[Interview] Robi

À une semaine de la sortie de son nouvel album « La Cavale », indiemusic a donné rendez-vous à Robi au Planète Mars, chaleureux bar parisien du 11e arrondissement. L’occasion d’explorer librement les thématiques de ce nouvel enregistrement, de saisir le sens des textes et l’importance de la construction des compositions. L’artiste évoque également sa collaboration avec Katel et sa passion pour l’image.

crédit : Frank Loriou
crédit : Frank Loriou
  • Pour commencer cette discussion autour de ton nouvel et second album, « La Cavale », je te propose que nous partions d’expressions, de mots que m’a évoqués son écoute et te laisser t’exprimer à leurs sujets.

D’accord, tentons cela…

  • Je voudrais commencer par le mot « dualité ». Que t’évoque-t-il ?

Ce n’est pas tout à fait étonnant, j’imagine, que tu commences par ce mot-là. Effectivement, il y avait dès le premier album, dans le titre « L’hiver et la joie », la volonté de mettre en avant la dualité que je ressens, à l’intérieur de moi, de façon très profonde.
J’ai l’impression d’être habitée par des pôles assez contraires, et par ailleurs, j’ai le sentiment que dans la vie même, chaque chose contient son contraire : que la joie la plus intense contient une tristesse absolue dans sa finitude.
Il y a quelque chose comme ça, en filigrane, chez moi d’extrêmement tendu entre un désespoir et l’envie d’en découdre, entre la volonté d’être heureux et la tristesse de nous savoir finis d’avance. Mais je suis aussi quelqu’un, au quotidien, d’extrêmement, – je ne dirais pas schizophrène -, mais quelqu’un d’extrêmement contrasté. Ça a habité de manière extrêmement forte le premier album et ça fait partie des thèmes du deuxième. Sur « La Cavale », ça continue d’exister et c’est quelque chose dont on me parle souvent : de l’impossibilité de me mettre quelque part, et si c’est le cas, c’est peut-être que moi-même, j’ai du mal à me mettre à un endroit précis.

  • Oui, d’ailleurs, j’ai eu cette impression d’une suite à l’écoute du nouvel album, par rapport au premier. On n’a pas de sentiment de rupture d’un disque à l’autre.

On n’a pas cherché la rupture en effet. C’est un album qui a été écrit en chemin. Je n’ai pas cessé d’écrire, il n’y a pas eu de pauses dans ma fuite en avant, je l’écrivais déjà alors que le premier album n’était pas encore sorti. Il n’y avait aucune raison réelle à ce qu’il y ait une rupture. Cependant, il y a une évolution certaine, du fait que je l’ai écrit seule. Sur le précédent, on avait bossé ensemble avec Jeff Hallam, sur la composition et les arrangements. Là, c’est un album que j’ai vraiment composé seule.
On a travaillé les arrangements de la tournée avec les musiciens, Valentin Durup et Bertrand Flamain, et retravaillé les structures des morceaux avec Katel, qui a coréalisé l’album avec moi.
Il y a donc une évolution dans les partis pris, une progression musicale, mais il n’y a pas de rupture. C’est toujours le même fil déroulé, tant au niveau de l’écriture, des thèmes, du sens, de la quête du sens que sur le premier. Mais, ce n’est pas pour autant tout à fait le même chemin.

  • Il y a également un thème que je retrouve sous de nombreuses formes : la passion.

Oui, et à mon corps défendant, j’aimerais connaître un peu la sérénité, une forme de tranquillité qui m’échappe pour l’instant. Il y en a peut-être davantage sur le premier que sur le deuxième, mais c’est vrai que je me trouve souvent débordée par mes propres émotions. C’est quelque chose de très physique, de très organique. Et d’ailleurs, la plupart de ces titres, ce sont des morceaux d’émotion. C’est une tentative d’apprivoisement de tourner autour de ces émotions, d’essayer d’en capter quelque chose, d’en comprendre quelque chose. Il y a un mystère.
D’aucuns disent que ma musique est assez froide ; mais ce qui est distancié, ce peut-être l’emballage même. À l’intérieur, il y a quelque chose de très primaire, de très physique, parce que je ne sais pas faire autrement. L’écriture, pour moi, c’est peut-être le seul endroit de réunion entre les émotions et la tête, entre le corps et l’esprit. C’est un lieu de retrouvailles possible.

  • Pour rebondir sur un bout d’expression que tu viens de livrer : il y a tout un mystère qui plane dans tes chansons.

Oui, à savoir qu’elles sont mystérieuses pour moi-même, même si j’ai davantage les clefs de tel ou tel morceau que l’auditeur. Je sais d’où mes textes viennent, je sais de quel endroit, de quelle histoire ils proviennent, mais le contour que j’essaye de dessiner, de ces émotions, révèle le mystère qu’elles sont pour moi-même. Et donc, effectivement, il n’y a pas de volonté d’opacité. On est opaque à soi-même.

  • Et en même temps, cette certaine opacité permet de s’approprier les textes.

Je l’espère, car je ne peux pas me mettre à la place des autres, mais j’espère en effet que malgré cette opacité, il y a quelque chose qui passe : une vibration qui en tout cas, permet à chacun de recevoir une émotion.

  • C’est ce que j’ai ressenti en écoutant l’album, en me laissant guider par l’émotion des morceaux, par le rythme, par ton phrasé, par ta passion singulière. J’ai d’ailleurs écouté en boucle « L’éternité », titre phare, premier et obsédant de ce nouveau disque, mystérieux d’abord avant de se laisser emporter par tout un refrain entêtant.
    Et en parlant de ce titre, tu as réalisé le clip du même nom. Une expérience de réalisatrice que tu avais déjà expérimentée lors du précédent LP, avec « On ne meurt plus d’amour » notamment et son concept de miroirs.

Oui, l’image, c’est vraiment arrivé à moi par hasard, un peu par contrainte aussi avec le premier EP. On est dans un monde où pour faire voyager la musique, on a besoin d’un support, une matière visuelle et assez naturellement j’ai eu envie de m’amuser de ça et de tenter des petites choses, mais qui étaient, en tout cas au départ, plus une démarche d’art contemporain que de clipper un morceau. Il n’y a pas de tentative de récit ou d’explication.
Il y a juste des impressions, au sens strict. C’est une matière que j’ai découverte et qui me passionne complètement : l’écriture du montage et de l’image.
Et là, on me demande pour la première fois d’en faire pour d’autres et c’est pour moi une grande fierté. Je vais en réaliser notamment un pour Jeanne Cherhal qui se trouve être une copine, dont l’univers est très éloigné de moi, et qui m’a demandé de lui faire un clip… Et qui me laisse carte blanche. Ça reste un travail de commande, mais il s’agit avant tout que l’artiste s’y retrouve ; mais évidemment, quand on vient me voir, dans la mesure où je n’ai pas d’autres expériences que ce que j’ai fait pour moi, c’est qu’a priori, on vient chercher quelque chose, une écriture. Du coup, j’en suis très fière, car c’est quelque chose que j’adore faire, et que j’espère pouvoir continuer à faire.

crédit : Frank Loriou
crédit : Frank Loriou
  • Est-ce qu’on peut parler un peu de Katel ?

Oui, bien sûr !

  • Comment l’as-tu rencontrée et pourquoi avoir choisi de co-réaliser cet album avec elle particulièrement ?

Alors, en fait, je l’ai rencontrée via Maissiat dont elle a réalisé l’album et dont il se trouve que nos premiers disques respectifs sont sortis de façon assez concomitante. On s’est retrouvés à partager des scènes, à partager des moments, à partager ce qu’on a parfois du mal à partager même avec sa propre famille, c’est-à-dire l’expérience d’une sortie d’album ; ce qui est quelque chose, quand même d’assez particulier et étrange.

C’est réellement devenu une amie et une personne avec qui je peux échanger les affres, les doutes, les joies et les angoisses de ce moment particulier.
On est devenues amies avec Amandine (Maissiat) d’abord. Puis avec Katel, et je l’ai vue travailler, je l’ai vue vivre ; j’ai eu vent de ce qu’elle avait fait pour Maissiat et j’ai eu l’occasion d’écouter ce qu’elle avait fait pour elle-même, et pour d’autres.

Et quand on avait terminé les préprods, ou ce qu’on croyait être des préprods, et quand s’est posées la question d’un réalisateur, on s’est rendues compte que c’était un peu absurde parce que tout était là. On n’avait pas les guitares-voix, on avait les arrangements, on avait un univers qui était déjà extrêmement fort ; mais par ailleurs, j’avais envie et besoin d’un regard neuf et bienveillant, et de nouvelles perspectives, qui restaient là un peu linéaires, du simple fait d’être la création d’un esprit et d’un œil uniques. Et je savais, d’une façon assez intuitive qu’elle apporterait ça : à la fois un sous-texte qui pouvait manquer, une façon d’ouvrir les harmonies qui viendrait bousculer un peu certaines structures qui manquaient d’un semblant de fluidité et d’évidence. Katel a fait un vrai travail de dentellière, sans remettre en question à aucun moment ce qui été déjà là, ce qui était fort et qui existait. Elle est, de façon pointilliste, venue augmenter les morceaux de son intelligence, de son expérience, de son talent, mais de façon très gracieuse, très délicate, très bienveillante.

  • J’avais noté à ce propos : élégant et raffiné.

Oui, c’est quelqu’un qui a un goût exquis, une unité incroyable et un talent certain. Je savais qu’elle ferait ça extrêmement bien et en plus d’une humanité, et pas d’un ego mal placé, qu’elle ne tenterait pas de récupérer la chose. Et c’est ce qui s’est passé ; ça a été effectivement un bonheur de travailler avec elle.

  • Elle a respecté ton univers.

Complètement. On a vraiment travaillé main dans la main. Et elle a été à chaque fois force de proposition, et chacune de ses propositions est tombée juste. Il n’y a jamais eu un moment de flottement. À chaque fois, elle est venue apporter ce petit quelque chose que je n’avais pas en moi, mais qui faisait que le morceau était complet.

  • Le titre de ton nouvel album, « La Cavale », quelle symbolique a-t-il pour toi ? Qu’est-ce qu’il représente ?

C’est un peu ma perception de la vie, cette sensation d’une fuite en avant perpétuelle, d’un chemin sans destination. Cette impression d’être toujours en train de courir après soi ou après le temps tout en essayant de le retenir ; de courir après du sens, après le succès, après l’amour… Tout en sachant qu’on aime pour rien, qu’on construit pour rien et que tout ça s’arrêtera dans un grand vide, dans un grand noir, dans un trou noir. Il y a cette sensation de renoncer au renoncement même.
C’est une allégorie assez simpliste, mais qui me parle au quotidien : j’ai l’impression qu’on est tous en cavale.

  • Il y a des haltes pourtant.

Bien sûr, évidemment. Il y a quelques planques (rires). Mais au final, on ne s’arrête jamais de courir.

crédit : Frank Loriou
crédit : Frank Loriou
  • J’avais eu l’occasion de te voir en 2013, en première partie d’Archive à la Cigale. Tu vis intensément tes morceaux sur scène. Est-ce que, lors du passage en studio, cette même intensité est présente ?

Non, c’est plus distancié. Au moment de l’écriture, il y a cette même implication émotionnelle et physique, au moment des arrangements parfois aussi, mais pendant l’enregistrement, il y a bel et bien quelque chose de plus distancié… Heureusement, puisqu’on ne peut pas tout vivre comme si notre vie en dépendait.
Il y a beaucoup d’angoisse, parfois des évidences, beaucoup de questionnements, des allers-retour, des impressions de déjà-vu, des tentatives, des recherches…
Il y a une immédiateté en ce qui me concerne au moment de l’écriture du morceau, vraiment à l’os ; il y a des choses que je sais que je ne veux absolument pas et d’autres qu’on cherche avant de les savoir. Toute la difficulté une fois qu’on monte sur scène, c’est de se les réapproprier comme si c’était la première fois, comme si elles étaient neuves.

  • À l’instant présent…

Oui, mais c’est plus complexe que ça. C’est-à-dire que sur scène, il y a des moments où l’on est pleinement dans l’instant présent et d’autres moments terribles où l’on se regarde faire, qui sont effrayants. On essaye de se ramener à soi, et quand on commence à flotter au-dessus de soi-même, c’est en général, assez mauvais signe. Mais c’est une lutte, alors on tente de se ramener à soi, de se serrer très fort pour essayer d’être un, d’être entier au moment où l’on est là sur scène… Tout en étant dans la maîtrise, car il ne s’agit pas non plus de vomir sur scène ses émotions. Les gens ne sont pas là pour ça, il s’agit de bien se conduire.

  • Ce nouvel album est signé en licence avec At(h)ome. Peux-tu m’en dire plus ?

Alors, c’est un peu particulier, la signature en licence ! Pour le coup, nous restons producteurs. Nous avons produit l’album et At(h)ome s’est manifesté assez tard quand nous étions sur le point de le sortir, avec la même envie et la même foi.
Mais ce sont eux qui ont très ardemment insisté pour me rencontrer, et très ardemment fait en sorte de me convaincre de travailler avec eux. On avait, avec les Disques de Joie (NDLR : label de Robi), envie de continuer le travail de production en solitaire, et, ma foi, ils ont eu des arguments assez convaincants, ne serait-ce que de nous dire que ça nous ferait peut-être du bien d’être un peu moins seuls, qu’on serait peut-être un peu moins fatigués, ce qui n’est pas faux.
Et puis, c’est une structure qui nous ressemble ; c’est un tout petit label, à taille humaine. Ils sont trois dont deux frères, qui ont construit ce label il y a dix ans et qui fonctionne avec une économie extrêmement rationnelle et pragmatique ; mais à notre sens, qui met l’argent au bon endroit, de la bonne manière, et qui est véritablement fidèle avec les artistes qu’ils accompagnent depuis toujours.
C’est aussi un label qui est véritablement très éclectique, bien qu’il vienne du metal. C’était pour nous assez drôle de nous retrouver dans ce roster-là, dans ce catalogue-là aux côtés d’Aqme, Mass Hysteria et Lofofora. Ils sont sur une scène « niche », donc ce sont des gens qui savent travailler avec de petites économies, sur de petites échelles, mais qui peuvent compter sur un public fidèle, qui continue à se déplacer.
Et ça nous intéressait vraiment parce que c’est à cette échelle-là qu’on travaille, avec des gens qui parlent la même langue que nous, et qui comprennent nos ambitions artistiques comme nos prétentions humaines dans le travail.

  • Si tu devais conclure par une citation…

Je ne suis pas très douée en citations…

  • Alors, peut-être prendre un extrait de l’une de tes chansons.

Peut-être un extrait de « L’éternité » ? « Mais tout tout s’écroulait, tout tout s’effondrait sous mes pas, plus rien n’existait, le passé ne me survivrait pas ».


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques