[LP] Ruppert Pupkin – Run

Parfois au détour d’un dossier de presse, certaines références font mouche et créent une envie irrésistible de plonger tête baissée dans l’énergie d’un disque. Quand des influences aussi emblématiques que PJ Harvey, Blonde Redhead et Beth Gibbons sont annoncées, le désir est tout de suite là, forcément. Mais tout l’enjeu reste alors de transformer l’amorce en conclusion heureuse. C’est ainsi que « Run » de Ruppert Pupkin est arrivée sans prévenir dans nos enceintes.

Ruppert Pupkin - Run

Avant l’écoute de la moindre note, nous n’avions d’ailleurs pas du tout fait le lien avec l’actrice et réalisatrice française qui se cache derrière ce patronyme, en l’occurrence Emmanuelle Destremau. Sans jouer les opportunistes, nous pouvons néanmoins affirmer sans frémir, que « Run » impose une vraie personnalité et un univers singulier, qui manque peut-être parfois d’ambition ou de densité. En même temps, les points de comparaison qui avaient attiré notre attention placent le curseur très haut, sur la mesure d’une exigence difficilement franchissable sur l’exercice difficile d’un premier album.

L’écoute de ces onze titres s’avère plus que plaisante, en commençant par le titre « Save U », qui se dévoile tout en douceur sans oublier de s’agiter à l’envi. Le ton est résolument pop, mais une pop énergique et sensuelle, presque déviante, qui sait être sage sans oublier d’être passionnée. Puis vient « Take Care » plus direct, presque plus évident, qui lorgne du côté de l’excellente Laetitia Sheriff. Peu à peu, un climat général s’installe, à l’image du titre éponyme, qui aurait pu voir Ruppert Pupkin se transformer (avec bonheur ?) en sœur jumelle de la bien nommée Mademoiselle K, la langue française en moins. C’est peut-être cela finalement le principal défaut de Ruppert Pupkin, qui selon notre hypothèse se réfugie dans l’anglais comme derrière un masque protecteur, qui permet autant qu’il inhibe. Les intentions vocales de Ruppert Pupkin racontent par moments tellement plus de choses que les mots, comme sur « Visions ». L’éternel débat de l’écriture rock en français pourrait facilement ressurgir dans cette chronique, nous qui aimons tant l’écriture d’un Olivier Depardon ou des passionnantes Mansfield.TYA par exemple. Avec un peu de chance, nous aurons l’occasion de poser directement la question à Emmanuelle Destremau, la réponse n’étant évidemment qu’une affaire de ressenti et de parti-pris esthétique.

« Run » fait néanmoins preuve d’une surprenante cohérence, qui atteste sans aucun doute, de la maturité musicale évidente du projet. Un petit tour sur la toile : force est de constater que la plupart des morceaux existe déjà par eux-mêmes depuis longtemps. L’album se présenterait ainsi comme une synthèse de la genèse du groupe, depuis un premier EP en 2010, nommé « French Kisser ». Car même si de fait, l’attention se focaliserait facilement sur Emmanuelle D, qui tient avec force la barre du navire (paroles, compositions et chant) : la jeune femme a su s’entourer d’une sacrée bande de flibustiers, dont les faits d’armes ne sont plus à prouver depuis bien longtemps. La continuité de l’album doit certainement beaucoup à ces musiciens, qui illuminent cet étrange voyage, entre des univers feutrés et aérés, que viennent contraster des univers plus électriques, tout en tension. (« Everynight »). L’humeur des morceaux est même parfois guidée par de très belles textures sonores, qui s’étirent avec douceur, offrant de magnifiques espaces d’expressions à des sonorités plus classiques comme les arrangements de cordes sur « How Many Lives » ou « My Pain ».

crédit : Margaux Bonhomme
crédit : Margaux Bonhomme

La fin du disque est même l’occasion pour le groupe de réaliser le fantasme d’un superbe duo moitié femme-moitié homme, comme à la belle époque du « Murders Ballads » de l’immense Nick Cave. Nous pardonnerons ainsi aisément les défauts de jeunesse de ce disque, qui se présente naïvement comme une autoproduction. Mais donner corps à des années de passion est souvent une étape décisive pour un groupe qui se révèle tout en se cherchant. Ruppert Pupkin : un nom et désormais une entité à part entière, qui trouvera résonance auprès des fans d’indie rock, excités par la perspective d’un prochain disque, que « Run » semble suggérer à travers ce premier jet passionné et passionnant.

« Run » de Ruppert Pupkin est disponible depuis le 10 juin 2016, en autoproduction, avec le soutien de Microcultures et Differ-Ant.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.