[Live] St. Vincent au Trianon

On avait laissé St. Vincent il y a trois ans avec un projet homonyme qui l’avait vue se métamorphoser en cyber rock star, nous mettre à genoux grâce à des shows épiques et même décrocher un Grammy Award. Avec un statut donc assez différent, l’Américaine revient à Paris défendre un cinquième album pas forcément à la hauteur des attentes des fans de la première heure et, parfois, indigeste. Mais, dans l’univers complexe de l’artiste – à savoir, un nouveau concept impliquant un nouveau spectacle -, on s’est quand même rendu au Trianon pour voir si la talentueuse Annie Clarke transformerait son disque grâce à sa maîtrise scénique.

crédit : Cédric Oberlin

Avant le verdict, cependant, ce n’est pas une première partie qui est promise, mais un court-métrage aux accents de film d’horreur, à l’empreinte sonore très (trop ?) marquée et à l’esthétique également poussée. Une première réalisation de l’artiste, qui tente de nouvelles expériences et ravit de nombreux fans exultant au moment de voir son nom apparaître au générique du film. Mais le contexte de présentation de l’œuvre peut par contre, lui, sembler un brin discutable – ce n’est pas sans raison que le Trianon se transforme rarement en cinéma.

Quand vient enfin l’heure du show, programmé en deux étapes, on passe très vite par diverses émotions. Dans un premier temps, la surprise : St. Vincent a en effet, pour cette ère, choisi de défendre ses nouvelles productions seule avec sa guitare, sans le groupe qui nous offrait un vrai spectacle à Rock en Seine ou au Pitchfork Festival en 2014.

Derrière un pied de micro qui se balade, en petite tenue rose fluo, Annie Clarke commence donc, pendant trois gros quarts d’heure, par revisiter le meilleur de ses précédentes setlists. Mais, loin de tout réimaginer en guitare-voix, elle est assistée de bandes-son envahissantes, qui donneraient l’impression à quiconque fermerait ses yeux d’être resté chez soi pour faire tourner ses disques dans sa chambre. Si la présence électrisante, la voix plus que caractéristique ainsi que la mise en scène soignée de la performeuse peuvent suffire à combler l’appétit de live de certains, on a quand même l’impression, au fil des titres qui s’enchaînent, que tout cela tourne un peu dans le vide. Reste cependant quelques morceaux pendant lesquels St. Vincent peut s’acharner sur sa guitare, à l’image du génial « Birth In Reverse » venu offrir une forme de consolation, mais qui ravive surtout une faim qu’elle ne saurait entièrement satisfaire.

Quand, après un court entracte, Annie embraye sur une deuxième partie consacrée à « MASSEDUCTION », on comprend vite que la configuration bandes-son ne va pas vraiment permettre de se forger un ressenti autre que celui de la version studio. La production un brin bourrine du long-format s’en trouve même presque redoublée quand le rideau s’ouvre sur l’Américaine, maintenant dressée sur une estrade et vêtue d’une robe argentée. On peine ainsi à se laisser prendre par le titre single ou « Sugar Bo », très symbolique d’un nouveau virage opéré aux côtés de Jack Antonoff, producteur pas toujours inspiré et encore moins délicat, au point de vous donner de vraies raisons de haïr Zayn, Taylor Swift, Lorde ou Fifth Harmony, avec lesquels il travaille en studio.

Ce cinquième long-format est ainsi largement inégal, entre ballades peu aventureuses et inspirées (dont la trop courte « New York ») et hits pop surproduits et pour le moins génériques (« Pills »). St. Vincent prend peut-être une stature telle qu’elle échappe aux expérimentations à la fois simples et complexes qui en faisait une avant-gardiste pop et maîtresse de la scène. Jusqu’en 2014, son songwriting laissait une place à ses talents de guitariste et nous faisait vivre ses prestations comme de vrais concerts de rock. Au Trianon, si elle en impose toujours, elle a semblé un peu trop se réfugier derrière tout un glitch hautement esthétique ; comme si la forme avait supplanté le fond, que l’emballage faisait désormais le produit, au point de se sentir démuni en voyant Annie Clark en faire trop pour ne pas en donner assez.

Le plus gênant reste surtout l’aspect très calibré de cette prestation, préparée au millimètre près, de telle sorte qu’à tel moment elle s’est positionnée avec tel micro sur telle partie de la scène, d’abord tout à gauche – quand on la regarde depuis le public – avant de glisser systématiquement vers la droite, à l’aide d’un staff plus que bien réglé. Puis, voilà qu’à un instant précis, elle se retrouve à chanter allongée par terre, débarrassée de son impressionnant stock de guitares colorées, avant de monter sur son estrade, et ainsi de suite.

C’est presque la base de ce genre d’événement qui a manqué finalement pour vivre un vrai grand spectacle (puisque c’est de cela dont il s’est agi) : du naturel, de l’imprévu, ou juste un brin d’émotion dont l’absence a pâti sur la générosité de l’artiste, non sans transformer l’ensemble en froide communion qu’un puissant jeu de lumières stroboscopiques n’a pas suffi à sauver.


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens