tristement banals est remarquable et l’album se clôt dans l’intimité sur le sobre et troublant « Face It ».

crédit : Pooneh Ghana

Cet album en tous points magnifique sous le bras, Stella Donnelly parcourt déjà le monde et passera par la France en avril. Qui serait assez insensible pour résister à ses chansons à la fois subtiles et narquoises ? Cette folk-pop chaleureuse met du baume au cœur, tout comme l’idée de suivre pas à pas la charmante Stella au fil de sa carrière que l’on prédit sans peine prometteuse.

« Beware of the Dogs » de Stella Donnelly est disponible depuis le 8 mars 2019 chez Secretly Canadian.
En concert en France le 17 avril à la Lune des Pirates (Amiens) et le 18 avril au Pop-Up du Label (Paris).


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Olivier Roussel

Olivier Roussel

Accro à toutes les musiques. Son credo : s’autoriser toutes les contradictions en la matière.