[Interview] Snail Mail

Figurez vous que Lindsay Jordan n’a pas 20 ans, et qu’elle s’offre déjà le luxe de signer l’un des meilleurs albums de cette première moitié d’année. Après un EP en 2016, la voici de retour avec un premier album, « Lush », un récit post-adolescent qui oscille entre déceptions amoureuses et affirmations du moi, sur fond de guitares intransigeantes et déjà bien rodées. Nous avons eu la chance de la rencontrer il y a quelques semaines, juste après son concert très prometteur à Villette Sonique. On ne saurait que chaudement recommander aux absents la séance de rattrapage de l’automne, qui se déroulera cette fois au Pitchfork Music Festival Paris.

  • Tu viens tout juste de jouer à Villette Sonique, et tu es aussi actuellement en train de terminer ta tournée européenne. Comment s’est-elle passée ?

Oui, demain c’est notre dernier jour ! C’était la toute première fois que nous jouions en Europe. C’était vraiment génial, et on a eu plein de bonnes surprises. Le simple fait de pouvoir jouer ici est une super récompense. C’est probablement ma tournée favorite à ce jour.

  • Est-ce que le public européen t’a paru différent du public américain ?

Totalement. Je dirais que les publics européens sont aussi très différents entre eux. Les Anglais étaient super excités et enthousiastes par exemple, pendant que d’autres étaient plus réservés. Chaque jour était différent du précédent. L’Europe n’a rien à voir avec les États-Unis, et je suis vraiment contente de tous les concerts qu’on a pu y faire.

  • Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans le fait de partir en tournée ?

Je pense que ce sont les moments entre mon arrivée à la salle et l’heure du concert, pendant lesquels je peux explorer les alentours. J’apprécie aussi beaucoup les jours off ou de promo qui me permettent de mieux découvrir les villes où je suis. J’ai pu faire un tour de vélo super cool à Amsterdam par exemple. Ah, et j’adore goûter les glaces de chaque endroit où je me trouve (rires), je te jure qu’elles peuvent être très différentes de ville en ville. En fait, ce que j’aime surtout, c’est de me réveiller dans un lieu que je ne connais pas encore. J’étais déjà venue en Europe après avoir terminé le lycée l’été dernier, mais c’est aussi super d’être ici pour une raison, et pas juste pour faire du tourisme. C’est cool d’avoir un emploi du temps et quelque chose à faire, même si j’apprécie mon temps libre.

  • En plus de cette tournée européenne, tu t’apprêtes à sortir ton premier album. Comment tu te sens par rapport à cela ?

Je me sens super bien ! Je suis impatiente. Les journées promo ont été assez intenses, mais je crois qu’elles se sont bien passées. On va partir en tournée pour marquer la sortie de l’album d’ici une semaine, et aussi jouer avec Belle & Sebastian dans quelques jours. J’ai hâte d’y être. J’ai l’impression que ça fait une éternité que j’attends ça, alors je suis vraiment contente que le moment arrive enfin.

  • Pendant combien de temps as-tu travaillé sur « Lush » ?

Je dirais un an et demi… peut-être un peu plus… sans doute deux ans !

  • J’ai lu qu’au final, tu avais une sélection de presque 30 chansons qui auraient pu être sur l’album. Comment as-tu choisi celles qui y ont finalement été intégrées ?

Toutes ces chansons n’étaient pas intégralement terminées. Les paroles de certaines n’étaient pas encore écrites. J’avais surtout beaucoup de brouillons. Les chansons que j’aimais vraiment m’ont suivie jusqu’à la fin, pour l’essentiel en tout cas. J’ai gardé celles qui me paraissaient les plus émouvantes à jouer en live, les plus vulnérables, les plus réelles. Celles qui valaient la peine que je leur consacre du temps pour les finir. Il y avait beaucoup de chansons, mais elles n’étaient pas toutes des… chansons. J’avais des fragments qui avaient été écrits par-ci par-là qui n’avaient jamais donné naissance à des morceaux, d’autres que j’étais plus sûre de garder.

  • Tu dis avoir gardé les plus émouvantes et les plus vulnérables. Est-ce important pour toi de communiquer ces émotions à ton public ?

J’ai l’impression de me faire du tort lorsque je joue des chansons qui ne racontent pas ma propre histoire ou qui ne disent rien sur moi. Je me sens comme un escroc. Je n’arrive à me sentir bien que si chaque soir, je peux jouer des chansons qui parlent de mon expérience et de mes émotions. C’est un peu ennuyeux de jouer les mêmes morceaux tous les soirs s’ils ne veulent rien dire. Il faut qu’ils résonnent en moi pour que je puisse les jouer avec conviction.

  • N’est-ce pas parfois effrayant pour toi de t’exposer à autant de gens de façon si personnelle ?

Non, plus maintenant ! Lorsque j’écrivais des chansons avant, par exemple sur « Habit », je m’empêchais certaines choses. J’étais inquiète à l’idée de jouer des chansons qui racontaient des histoires trop intimes. La façon dont j’écrivais me permettait d’éviter ça, en restant vague et… en quelque sorte impersonnelle. Enfin, c’est très dur d’être impersonnelle, mais je pense que les chansons présentes sur « Lush » vont plus loin et pénètrent plus le monde de mes insécurités. Mais tu vois, je crois que tu prends tellement l’habitude de t’exposer devant de nouvelles personnes tous les soirs que cela devient une routine. Enfin, ce que je veux dire, c’est que ces chansons veulent dire beaucoup pour moi, mais que je n’ai plus peur de les jouer. Cette angoisse a disparu après quelque temps.

  • Tu mentionnais ton EP « Habit », sorti en 2016. Qu’est-ce qui a le plus changé pour toi, en tant que personne et qu’artiste, depuis sa sortie ?

Je dirais que j’ai eu la chance de voyager et de découvrir le monde. J’ai aussi dû faire beaucoup de choix et apprendre ce qu’était la maturité, car être sur la route tout le temps te fait devenir adulte. Une grande partie de « Lush » a été influencée par ces expériences. Je pense que j’ai beaucoup appris sur moi-même pendant ces années, et sur le sens que je peux donner à ma carrière en tant qu’artiste. Quand les regards se sont portés sur l’écriture de mon album, il est devenu très dur de me persuader que je n’écrivais que pour moi. De continuer à écrire des chansons cathartiques, pour moi et pour personne d’autre. J’ai dû apprendre à travailler dans ce genre de conditions pour me sentir à nouveau dans mon élément. Maintenant, je me sens bien mieux, et je sais pourquoi je fais ça.

  • Est-ce que ta signature avec Matador pour ce premier album a aussi influencé ta façon de travailler ?

La plupart des chansons étaient déjà écrites à ce moment-là. Je pense que cela aurait pu me mettre plus de pression, mais j’ai appris à faire la part des choses entre d’un côté la personne publique, qui signe des contrats et gère un business, puis la personne vulnérable qui écrit des textes seule dans sa chambre. C’était très dur de m’adapter à ce monde et d’effectuer cette séparation, mais elle m’a permis de conserver mon processus d’écriture habituel. Je pense que ce qui compte vraiment, c’est d’écrire des chansons qui t’importent. La façon dont d’autres personnes reçoivent tes morceaux n’importe pas, tant que tu peux toi-même les défendre. C’est la clé de tout.

  • « Lush » fait référence à des épisodes très personnels de ta vie, et parmi eux des coups de cœur amoureux ou des ruptures. Est-ce que l’écriture est un moyen pour toi de gérer les émotions associées à toutes ces histoires ?

Oui, je crois que c’est… très cathartique. Je considère l’écriture comme un exutoire. Cela me permet de recontextualiser les choses, et de comprendre ce qu’il se passe dans ma vie à ce moment précis. Écrire de la poésie, ou dans mon cas, écrire des chansons et les jouer, est ce que je considère comme l’une des formes d’expressions les plus honnêtes et les plus sincères. C’est cela qui permet de… faire de la vraie musique. Je veux dire que, pour écrire une bonne chanson, il faut pouvoir dire ce que tu as sur le cœur. J’aime parler de ma propre vie dans ma musique. Si j’essaie d’écrire sur autre chose que ce qui m’importe vraiment, je me trouve souvent en grande difficulté et je suis obligée de revenir à mon procédé d’écriture habituel.

  • J’ai l’impression que tu en reviens aussi régulièrement à ta propre identité, à la personne que tu es, et à la place que tu occupes dans ces relations. Est-ce que la musique te permet de te réaffirmer en tant que personne ?

Oui, clairement. Je pense que ma détermination et la conscience que j’ai de moi-même sont deux de mes grands traits de caractère. Ils me permettent de m’exprimer et d’écrire des paroles comme j’écrirais un journal. Cela me permet de savoir ce que je suis et où je me trouve dans ma vie au moment où je les écris. Ça me rend aussi capable d’écrire une chanson, puis de la jouer tous les soirs sans avoir l’impression que je devrais cacher certaines choses. La musique me permet de faire face aux choses plus facilement, et de pouvoir ouvrir mon cœur à chaque concert. De remettre les choses à leur place, aussi. Je suis très contente d’en être arrivée là.

  • Est-ce que tu écris ces chansons sur le moment même, ou est-ce que tu reviens par la suite sur ces sentiments et ces émotions ?

J’écris plutôt sur le moment. Il faut que je puisse ressentir ce que je chante, que ça me paraisse juste et important. Sinon, ça ne marche pas. « Lush » vient principalement de ce que je ressentais à une période où je faisais l’expérience de nouvelles choses, comme perdre contact avec mes amis, ou voyager sans cesse. Tous ces récits de relations, de débuts de relations, ou peu importe ce que l’album raconte, ont été écrits sur l’instant. C’est à ce moment que tu écris ta meilleure poésie. Ça me paraîtrait malhonnête d’écrire sur quelque chose qui est déjà passé.

crédit : Audrey Melton
  • Est-ce que tu commences par l’écriture des paroles ou de la guitare ?

J’ai toujours commencé avec la guitare. J’ai souvent déjà composé toute la mélodie lorsque je commence à écrire les paroles, même s’il arrive aussi que j’aie déjà une phrase, ou une petite idée de ce que je veux dire quand je débute un morceau. Les deux se développent alors en parallèle, même si la guitare reste première pour moi.

  • Comment est-ce que le titre de l’album, « Lush », lie toutes ces histoires les unes avec les autres ?

Je pense que c’est un mot qui résume bien tout l’esprit de l’album, et qui le décrit aussi musicalement. Il y a à la fois ces grandes lignes instrumentales dans lesquelles tu peux plonger, mais aussi ces paroles qui racontent des histoires qui se rejoignent autour de thèmes similaires… J’aime bien imaginer que c’est un album dans lequel on peut totalement s’immerger et se perdre. J’aime aussi tous les sens que l’on peut donner à « Lush », qui est un mot très riche en lui-même. Ouais, j’aime beaucoup ce titre. (rires)

  • J’ai une dernière question qui porte plus sur tes goûts musicaux personnels : quels artistes est-ce que tu recommanderais à nos lecteurs ?

Hum… Je parie que vous connaissez toute la musique que j’écoute ! (rires) J’écoute vraiment beaucoup de Fever Ray dernièrement, même si ce n’est pas très original, j’adore John Maus… J’aime aussi George FitzGerald, Princess Nokia… Le nouvel album de Ought est super bien. Je pourrais probablement t’en dire plus, mais voilà ceux qui me viennent à l’esprit maintenant !


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Cassandre Gouillaud

Étudiante, passion musique. Si jamais un soir vous me cherchez, je suis probablement du côté des salles de concert parisiennes.