[Live] PJ Harvey aux Nuits de Fourvière

Il y avait eu Björk l’an dernier. Cette année, c’est une autre déesse adulée des fans de musique depuis plus de vingt ans qui faisait son retour (très attendu) dans les amphithéâtres romains de Fourvière : PJ Harvey. Venue défendre un audacieux neuvième album studio en solo avec toute sa troupe de neuf musiciens, le pari était risqué, mais fut évidemment relevé haut la main par cette grande artiste, très en forme, le 14 juin dernier.

crédit : Jeremy Toix
crédit : Jeremy Toix

L’honneur d’ouvrir pour PJ Harvey revenait à un groupe méconnu, Micachu & The Shapes, projet musical de la chanteuse et guitariste Mica Levi, plus connue pour sa récente bande originale du film de science-fiction expérimental, « Under the Skin », de Jonathan Glazer. Micachu est un trio guitare-batterie-claviers composé de deux femmes et d’un homme, qui officie dans un registre grunge lo-fi très sale et sans fioritures, si ce n’est la présence incongrue de ces synthés minimalistes et vintage assurés par une claviériste dont le charisme, pour ainsi dire singulier, aura polarisé les réactions du public une demi-heure durant. Peu importe, Mica assure grave à la guitare, remercie à plusieurs reprises PJ Harvey de les avoir choisis et lui fait honneur avec un jeu agressif et désinvolte à la fois, qui n’est bien sûr pas sans rappeler celui de la grande prêtresse garage de « Dry » et « Rid of Me ». Le chant est rauque et grave à souhait et le concert se déroule devant un public relativement indifférent ; la faute sans doute à des conditions météo peu évidentes, un son assez faible (au premier rang, nous avions déjà presque à tendre l’oreille, c’est dire !) et toujours cette étrange claviériste et son jeu si particulier.

La nuit tombe et la pluie cesse pile à temps pour le concert de la chanteuse britannique. La scène est surchargée d’instruments : claviers, mellotron, guitares diverses, saxophones de tous types, percussions en tous genres et deux batteries au fond. Des roadies vont et viennent sur scène, amènent puis enlèvent des éléments, et seuls les quelques chanceux qui étaient à We Love Green où aux premiers concerts de la tournée à Toulouse savent exactement de quoi il en retourne. Les lumières s’éteignent, des percussions retentissent dans les coulisses, et la chanteuse et ses musiciens font leur entrée, telle une fanfare solennelle tout en percussions et cuivres. La procession défile puis prend place sur un scène très étudiée, presque chorégraphiée, Polly Jean au centre, entourée de sa dizaine de musiciens. Ce sera « Chain of Keys » pour commencer, suivie de pratiquement la moitié du dernier album « The Hope Six Demolition Project ». De ce début de concert assez audacieux voire déstabilisant si l’on songe à l’accueil assez tiède fait à ce disque, nous retiendrons déjà la volonté de l’artiste d’assumer un disque casse-gueule et exigeant, volonté traduite également par la rigidité des setlists de la tournée dont les variations sont minimes, et surtout l’incroyable complexité des arrangements sur scène qui viennent restituer à la perfection et de façon très organique ceux de l’album. Pour ce premier tiers du concert donc, nous retrouvons les faiblesses mélodiques un peu « faciles » de titres comme « Chain of Keys » ou « The Community of Hope », qui sont contrebalancées par la puissance indéniable des riffs de saxophones (car il y en a plusieurs) de « The Ministry of Defence », ou la subtilité harmonique de « The Orange Monkey ». La gestuelle de la chanteuse est par ailleurs minutieusement configurée, elle qui déambule avec une grâce mi-reptilienne, mi-aviaire dans sa tenue bleue coiffée de plumes. C’est un concert qui s’écoute autant qu’il se regarde, à n’en point douter.

Le niveau monte toutefois d’un cran lors d’une session de trois morceaux qui revisitent le chef d’œuvre acclamé « Let England Shake » dont sont alors jouées la chanson titre, puis l’extraordinaire « The Words that Maketh Murder », repris en chœur par une partie du public, et enfin « The Glorious Land », où la dualité Angleterre / Amérique dans les paroles offre à la chanteuse une performance schizophrène et habitée. Sur un canevas instrumental similaire donc, la supériorité de ces compositions sur celles du dernier album est flagrante. Un détour pas forcément judicieux par « Medicinals », sans doute une des chansons les plus bancales de la belle Anglaise et le concert retourne aux choses sérieuses. « When Under Ether », tiré du sépulcral album de 2007 « White Chalk » résonne dans l’amphithéâtre romain silencieux qui frissonne comme un seul homme. Moment suspendu, magnifique, sublimé par les arrangements discrets de John Parish, présent sur scène aux côtés de Mick Harvey ou de Alain Johannes (Them Crooked Vultures). Viennent ensuite trois des meilleurs titres du dernier album, coup sur coup, et joués à rebours de leur ordre sur le disque. « Dollar, Dollar », ballade déchirante qui prend forme à partir d’enregistrements de field music et s’étire autour de cette supplique désargentée avant de se conclure par un éprouvant, mais nécessaire solo de saxophone sopranino blanc qui apporte une coloration free jazz désespérée à un morceau déjà pas vraiment joyeux. Suivent donc l’époustouflante « The Wheel », aussi impressionnante musicalement que visuellement, puisque les musiciens jouent en formation géométrique, à quatre guitaristes, deux batteurs et trois instruments à vent, et puis « The Ministry of Social Affairs », qui reprend en live sa section samplée sur le blues de Jerry McCain et distille à coups de riffs malsains et dissonants sa délétère ambiance de fin du monde. Nous nous apercevons alors que le concert entier est construit comme un grand crescendo, comme si PJ Harvey était elle-même conscience de la faiblesse relative de certains morceaux, qu’elle a donc réservés pour l’introduction, ou pour mettre d’autant plus en valeur certaines pépites et ménager des respirations, des pauses.

La fin du concert et son rappel (qui si l’on en croit la setlist n’était pas garanti, « encore possible » dans le texte) sont de très haut vol. Suite quasi logique à l’ambiance boueuse et empesée des morceaux joués juste avant, nous avons droit à un furieux « 50ft Queenie » de « Rid of Me » qui défoule un public qui n’attendait que ça pour se lâcher enfin, suivi de deux classiques du chef d’œuvre « To Bring You My Love », d’abord la très pop et glauque « Down By The Water », puis la chanson titre dans une version écrasante de lenteur, de rage contenue et de sensualité frustrée qui nous rappelle si besoin était que PJ Harvey est aussi une interprète capable d’une intensité exceptionnelle. Après ce morceau magnifique qui nous laisse tous médusés, exsangues, un dernier titre du nouvel album est joué, « River Anacostia », qui clôt judicieusement le concert sur son entêtant refrain final, à la fois apaisant, méditatif et métaphysique : « Wade in the water, God’s gonna trouble the water… », murmuré par les musiciens et le public jusqu’à l’extinction totale des feux. Le rappel, qui fut donc bien possible, sera constitué de deux plus anciens morceaux, « A Perfect Day Elise », seul morceau joué ce soir de l’album « Is This Desire ? » et dont la tonalité plus pop-rock tranche remarquablement avec un set marqué à la fois par des sonorités folk étoffées et la rugosité boueuse d’un blues que l’on retrouve sur le dernier morceau joué, le très charnel et sidérant « Working For The Man », qui nous emmène une dernière fois en l’année bénie 1995 avant de nous ramener en 2016 pour nous y abandonner, comme le ferait une fière et cruelle maîtresse de ses prétendants éplorés. Nuit magique, mais la prêtresse s’est déjà éclipsée.


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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique