Alors que d’autres surchargent le folk d’arrangements un peu trop étouffants, Portier Dean préfère ciseler ses compositions et leur apporter une dimension sonore vivante et aérée. Comme quoi, le plus souvent, seuls le langage et la façon dont il est manié comptent avant tout. Les césures, ruptures et choix artistiques deviennent alors inoubliables, surpassant l’originalité pour aller récolter la sève mélancolique d’une musique lumineuse.
On ne sait jamais vraiment ce que les tumultes artistiques actuels peuvent réserver comme surprises ; parfois même, le doute s’impose immédiatement, entre manque d’originalité et redites lassantes. Parmi toutes ces déceptions, un genre en particulier (et encore) semble pouvoir passer les frontières du temps et de l’usure pour porter les monologues les plus prenants d’artistes seuls à même de convaincre : le folk. Musique terrienne ultime et propice à tous les discours, des plus émouvants aux plus contestataires, il suit son chemin au travers de compositeurs et d’auteurs le maniant et le malmenant parfois pour en explorer toute la sérénité et l’intérêt.
Avec « Made of Earth », les Caennais de Portier Dean exposent d’emblée ce qui sera leur marque de fabrique tout au long de l’EP : des bases acoustiques sur lesquelles viendront se poser, peu à peu, des idées étranges et originales, douces et osées. Car tout est ici question d’évolution, aussi bien dans l’agencement des chansons que dans leur structure particulière. On se laisse alors emporter, admirant ces funambules en équilibre entre deux falaises, mais maîtrisant leur traversée avec un talent précieux et confondant.
L’auditeur se retrouve rapidement perdu dans des contrées tantôt folk, tant pratiquement post-rock dans leurs ornements et décors. Le son, pur et éthéré, ne cesse de s’étirer dans le temps et l’espace, sur le fil de l’émotionnel et du mélancolique profond (Afterain). Et même si des élans rythmiques plus prononcés, mais étonnamment discrets transparaissent parfois (Silence Kills), c’est justement pour mieux amener à la contemplation d’un art hors du commun, amené à devenir immortel, entre bleus à l’âme et délicatesse céleste (Riverside).
L’électricité n’est jamais loin, tout en demeurant statique, suspendue comme l’air chaud et tendu d’un orage annoncé, mais ne se produisant jamais ; un besoin de laisser les voix nous emmener ailleurs, dans des chœurs aériens et réconfortants qui sont autant d’éclats de génie que de gestes sensibles et rassurants (The Rats). Lorgnant de temps en temps vers le psychédélique (Far Away Now), Portier Dean achève de faire l’unanimité en transformant ces lumières aveuglantes et confortables en chants du désir et du possible, les voix nous portant au-dessus des brumes harmoniques sublimes qu’il nous est ici offert de traverser (A Bird’s Eye).
Grâce à « Made of Earth », le groupe nous offre un enchaînement de chansons lentes et liquides, qui se forment devant nos yeux et dessinent les contours sensibles et intenses d’œuvres au fusain, qui se dessinent au fur et à mesure et ne cessent de révéler l’importance de chaque détail. Alors que les décisions apparemment prises pour mener à bien le projet auraient pu se révéler risquées ou impossibles à atteindre, tout est ici pensé et interprété à la perfection, ajoutant à la qualité des titres une autonomie mélodique tout simplement splendide. On n’avait pas ressenti de tels frissons depuis « Ocean Beach » de Red House Painters ; ce qui rend les créations de Portier Dean indéfinissables. Elles sont autres, donnant la sensation perpétuelle de tenir là un objet non identifié, inattendu et incomparable.
Un EP comme on n’en avait pas découvert depuis bien longtemps. « Made of Earth » est une résurrection et devient inévitable et nécessaire pour les mois, voire les années à venir.
« Made of Earth » de Portier Dean, sortie le 27 mai 2015.
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