[Live] Rock en Seine 2022

Trois ans après la parenthèse pandémique, Rock en Seine revient encore plus fort avec une programmation de « rattrapage » qui, sur quatre jours (qui auraient pu même être cinq !), a rassemblé la plus belle collection d’artistes que le festival du Parc de Saint-Cloud n’avait plus invoqué depuis une dizaine d’années. La preuve en texte et en images avec ce best-of non exhaustif d’un week-end du mois d’août comme les Franciliens n’en avaient plus connu depuis (trop) longtemps.

Aurora © Cédric Oberlin

Première décharge de l’édition, au cœur d’un jeudi consacré essentiellement à l’indie-rock britannique, Idles est clairement monté en grade depuis son passage déjà remarqué sur la scène de la Cascade en 2018. Trois albums plus tard, le band de Bristol a consolidé une fanbase hardcore convertie au mosh pit (initié dès la deuxième chanson), aux pogos furieux et aux doubles fuck bras levés sur simples invocations du chanteur Joe Talbot du haut de la Grande Scène. Ce dernier consacre une majeure partie du set à restituer les partitions cathartiques de « Crawler », dernier LP sorti à l’automne, sorte d’évocation introspective et quasi biographique de démons du passé : entre rage et fragilité, la performance renverse par son ambiance chaotique dans les textes autant que barrée dans l’interprétation, à l’image d’une ribambelle de musiciens dont la générosité et l’intensité sont les maîtres mots. Un vortex punk qui s’illustre notamment par les expérimentations de « Car Crash », étrange tourbillon évoquant la consommation de drogues. On adore !

Indéniablement les plus cools irlandais du moment, Fontaines D.C. ont démontré qu’ils devenaient grands. Avec désormais trois albums dans ses bagages de tournées, le quintet dublinois façonne son style et un son avec toujours plus de brio à la Cascade. Si l’ambiance plus posée et réfléchie des derniers hymnes catchy « Roman Holiday » ou « Jacky Down the Line » contraste avec l’immédiateté et l’ambiance plus moite des fonds de pubs, la performance du groupe se veut toujours brutale et directe, avec cette permanente dichotomie entre la classe froide des musiciens et la générosité du chanteur habité Grian Chatten. Un set puissant et saturé de guitares post-punk et de diatribes énergiques qui avaient déjà fait mouche il y a quelques mois dans un Olympia bouillant. L’ambiance plus noire et gothique du dernier disque apporte de nouvelles couleurs à un groupe qu’on a été un temps tenté de réduire sévèrement en sorte de pastiche révérencieux de punk celtique, version nouveaux Pogues. Pas de doute que les « Boys In The Better Land » partent désormais à la conquête de la planète indie-rock anglo-saxonne tout en restant encore parfois gaélique dans les textes.

Révélation britannique l’an dernier avec son premier album, Squid foule de nouveau une scène parisienne après un passage mémorable au Trabendo cet automne. Le quintet de Brighton signé chez Warp Records détonne sur la scène post-punk, avec ses guitares acérées, une texture électronique arty, des incursions de trompettes et accents jazzy… Un concert total au Bosquet, sans pause, où chaque titre est espacé d’une transition entre jams perchés et boucles électroniques. Cette immersion témoigne de la grande fraîcheur apportée par la formation, avec une bonne dose de fun communiquée par la banane contagieuse des interprètes. De quoi susciter les pogos les plus frénétiques de l’édition, habilement provoqués par des partitions crescendo censées agiter progressivement les nuques (« Pamphlets », « Narrator »). Aucun doute que les prochains passages des Anglais menés par Ollie Judge, batteur-vocaliste, toujours affublé de sa casquette sur sa tignasse rouquine, soient de plus en plus attendus. Comme toujours en festival, il ne manque plus qu’un moment pour un dernier « encore ».

Un concert de DIIV à Paris et même en France est toujours un moment rare et précieux. Ils se comptent sur les doigts d’une main pour les dernières années, aussi cette date, seule prévue dans la région, était clairement une priorité pour notre festival : relativement tôt et remarquablement court (45 minutes), le set des New-Yorkais à la Cascade a tenu toutes ses promesses : des boucles mélodiques jouissives, un surf-rock étincellant, des pédales fuzz saturées et bien sûr beaucoup de réverb. Dès les premiers grésillements de cordes, le concert s’apparente à une grande messe brooklynoise très intense portée par Zachary Cole et sa bande de joyeux slackers. La recette est bien connue mais fait toujours mouche : le band signé chez Captured Tracks offre une synthèse de ses trois albums sur ce format court mais frénétique, du classique « Doused » en passant par le tube « Under the Sun » avant de terminer en trombe sur l’abrasif « Blankenship ». Impossible de se lasser de la pop obsédante des New-Yorkais, sans longueur, portée par des titres le plus souvent courts et efficaces malgré quelques pauses plus sombres et planantes, toujours très mélodiques, tout en jouant avec la voix nonchalante du chanteur et de séquences instrumentales à trois ou quatre guitares entrelacées.

Sortis des méandres punks rageurs, une respiration s’impose avec le folk mélancolique de Lucy Dacus sur la Grande Scène. Dans cette nouvelle génération américaine de singer-songwriter maîtresses de la guitare (ne citons que Julien Baker ou Phoebe Bridgers avec qui elle forme un « supergroupe »), elle figure parmi les plus talentueuses. Compositions esthètes, voix divine ; un talent à l’état pur qui transpire de sincérité sur trois albums remarqués et remarquables. Si elle continue d’évoquer sa vie adolescente de manière introspective, ces pas en arrière n’empêchent pas sa musique d’arriver toujours à maturation, au point de la faire changer de dimension : son charisme autant que la nostalgie ambiante qu’elle fait transparaître y sont de loin pour quelque chose. Grâce à elle, on valide aussi la théorie des chansons tristes qui rendent heureux à la simple écoute de ses textes sombres qui donnent le sourire. Une reprise improbable de Cher s’accorde également bien avec les arrangements du live band, preuve que « Believe » fonctionne en toute situation : « What a song » sourie ainsi l’Américaine, avant un final sur le très soyeux « Night Shift » qui s’emballe sur des envolées rock aux cordes plus saturées et des harmonies vocales entêtantes.

Dans la même veine, la fascinante Aldous Harding a démontré un fort potentiel de séduction sur la Grande Scène. La Néo-Zélandaise fascine par sa présence mystique, ses talents d’enchanteresse avec sa robe noire et les arrangements les plus épurés. À l’image de son quatrième album, on se laisse embarquer par les mélodies délicates de « Fever » et sa voix schizophrène et maniérée qui passe de paroles presque susurrées à une forme de lyrisme brisé et ultra expressif. OVNI Intrigante, le regard perçant et un sourire subtil suffisent à électriser alors qu’elle reste la plupart du temps assise avec sa guitare sèche. Présente ou absente, chaleureuse ou distante, elle joue avec excentricité de ces contrepieds, s’autorisant même pendant de longues minutes un moment de silence et de déconnexion totale pour tester son public. Le songwriting subtil de son « Warm Chris », dramatique autant qu’humoristique, nous ramène à la complexité de cette artiste habitée qui est la définition même de la performance : une belle claque !

Le maestro Jamie xx s’est à nouveau essayé à son exercice préféré : un live aux airs de DJ set où il entremêle des sonorités improvisées avec des samples de ses propres productions. Parfait pour le crépuscule, avec une mise en bouche sous les derniers rayons de soleil, avant de passer au dancefloor dans la nuit noire, où tout ne brille plus que par l’immense boule disco hissée sur la Grande Scène, et ses relais sur les régies placées en fosse. Quelques beats et airs de son unique albums « Colors » retentissent ainsi avant d’être absorbés par d’autres, pris à ses producteurs du moment ou quelques samples mixés à sa sauce. Au total, une heure trente de plaisir électronique, entre house, afrobeats et accents techno. Un seul classique a été interprété en quasi-intégralité avec « Gosh » surgi des profondeurs sur de longues boucles pour emporter le public dans un final dantesque. Si le Britannique reste dans l’ombre, les écrans de la scène projettent des images de danseurs endiablés dans le public, saisis par des caméramans infiltrés : que rêver de mieux pour prendre la température en temps réel ?

 Habitué des festivals, Parcels vient de franchir un nouveau cap en se positionnant devant les milliers de spectateurs de la Grande Scène juste avant la tête d’affiche du dimanche soir. Les nouveaux héros du funk ont pris tout le monde au dépourvu avec un concert débridé, où leurs titres anciens comme nouveaux ont pris des contours inattendus à l’image d’une « Intro trance ». Loin de la performance plus classique à la Cigale pour la release party de « Day/Night », une poignée de chansons a été sélectionnée, pour les étirer, les mixer, les enchaîner sans transition ou presque, à la manière d’un DJ set avec rendu live. Finalement, les Australiens paraissent plus que bien installés à Berlin tellement le concert posant même des accents technos nous paraissaient bien plus proche du Berghain que du Zénith de Paris où ils sont attendus en octobre. Un petit délire entre amis ? Pas vraiment : il s’agit bien d’un projet de long terme, de faire la performance quelque chose d’autre qu’une sobre et fidèle interprétation de leur double album. Si la reprise d’un célèbre remix de Lykke Li ne paraît pas tout à fait indispensable, c’est un tournant assez excitant pris par le groupe qui semble parfaitement manipuler ses compositions et les tourner vers un grand show électro-pop. Et puis, ils gardent malgré tout quelques instants de douceurs plus standards comme la balade « Free » qui en conclusion du set est venue contraster de manière habile avec l’ensemble.

En 2016, Aurora avait été une des grandes surprises marquantes du festival sur la feu scène Pression Live. Six ans, après on la retrouve avec une différence notable : « maintenant je peux boire de la bière » affirme-t-elle. Un petit trait d’humour (il y en aura d’autres, comme la fausse présentation d’une chanson sur « les boobs ») grâce au recul et à la maturité pris par l’artiste norvégienne qui, en vérité, n’a pas tant changée : elle est toujours petite et hyperactive sur scène, une boule d’énergie qui transporte son public, transcende ses compositions sur scène, électrice par son authenticité et une insouciance débordante. La jeune artiste séduit ainsi encore sans difficulté, et le public conquis se laisse aller à toutes ses facéties en parfait adéquation avec ses titres pop mystiques aux accents plus celtiques que nordiques. Pour la séquence émotion, on retient également le passage de Pomme à ses côtés pour interpréter « Everything Matters », duo présent sur le dernier disque de la chanteuse nordique.

Photos par Cédric Oberlin. Tous droits réservés.
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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens