[LP] Planning For Burial – Below The House

Planning For Burial fait partie de ces projets musicaux pour lesquels il est difficile d’admettre, voire de croire, qu’ils ne sont composés que d’une seule et même personne. Et la confusion est d’autant plus présente ici du fait que l’admettre vient à réaliser qu’il ne pouvait pas en être autrement : l’intimité, l’intensité et surtout l’originalité qu’exprime « Below The House » sont des échos d’une conversation qu’on ne peut avoir qu’avec soi-même ; quatre murs cloisonnés sans porte de sortie autre que de creuser intérieurement jusqu’aux fondations.

Thom Wasluck, multi-instrumentaliste originaire du New Jersey, est réputé pour son approche musicale unique et expérimentale, à la croisée d’une pléthore d’influences sans jamais véritablement s’y attarder, qu’il définit lui-même presque sarcastiquement comme un « slowcore obscurci ». Ayant commencé à enregistrer seul chez lui à l’âge de 13 ans, c’est organiquement que sa curiosité naturelle s’est armée d’une maîtrise technique et d’une imposante culture musicale, aboutissant en ce mélange incertain et sinistre entre black metal, shoegaze, ambient ou encore lo-fi.

Cependant, « Below The House » marque une rupture dans ce désordre même, puisque c’est le premier opus à avoir été composé en tant qu’album, celui-ci ayant été enregistré presque neuf mois après avoir été écrit, et pas seulement en tant que support pour ses concerts. L’ajout ultérieur de claviers, de mélodies à la texture extrêmement riche ou d’arrangements, est une étape nouvelle dans la discographie du musicien, et également significative, puisqu’elle permet à sa musique de s’élever à des hauteurs inédites tout en dévoilant subtilement son ossature. Une chanson comme « Past Lives » isole et met en exergue le drone vibrant qui semble se glisser inexorablement entre les interstices des nombreux instruments des autres chansons, dévoilant ainsi le réseau de nervures sépulcral structurant l’atmosphère lugubre qui parcourt l’album.

À l’instar de ses camarades de label, Wreck And Reference, dans le courant de l’année dernière, ce nouvel album développe ainsi la tristesse dans toute sa pureté et sa véhémence. Plus qu’un constat de désespoir, c’est ici un chagrin sulfureux, répétitif et lourd qui se construit à coups de briques. Dès les premiers instants de « Whiskey And Wine » les guitares agressives et pondéreuses prennent possession de l’espace, secondées par les hurlements semblant venir d’outre-tombe de Thom, pour finalement disparaître abruptement et laisser place à des claviers subtils qui étaient présents depuis le début sans qu’on les remarque, nous laissant à la fois le temps de reprendre notre souffle et de réaliser que ce dernier s’était interrompu devant la puissance des émotions exprimées. Dans « Dull Knife Part.I », ce sont ses guitares abrasives déchirées par une batterie aussi lo-fi que percutante qui nous imprègnent d’une noirceur contemplative et imprévisible. Aussi désaxées que soient les compositions, aussi décharnées que soient les mélodies, aussi minimalistes, répétitives ou inaudibles que soient les paroles, le musicien touche systématiquement à l’essence juste de l’émotion ; en faisant passer son message par sa plus simple expression, Thom Wasluck permet à chaque note de se détacher dans l’espace et de résonner en nous.

Une chanson comme « (something) » paraît directement nous renvoyer au titre du même nom de Mount Eerie sur « Clear Moon », comme le reflet diurne de cette même atmosphère onirique, de cette poésie musicale qui se dévoile en se confrontant à la brutalité des compositions et à la véracité directe des émotions. Cette beauté latente, résultant partiellement du travail studio tardif, donne à chaque chanson une tonalité unique, comme le post-punk explosif et diligent de « Warmth Of You », la beauté indicible du piano fermant l’éthérée « Somwhere In The Evening » ou encore la douceur slowcore de « Threadbare » se transformant progressivement en doom. Thom Wasluck prouve, avec ce nouveau disque, qu’il maîtrise autant le minimalisme extrême que l’immensité, et qu’il est capable de concilier les deux dans sa mélancolie.

Le sommet de l’album est « Dull Knife Pt. II », un chef-d’œuvre d’intensité s’étendant entre douleur et désespoir sur onze minutes, donnant l’impression de voir un soleil se couchant lentement et une procession s’élever des ténèbres, sa marche cadencée par les lignes de guitares lancinantes et les percussions funèbres. En y répétant inlassablement « Coming back home », le musicien ne fait pas qu’évoquer son retour au domicile familial après des années passées en Pennsylvanie ; il paraît aussi enterrer profondément ses angoisses par rapport à la sobriété, la solitude, le temps passant trop vite. En cristallisant ainsi ses émotions, en les répétant jusqu’à ce qu’elles n’aient plus de sens, il n’exprime plus son isolement comme un manque, ce qu’il faisait jusque-là, mais il l’utilise comme moyen introspectif. Là où les notes avaient pour fonction de remplir un horizon vide dans ses albums précédents, ici, elles creusent lentement à la manière d’un « couteau émoussé », et mettent à nu le fondement de ses émotions.

L’album se clôt sur la chanson éponyme, sur laquelle Thom scande continuellement et presque indiciblement « Below the house », ce qui peut avoir l’allure d’une invocation portée par la ballade lancinante s’élevant vers le ciel ou d’un jeu de mots sinistre formé avec le nom du projet ; dans les deux cas, cela accentue le sentiment qu’avec « Below The House », il approche la mélancolie d’une manière une nouvelle fois unique et nous rappelle que, sous terre, il est possible de construire une cave comme une cathédrale.

« Below The House » de Planning For Burial est disponible depuis le 10 mars 2017 chez The Flenser.

Retrouvez Planning For Burial sur :
Site officielFacebookTwitterBandcamp

Photo of author

Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général