[LP] Saycet – Mirage

Un disque remettant totalement en question l’art si particulier du projet parisien, tout en posant de nouvelles bases mélodiques envoûtantes et osées.

Saycet - Mirage

Avouer que l’on attend chaque nouvel effort de Saycet avec une intense fébrilité est une évidence. Au fil des années, on reste passionné par le talent de création de Pierre Lefeuvre, maître de cérémonie d’un spectacle auditif (et visuel, sur scène) passionnant et mystérieux, fascinant et hypnotique. On conserve ce besoin de découvrir de nouveaux sons, de nouvelles tentatives d’exploration de territoires électro vierges et attendant la récolte.
Autant être franc : « Mirage », ce nouvel album que l’on n’attendait plus, préfère emprunter les chemins de traverse et parcourir de nouvelles plaines musicales inattendues. Le disque est tout simplement une surprise autant qu’un plaisir sensoriel menant immédiatement à l’addiction. En concentrant toute son énergie sur la mélodie et en ôtant les rythmiques complexes qui faisaient le sel de ses créations précédentes, le compositeur offre une collection émotionnelle puissante et sobre, dans laquelle les frissons du plaisir côtoient la beauté harmonique la plus directe et marquante.

Car « Mirage » est avant tout une expérience intérieure, un symbole créatif amenant de nouveaux repères dans une discographie dédiée à la profondeur et à la recherche sonores. Pierre Lefeuvre prend des risques, ce qui se révèle dès « Ayrton Senna », plage atmosphérique déstabilisante et sobre, profonde et à la tension progressive et captivante (celle-là même que l’on retrouve dans « Northern Lights »). On devine dès lors que le virage de l’entité créatrice sera beaucoup plus large que ce que l’on pouvait supposer. Car même les chansons interprétées et portées par la voix de Phoene Somsavath, fragile et étrangement marquante (Volcano) se voient accompagnées pour la première fois par un chant masculin discret, presque murmuré mais rapidement addictif (Mirages), laissant l’homme dominer les machines et amenant un caractère ombreux et suggestif à un ensemble ici confié plutôt qu’offert (Half Awake).

Saycet fait le don de ce disque comme on lance les dés sur le tapis : en laissant le hasard se conjuguer à la perfection et à la maîtrise des instruments et arrangements (Quiet Days). Le rythme se fait plus langoureux, lui aussi, ralentissant les fulgurances artificielles des LPs précédents et s’enfonçant dans une franchise musicale pure et directe (« Kananaskis », ou encore les deux parties de « Smiles From Thessaloniki »). L’apothéose est atteinte à travers l’inoubliable « Cité Radieuse », éclair transfigurant le ciel pourtant calme de « Mirage » ; d’une densité étonnante et charriant le spleen le plus admirable, le titre devient, en cinq minutes, le fer de lance d’un album risqué et ô combien mémorable.

Il serait trop réducteur d’affirmer que Saycet dépasse toutes les attentes ; au contraire même. Cette collection de mélodies introspectives et miraculeuses fait fi des désirs et des barrières enfermant son géniteur dans un carcan électro beaucoup trop réducteur. De l’envie, de la précision et une énorme dose de passion ; en traversant les frontières de son propre genre, Pierre Lefeuvre le repose à plat, brise l’enclos des glitches et des nappes synthétiques pour non pas tout refaire, mais plutôt chercher, dans ces brumes électriques, l’essence même du sublime.
Ces images que l’on croit réelles mais qui, en se rapprochant, se montrent totalement différentes de ce que l’on imaginait. En nous invitant à contempler ses propres mirages, cette eau que l’on désire et qu’on ne peut toucher qu’en avançant toujours plus loin, il déroule devant nous des illustrations en trompe-l’œil, des tableaux qui n’auront jamais, au fil des écoutes, la même apparence. Comme s’il posait ses bagages, sur une route déserte, et laissait l’imagination faire le reste ; donner à voir alors que l’horizon est en mouvement perpétuel, puis immortaliser par le son les clichés furtifs d’une quête infinie et que l’on ne pourra qu’aimer.

crédit : Yann Le Flohic
crédit : Yann Le Flohic

« Mirage », ou les chroniques musicales d’un artiste préférant le plaisir et la mélancolie à une complexité inutile et sans goût. L’un des albums les plus impressionnants de ce début d’année, de ceux qui nous suivent et nous aident à respirer, chaque jour.

« Mirage » de Saycet, disponible le 23 février 2015 chez Météores Music.


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Raphaël Duprez

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