[Live] RY X à l’Union Chapel

Quand le lieu et la musique ne font qu’un, l’osmose est radicale. RY X a délivré ses sons dans une intimité pure et vertigineuse.

crédit : Julien Catala
crédit : Julien Catala

Mon esprit ramenait le mot « chapelle » dans son élément le plus restreint, entre deux maisons de villages ou dans les catacombes de riches héritiers. Les lieux que renferme l’Union Chapel sont tout autres. Islington, North London, 19h47. L’imposante structure gothique envoie valser sur les roses ma piètre traduction – si on peut l’appeler ainsi. Après avoir frissonné sur les pavés glissants de l’attente, je m’accroche à la voix du guichetier qui essaie de comprendre l’expression de mon triple A nominatif. L’exaspération gagne du terrain, mais ne laisse rien gâcher de mon empressement. La nef de l’église écrase tout ce qu’il y a de plus commun, de fortuit, d’habituel, de ces salles de concert où foisonnent des odeurs acides et des cris d’approbation. Les gens arrivent au compte goute, font des aller-retour discrets vers le café pour s’envelopper les doigts autour de tasses de thé brûlantes, et discutent poliment entre eux sans offenser le vestige de pierre qui semble être, dans l’instant, le gardien de tous leurs désirs.

Mes yeux roulent, s’activent en tout sens pour mesurer l’envergure poussiéreuse des lieux. Des accessoires occultes animent le charme bohème de la scène. Des chapelés sont suspendus aux montoirs des micros, un châle flirte avec les touches du synthé, des bougies encore vierges arpentent les baffles et les moniteurs. Les bancs liturgiques sont inconfortables, mes membres réagissent à l’humidité, mais je m’assure objectivement du contraire, heureux d’être dans un des antres scéniques les plus inspirants sur Terre. Avant que ma tête ait fini de dénombrer les éléments que peut libérer ce genre d’utopie, une brune à l’accent marqué de je ne sais où s’affère sur une chaine de cantine, empoigne son violoncelle et s’élance dans l’accoutumé discours de présentation. Rhosyn prend son archet, frotte la tension des cordes et fait jouer les pédales de son pad pour enregistrer les couches sonores qui serviront de base à son mille-feuille étoilée. Sa voix suave se soumet à la déstructure épuré de Fiona Apple et d’Isaiah Gage. L’intimité devient palpable, le silence est religieux. Le son est mauvais, mais qu’importe, ce détail est un grain de sable.

L’entracte s’étend. Les régisseurs branchent, débranchent, passent et repassent. Un doigt se brûle, un briquet se meurt, les lumières des bougies inondent la scène. Comme pour éviter d’éteindre les mèches enflammées, les ombres de RY X et de ses deux musiciens viennent à pas de velours troubler le clair-obscur. Faible et réconfortante. Peu à peu, les spots laissent entrevoir l’accoutrement du céleste vagabond : des tissus superposés lui servent de bas, un tee-shirt trop grand à l’encolure mangée par les mites, des larmes d’encre et de son Tilak frontal qu’on ne sait s’il provient de l’hindouisme ou de l’effet de style. L’arrangement de « Shortline », « Vampires » et « Berlin » est divin, pour ceux que je reconnais. Pas moins somptueux, les autres morceaux sont inconnus, inédits et attendent désormais d’être un jour libérés dans les bacs. Son office est parsemé d’interludes sur l’histoire de sa Californie d’adoption, de son Big Sur où il l’aime se purifier et écrire à tue-tête, de sa manière faussement naïve de comprendre le monde et ses hôtes.

Il se justifierait presque d’être à part, de vivre sur une autre planète, faite de ciel et de nuages. Le titre du dernier rappel subjugue, il irradie l’audience par sa sensibilité hors-norme. J’entends le souffle de ma voisine durant les longues secondes qui précède l’acclamation. RY X salue le public exalté, la main posée sur son cœur. À tout moment, ses larmes tatouées auraient pu se changer en sel. Les mains claquent encore longtemps quand le gourou quitte la scène en laissant derrière lui le regard figé des icônes fixées au mur.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante