Après une riche première journée, le festival continue avec quelques degrés en plus et une foule toujours plus nombreuse. L’affiche est un peu moins fournie que la veille mais devrait proposer de bons moments, entre pop léchée et rock féroce. Mais surtout, il y a l’attraction du week-end, à savoir la reformation des enfants chéris/terribles du rock anglais des années 2000, avec des doutes nourris sur leur capacité à revenir après tant de déboires.
Article écrit par Sébastien Weber, Fred Lombard et Noé Vaccari. Photographies par Fred Lombard.
L’après-midi très ensoleillé commence avec The Maccabees sur la Grande Scène. Un rock très propre, et surement trop, nous met doucement dans l’ambiance. La musique est très léchée, les musiciens sont beaux. À l’arrivée le tout est plaisant la moitié du temps sans être transcendant ; l’impression de voir Keane qui essaierait de faire du Radiohead. Toutefois, l’autre moitié du set, la musique devient fascinante, quand les chevaux sont lâchés. Les Anglais se plaisent ainsi parfois à faire décoller leurs morceaux et proposer de vrais bons moments live, comme notamment sur « Spit It Out » ; un titre qui rappelle l’Arcade Fire des débuts.
Pendant ce temps, sous la chaleur de la scène de l’Industrie, Forever Pavot avait pour mission de réveiller un public à moitié assis à l’ombre, à moitié endormi devant les barrières. Et c’est mission réussie pour le jeune groupe parisien qui, grâce à un rock psychédélique alternatif très intéressant, attire l’attention de tous les passants (en détournant même un certain nombre qui visaient originellement les Maccabees) et arrive même à les faire danser. Les chansons ne laissent pas vraiment d’autres choix car elles semblent être des sessions jams avec la basse et la batterie (aidée du deuxième guitariste et de son pad-djembé) qui tiennent la baraque tandis que le synthé et les guitares jouent des mélodies raffinées. Dans un plaisir ostentatoire et communicatif, le groupe joue chanson sur chanson (allant même jusqu’à proposer une reprise extraordinaire du générique de Tintin) et le concert est plié en un rien de temps. Réputé pour sa qualité de jeu sur scène, Forever Pavot répond définitivement aux attentes et nous donne donc une mise en bouche parfaite pour cette journée.
Sur la scène de la Cascade, les cinq Belges de Balthazar livrent un live inspiré et entraînant, entre mélodies chaleureuses et accrocheuses et harmonies vocales emportées parfois mélancoliques. Sous la chaleur accablante d’un soleil d’été brûlant, les Flamands fédèrent un public massif grâce notamment aux sublimes singles extraits de « Thin Walls » qui ouvriront le set (Then What, Bunker). Alors que le soleil les frappera de plein fouet, nous nous mettrons à l’ombre des grands arbres situés de part et d’autre de la scène pour bénéficier d’un climat plus doux, plus propice à se laisser porter par les mélodies soignées et évocatrices, parfois nappées d’un doux romantisme, du quintet. Entraîné par ses deux leaders, Maarten Devoldere et Jinte Deprez, à la présence complémentaire, nous retiendrons de ce concert la sensibilité et la poésie d’un set pop-rock harmonieusement amené.
Retour sur la grande scène, avec un set élégant de Ben Howard. Une belle scène, avec violoncelle, trompettes… Malgré une certaine léthargie, toutefois étrangement agréable, l’homme chante ses compositions de façon toujours habitée. Ben Howard ressemble à un artisan qui tisserait ses chansons comme une toile, avec des touches d’arpèges, de cordes…
Smokings noir, blanc, fleuri, les trois Mini Mansions proposent des tenues de scène aussi décalées que leur musique. Un batteur qui se mue aussi bien en clavier qu’en guitariste au sein d’une même chanson, et un bassiste toujours groovy, le tout ressemble au joyeux rock foutraque et barré que les Belges ont l’habitude de fournir, avec une forte présence de synthés et des guitares débridées (ici plutôt une basse vrombissante en mode pédale fuzz). Le groupe sonne belge mais est néanmoins américain, et propose un spectre pouvant aller de Lionel Richie jusqu’aux Queens Of The Stone Age, groupe d’origine de Michael Shuman (alias smoking blanc ce soir). Aussi acide que sucrée, leur musique ressemble à un gros marshmallow au citron. Difficile d’y résister, surtout que des gens qui reprennent « Heart Of Glass » ne peuvent être mauvais.
Grand classique de festival, Stereophonics apporte la touche 90’s de la journée. Même s’ils n’ont jamais été un groupe majeur et n’auront finalement pondu qu’un album vraiment important, les Gallois sont l’un des seuls combos à proposer systématiquement un ou deux tubes efficaces par album. Cette année, c’est « C’est La Vie » qui ressort de la nouvelle livraison, et qui fonctionne d’ailleurs très bien en live. Pas d’incidents, pas d’anecdotes, ce n’est pas le concert que l’on racontera à nos petits-enfants. Il reste malgré tout un bon moment, émaillé de nombreux singles, et cette voix si particulière qui fait maintenant partie du décor. « Mr Writer », « Have A Nice Day », autant de sucreries de festival qui s’enchaînent entre autres hymnes pour le plus grand plaisir des festivaliers.
Sur les coups de 20h, nous nous laissons attirer par les mélodies sauvages de la sensation indie-pop oxfordienne Glass Animals. Sur scène, les titres de son premier album « Zaba », sorti l’an dernier prennent leurs plus belles couleurs, grâce à l’énergie sans borne déployée par son brillant leader, Dave Bayley. Dansant avec sa guitare, plein de fougue et d’entrain, le chanteur anglais, tout sourire et à la présence scénique indéniable, porte un public sous le charme, se plaisant à suivre ses mouvements corporels et manuels, et à se laisser porter par les constructions mélodiques entre bass music, électro-pop lumineux et hip-hop suave du quatuor anglais. Plus efficace qu’un cours de zumba, Glass Animals et son génial album « Zaba » décliné live nous a déchaînés et fascinés, tout en nous apportant un vent de fraîcheur bien appréciable avant la tombée de la nuit.
Évidemment la musique d‘Interpol, sombre et mélancolique, n’est pas faite pour être jouée devant 50.000 personnes. Les New-Yorkais ne se facilitent pas les choses en proposant un début de set austère et difficile, avec le soleil couchant. Une fois la nuit tombée en revanche, le public semble enfin se prendre au jeu. Le jeu de lumières est spectaculaire, enfumant la scène et la transperçant de lasers. La setlist se fait moins revêche et les morceaux plus propices à faire bouger la foule. La basse toujours en avant et la batterie épileptique démontre que finalement Interpol est capable de s’occuper en beauté de tout ce petit monde, tout en conservant cette beauté étrange et ténébreuse qui caractérise le groupe. Le finish All The Rage Back Home/Slow Hands/PDA/Obstacle 1 est explosif et le pari est gagné.
Une heure de pause sépare les sets d’Interpol et des Libertines sur la Grande Scène. L’homme étant curieux de nature, nous nous faufilons au-devant de la scène Pression Live, pour y découvrir le jeune phénomène Years & Years. Attendu hystériquement par une meute de jeunes fans accolées à la barrière, le trio londonien, emmené par son charismatique et quasi christique chanteur Olly Alexander, déchaîne les passions et les cœurs à vif. Devenu en quelques mois la pop idol des jeunes filles en fleur, le leader androgyne du (boys) band aux cheveux courts peroxydés et à la voix fluette, va jouer des mystères derrière son micro, avant de sautiller et tournoyer avec allégresse sur les mélodies dance très (très) légères de ses complices aux machines. Pas franchement sensibles à ce virage mainstream dans notre journée particulièrement rock, nous choisirons de nous éclipser en douce pour soulager nos oreilles suicidaires déjà fatalement irritées par ces quelques minutes teen pop de trop.
Pour ceux qui souhaitaient finir la soirée en dansant, c’est vers Shamir qu’il fallait se diriger. Et le jeune Américain ne déçoit pas car dès son arrivée sur scène, il captive l’audience avec sa synthpop endiablée. Une complicité se développe entre la batterie lourde et imposante et le synthé virevoltant et crée un groove irrésistible dans un minimalisme assumé et mis en avant par sa voix suraiguë et délicate. Ce dernier, épaulé par sa choriste, s’en donne à cœur joie en dansant, sautant, tout en communiquant sans cesse avec un public éveillé et hypnotisé. Toutes les chansons semblent être des tubes destinés à faire bouger des stades entiers et tout le monde se retrouve à chanter pendant « On The Regular » ou « Call It Off ». Malgré sa jeunesse, Shamir sait parfaitement contrôler ses titres pour faire danser absolument tout le monde et ce concert est une radiation d’énergie qui semble parfaite pour clôturer cette journée.
Pour ceux qui préféraient finir la soirée sur une note de rock en revanche, bonne nouvelle : ils sont bel et bien là ! Les Libertines n’auront pas annulé leur venue au dernier moment et peuvent ainsi répondre à l’angoissante question : les quatre sont-ils redevenus un vrai groupe, capable de produire un vrai bon show de rock ? Pete Doherty arrive lesté de 10 kilos, mais délesté de ses problèmes de drogue après une cure en Thaïlande. Toute la troupe semble heureuse d’être là et va avoir cœur à le démontrer, tout du long. Pete et Carl arrivent sur scène bras dessus bras dessous, chantent souvent dans le même micro, se chambrent, s’invectivent, dans une foire géante et jubilatoire. Ça balance gaiement des chansons du nouvel album, ça jam au milieu des morceaux. Ça peut sonner parfois (souvent ?) un peu foutoir, mais même quand ça joue faux, ça sonne juste, dans cet esprit si particulier qui nous faisait adorer les Libertines. La section rythmique apporte justement beaucoup de cohésion et permet aux deux guitaristes de s’autoriser à faire n’importe quoi quand ça leur chante en retombant toujours sur leurs pattes. De toute manière, comment résister quand c’est fait avec tant d’envie ? La fin de soirée est belle, l’atmosphère propice aux retrouvailles. C’est une heure et demie d’authentique rock anglais balancé avec les tripes. C’est bon, les gars vous pouvez revenir ! On oublie les faits divers sordides, les albums solos douteux et les lapins posés en pagaille. Tout est pardonné.
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