[Live] Soirée « Mange tes Morts » à la Maroquinerie

À l’occasion de la fête des Morts mexicaine (el Día de los Muertos), Time Out Paris organisait une petite sauterie à la Maroquinerie, avec des concerts de La Jungle et de Bo Ningen, agrémentés de sets publics de Francis Mallari et Simon Dubourg de Rendez-Vous et de Eric Stil, ainsi que d’un set payant d’Arnaud Rebotini, qui sortait pour l’occasion ses meilleures galettes de post punk, de new wave et d’indus.

Bo Ningen – crédit : Cédric Oberlin

Tout commence plutôt calmement, dans la cour intérieure de la Maroquinerie, où Francis et Simon s’installent derrière les platines près du bar pour ambiancer à la fois des gens venus simplement boire un verre et ceux qui assisteront après aux concerts en sous-sol. Pas de doute sur la marchandise, les mecs de Rendez-Vous ne sont pas là pour la blague et décochent plusieurs flèches venimeuses de punk bien crade d’hier et d’aujourd’hui pour un set tout en vacarme et noirceur, à l’image de leur musique. Mais les véritables hostilités commencent au sous-sol, dans la salle de concert de la Maroquinerie, où La Jungle, duo belge originaire de Mons, arrive un peu en retard et commence son fracassant concert inclassable de garage, math rock et avant funk métallique devant une foule pour le moins clairsemée. Mais difficile pour autant de résister à l’incroyable énergie que communiquent et délivrent Reggie à la batterie et Jim à la guitare, et l’effet sur le public se fait vite ressentir : la foule se densifie, les gens se chauffent, ça commence enfin à bouger un peu dans la fosse même si tout cela reste bien sage en comparaison de la performance herculéenne des deux Wallons. Peu de paroles si ce n’est quelques cris beuglés dans le micro et noyés dans les effets de delay, tout est dans les rythmiques insensées de la batterie (on n’en revient toujours pas), les riffs acérés aux motifs dansants et dans les litres de sueur qui coulent et qui volent un peu partout. Ces deux-là n’ont certainement pas usurpé leur remarquable réputation de bêtes de scène.

On remonte quelques minutes prendre une bière et un bol d’air pour s’apercevoir que tout ne se passe pas forcément comme prévu du côté des DJ sets gratuits. En effet, Eric Stil, sans doute un chouia trop emballé par le programme de la soirée, est déjà bien attaqué et s’écroule tantôt sur les gens qui viennent danser devant les platines, tantôt sur les platines. Dommage, car sa sélection était par ailleurs de très bon goût, alternant classiques du punk à quelques gemmes plus obscures dont il a le secret. On le retrouve d’ailleurs quelques minutes plus tard dans la fosse pour Bo Ningen, toujours aussi rond, et ayant visiblement cédé la place à un des mecs de Rendez-Vous pour assurer la suite du set à l’étage.

Faut-il encore présenter les Japonais établis à Londres de Bo Ningen ? Le quatuor, qui signe ici sa dernière date de la saison avant de retourner en studio peaufiner un quatrième album qui s’augure forcément passionnant, trouve à la Maroquinerie un écrin parfait pour restituer toute la complexe puissance de sa musique profondément inclassable. Toujours vêtus de looks improbables – le fameux pull en maille orange du bassiste et chanteur Taigen Kawabe – et dotés de chevelures chatoyantes qui voleront vite dans tous les sens une fois le concert démarré, c’est cette fois devant une foule dense et compacte et surtout chauffée à blanc qu’ils s’apprêtent à jouer. C’est simple, de mémoire d’amateurs de concert de rock, on aura rarement vu un type aussi à fond que ce grand chauve baraqué qui fend la foule au bout de deux morceaux pour se donner corps et âme dans des pogos d’une violence au final très bon enfant et respectueuse. Le son est énorme, le volume indécent et les deux guitares nous lacèrent les tympans de textures tantôt stridentes, tantôt planantes, mais délibérément désaccordées. Avec l’aisance et l’efficacité qu’on leur connaît, les Japonais enchaînent furie punk au phrasé quasi rap, décharges électriques colossales et passages plus mélodiques qui lorgnent volontiers vers le jazz électrique et perché d’un Weather Report ou d’un Soft Machine qui se serait essayé au shoegaze.

Taigen assure toujours le show côté mimiques et gestuelles et sa présence en impose, mais ce qui sort ce concert du lot des autres excellentes prestations du groupe qu’il nous a été donné de voir, c’est que pour une fois, ce sont eux les stars, eux que le public est venu voir, et que le petit volume de la salle rend parfaitement justice à l’énergie sauvage et libératrice qui se dégage de leur musique. En cela, le groupe communie comme rarement avec un public qui s’abandonne tout entier à la seule loi des décibels et des changements de rythme abrupts, se foutant gentiment sur la gueule une minute et se faisant des câlins ivres de bonheur et de musique l’instant suivant. Et comme tout ceci ne saurait être parfait sans le final désormais attendu et explosif qui pour nous fait entrer ce groupe directement comme l’un des meilleurs au monde à voir suc scène en ce moment, c’est une version de bien 25 minutes de la suite « Daikaisei » qui nous sera jouée, depuis son riff kraut monumental en introduction jusqu’aux effusions noise et punk de ses dernières minutes où tout n’est plus que voltige, fracas, images floues de lumières, de couleurs, de gens autour de nous, de cheveux et d’instruments qui volent pour un rite musical d’une intensité folle et résolue in extremis par le bond sur scène de Taigen qui avait délaissé sa basse après l’avoir suspendue à son nombril avec les dents pour mieux escalader les amplis. Tout simplement prodigieux.

Difficile de se remettre d’un choc pareil mais il le faut bien s’il on veut profiter de la fin de soirée et du set vinyles d’Arnaud Rebotini, DJ français spécialisé dans la house et récemment revenu au premier plan grâce à sa BO remarquée de l’excellent film « 120 battements par minute » de Robin Campillo. Le colosse moustachu prend place après une pause méritée pour digérer le choc nippon, prendre l’air, à boire et constater que ça ne va toujours pas mieux du côté de Eric Stil, qui après avoir participé aux pogos en se laissant pousser d’une personne à l’autre vient de s’écrouler sur la platine qui passait pourtant l’excellent « Police on my Back » des Clash. C’était pas sa soirée – ou c’était peut-être un peu trop sa soirée.

Stoïque et droit, Rebotini va lentement faire monter la pression, commençant son set par quelques pépites dark de cold wave, un Sisters of Mercy par-ci, un remix Siouxsie and The Banshees par-là, pour le bonheur des nombreux noctambules venus pour l’occasion – et certains sur son seul nom. On redécouvre à l’occasion un trésor oublié des B52’s dans une version longue assez dingue, et le ton se durcit inexorablement, se faisant de plus en plus implacablement rock, voire carrément metal puisque lorsque nous quittons les lieux, la fête bat son plein sur le classique indus de Ministry « Just One Fix », qui atteste la large palette musicale de ce DJ respecté et respectable que c’est par ailleurs un grand plaisir de voir jouer et apprécier les disques qu’il passe et dont il connaît chaque parole visiblement par cœur. Une très belle fin pour une très belle soirée.

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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique