[Interview] Phox

Phox, c’est la voix soul et suave de Monica Martin sur une musique indie folk emmenée par cinq musiciens. C’est surtout la formidable aventure de six amis venus d’une toute petite ville du Wisconsin, Baraboo. Monica et Mateo Roberts nous racontent, avant leur concert au Pop Up du Label, leur univers, comment tout a commencé, jusqu’à ce premier album éponyme, sorti le 1er septembre en Europe.

Phox © Solène Patron

  • Vous êtes 6 amis qui ont grandi à Baraboo dans le Wisconsin. Quand avez-vous pris la décision de former un groupe ?

Monica : Nous nous connaissons tous depuis très longtemps. Avant le groupe, il y avait eu différentes collaborations entre des membres du groupe : Zach et Matt étaient dans un groupe quand ils étaient au lycée ensemble, Mateo et son frère David jouent de la musique ensemble depuis l’enfance. Chacun avait vécu sa propre expérience musicale. Nous ne formons vraiment un groupe que depuis 3 ans.

Mateo : Chacun a tout d’abord essayé de s’accomplir individuellement dans ses propres projets personnels. Mais on a tous échoué plus ou moins en même temps. Moi, je faisais de la musique au lycée, dans la même période Matt, Dave et Jason étaient dans un groupe à Nashville, mais le groupe s’est séparé. Ils sont alors retournés à Baraboo chez leurs parents sans savoir quelle serait la prochaine étape. On connaissait tous l’expérience des uns et des autres, alors on s’est dit qu’on pourrait essayer de faire de la musique ensemble. Monica vivait à Madison à l’époque, à 1 heure de Baraboo, c’est pourquoi on a décidé d’emménager ensemble. Au bout de quelque mois, on a commencé à faire nos premiers concerts.

  • Et à ce moment-là, vous aviez déjà trouvé votre nom de groupe Phox ?

Monica : Plus ou moins. Quand on a fait notre premier concert, qui était catastrophique, on n’avait pas de nom. Ce soir-là, je portais un chapeau (Fox hat) et le père de Matt nous a alors surnommé Fox Hat and the Virgins Forever Sextet, nom qui est bien sûr d’un ridicule…

Mateo : Trop long… pas sérieux

Monica : Pour un premier concert dans un festival local, ça collait. Mais le concert était tellement mauvais qu’on ne voulait plus revivre ce genre d’expérience. On a arrêté de se voir pendant un moment. Six mois plus tard, on s’est retrouvé et alors on s’est dit que la première chose à faire était de changer le nom. On l’a réduit pour garder Fox. On changé l’orthographe, pour être honnête, pour faciliter les recherches sur le net et ne pas tomber sur Fox News, ou autre.

  • Comment un groupe d’une si petite ville aux US sort de l’ombre ? Comment tout a commencé ?

Monica : Quand je réfléchis à tout ça aujourd’hui, je me dis que finalement il y a plus d’avantages de venir du Wisconsin que de New York ou Los Angeles par exemple. J’ai vécu à Baraboo pendant trois ans quand le groupe s’est formé. Tous nos voisins nous connaissaient, savaient ce qu’on faisait. Et ils sont tous venus à notre premier concert.

Mateo : Là-bas, c’est comme une grande famille où tout le monde se connait. Les gens vous soutiennent, viennent à vos concerts, sont très enthousiastes et le partagent avec leur entourage. Ça ne se serait jamais arrivé dans une grande ville de dix millions d’habitants avec tant de groupes qui se produisent tous les soirs.

Monica : Oui, et les nouvelles se sont propagées très rapidement.

Mateo : Dans une grande ville, on serait passé inaperçu parmi tous les milliers de groupes qui existent.

Monica : Et puis, à Madison et dans le Wisconsin en général, vous avez d’un côté, une tonne de groupes indie pop, punk, metal et de l’autre de la country. Entre, vous n’avez que quelques chanteurs-compositeurs. Alors quand un nouveau groupe arrive avec une musique « indie folk », ça ne passe pas inaperçu.

  • Comment avez-vous réussi à franchir les frontières du Wisconsin ?

Monica : Si je réfléchis en terme d’étapes, je dirais qu’il y a d’abord eu Daytrotter qui a été derrière nous très tôt. Sean Moeller nous a appelés pour enregistrer en studio et on s’est retrouvé dans le top 10 des chansons Daytrotter de l’année. Les sessions Daytrotter ont permis de nous faire connaître sur la toile musicale. Ce qui a ensuite permis d’être diffusé sur NPR (radio américaine). Plus tard, il y a eu d’autres sessions, les « Audiotree Live » qui ont donné lieu à des vidéos diffusées sur le net. Je dirais que c’est à la fois grâce à ces médias qui ont crus en nous, ont parlé de nous sur la toile et grâce aussi à toutes les vidéos qu’on a créées et posté nous-mêmes et qui ont été partagées.

Mateo : C’est venu sans qu’on n’ait pas fait de démarches en ce sens. On a enregistré nos chansons au format vidéo dans notre maison qu’on a posté sur le net. Grâce au partage de nos propres vidéos sur les blogs et aux sessions Daytrotter, tout s’est enchainé rapidement en à peine un an et demi.

  • Vous avez fait beaucoup de concerts et de festivals, vous étiez en première partie des tournées de The Lumineers et de Blitzen Trapper. Comment avez-vous vécu cette période ?

Mateo : C’était super de jouer avec des groupes aussi connus. Nous ne faisons des concerts que depuis un an et demi, donc au début on n’était pas très bon sur scène, mais on s’améliore. Donc faire une tournée avec un groupe comme Blitzen Trapper qui tourne depuis plusieurs années, c’est très instructif, ils vous apprennent pleins de trucs sur le plan musical, mais aussi sur la façon d’aborder les tournées. On a appris énormément d’eux et de The Lumineers également. Et puis, on va bientôt rencontrer nos idoles, un groupe complètement déjanté et incroyable qui s’appelle The Head and the Heart…

Monica : Ahhhhhhhhhhhhh, je les adore !

Mateo : On vient juste d’annoncer une tournée avec eux aux US prochainement. On est sur un nuage…

  • Vous ne vous attentiez pas à tout ça quand vous avez commencé…

Mateo : Pas du tout, j’étais destiné à travailler dans une usine, alors voyager, jouer en Europe, faire toutes ces rencontres, c’est vraiment surréaliste, bizarre…

Monica : J’étais vraiment persuadée que je n’allais rien faire de ma vie. Au lycée, j’étais souvent « stone », je fumais beaucoup, les études ne m’intéressaient pas. J’étais pas sûre de moi, un peu défaitiste, à tel point que quand j’ai rencontré Matt et qu’il m’a dit « Tu devrais chanter », je lui ai répondu « Non, je ne pense pas… ». Ce n’est que maintenant, après avoir fait ces tournées aux US, après être venu en Europe, que je me dis que c’est absolument génial et que je réalise un rêve.

  • Quand pour la première fois on écoute votre musique, on est frappé par ta voix très soul, Monica. En avais-tu conscience avant ?

Monica : Non, car j’ai toujours chanté pour moi. Je n’ai jamais chanté au lycée par exemple, d’ailleurs beaucoup de mes amis par la suite m’ont dit « Mais on ne savait pas que tu savais chanter ! » . Je me souviens que j’adorais chanter étant petite, j’enregistrais les chansons que j’aimais sur des cassettes, mais écouter ma voix m’était insupportable, je détestais ma voix. Quand j’ai rencontré Matt, il m’a de suite encouragée à chanter. J’étais timide et pas sûre de moi à l’époque, mais les autres membres du groupe m’ont convaincu. Aujourd’hui, je commence à peine à aimer ma voix.

  • Phox, c’est une voix, mais aussi un son. Comment décrivez-vous votre musique ?

Mateo : Folk, folk-pop.

Monica : Folk alternatif, folk coloré.

  • Et quelles sont vos influences musicales ?

Monica : Si vous écoutiez les playlists de chacun de nous, vous seriez effrayés. Cela va de la musique classique à System Of A Down.

Mateo : Oui, c’est très varié. Durant le voyage pour venir à Paris, je me souviens avoir écouté un concerto pour piano et du death metal. On a tous des goûts très différents, c’est ce qui fait notre richesse. Monica aime le « early jazz », mais aussi Fiona Apple, Brandi Carlile…

Monica : Quand j’étais étudiante, j’écoutais de la powerpop et de la « evil music ». J’aime toujours ça. En fait, toutes les musiques que vous avez écoutées vous influencent d’une manière ou d’une autre. J’écoute toutes sortes de musiques, je n’ai pas de barrières musicales.

  • Vous semblez attacher beaucoup d’importance aux arrangements ?

Mateo : Cela dépend, dans la chanson « In Due Time », la composition est très sobre. Mais pour « Slow Motion », ça a été un processus de longue haleine. Au départ, il y avait les paroles et la mélodie, ensuite chacun a travaillé sur la musique, en ajoutant des instruments, de l’improvisation. On a passé du temps à essayer, garder, enlever… c’était dur, mais très enrichissant.

  • Votre album, sorti en Europe le 1er septembre, contient des chansons écrites à vos débuts et de nouvelles chansons. Est-ce que vous avez revisité les anciennes chansons pour l’album ?

Monica : Oui, nous jouons maintenant depuis trois ans. Cet album est notre premier grand projet avec une portée nationale et internationale, alors nous avons voulu intégrer certaines chansons de nos débuts. Nous ne les avions pas enregistrées dans de bonnes conditions à l’époque. Nous les avons en quelques sortes mises dans un shaker, et elles sont ressorties comme neuves, comme de nouvelles chansons écrites quelques mois plus tôt. Et c’est bien aussi pour ceux qui nous écoutent depuis longtemps, car certaines chansons datent d’il y a deux ans et demi.

Mateo : Oui, c’est sûr. Quand on nous a proposé d’enregistrer l’album, notre manager nous a dit : OK, nous, on sait qui vous êtes, d’où vous venez, mais n’oubliez pas que la plupart des gens qui vont écouter votre album ne vous connaissent pas. Et puis, si on n’avait pas intégré les premières chansons à l’album, elles auraient été oubliées, et c’est dommage, car elles sont super. C’était aussi l’opportunité de leur donner une seconde vie. C’est ce qu’on aime également faire en concert ; revisiter les chansons avec de nouveaux arrangements pour apporter de la fraîcheur, de la nouveauté.

  • Votre musique a donc évolué depuis votre dernier EP ?

Mateo : Oui, le son a évolué, car quand on a commencé, nous faisions beaucoup de jams. On a fini par comprendre qu’on n’avait pas besoin de jouer des riffs pendant deux minutes, mais qu’il fallait simplement revenir à des structures plus folk. On est revenus à l’essentiel avec cet album et on a trouvé un son qui nous correspond vraiment.

Monica : Avant, on avait un processus de création où chaque membre contribuait à la chanson avec sa partie musicale. C’est très romantique, car tout le monde joue, mais ça a ses limites. Une chanson, c’est avant tout une histoire. Et si chacun y ajoute sa touche, on perd vite le fil de l’histoire. Et c’est ce qui arrive quand vous avez cinq personnes jouant, mais pas en même temps ni au même moment sur une chanson. On a donc essayé de se focaliser sur l’idée de départ de la chanson sans trop s’éparpiller.

  • Et qui écrit les chansons ?

Monica : J’écris les paroles et les mélodies des chansons. Elles parlent de mon enfance, des moments vécus, de mes interrogations, de mes peurs. Quand je trouve une idée de mélodie, je la présente à Mateo et à Zach en premier. Ils me donnent alors des idées, des pistes qui me permettent d’avancer quand je suis bloquée. C’est un travail très progressif. Il m’est arrivé quelques fois d’écrire des chansons entières toute seule.

  • Lesquelles ?

Monica : In Due Time, Calico Man, 1936.

  • Votre album a été produit par Bryan Joseph et mixé par Michael Brauer. Que pouvez-vous nous dire à propos de ces collaborations ?

Mateo : Travailler avec Bryan a été très bénéfique pour nous. Il nous a obligés à nous concentrer sur les idées principales : l’une d’elles était de retravailler la musique, car il y avait trop de « jams ». Il nous a aidés à l’épurer et trouver le son de cet album. Et puis, c’était une expérience incroyable d’enregistrer dans le studio de Justin Vernon et travailler avec Bryan qui a été adorable avec nous. Le mixage avec Michael a été très intéressant aussi. Michael avait 6 jours pour travailler sur nos chansons. Tout a été fait en studio à New York avec Dave notre batteur. Pour lui, avoir accès à un studio professionnel et profiter de l’expérience de Michael a été un moment très spécial, très enrichissant.

Monica : À ce niveau de professionnalisme, vous faites confiance. Je ne sais pas quelles étaient les attentes de Dave, mais j’imagine qu’il a beaucoup observé. Et dire que je ne l’ai même pas rencontré ! à chaque fois que je chante, je me dis que je devrais lui envoyer un mail pour le remercier !

  • Phox, c’est une voix, un son et des images également. Toutes les vidéos ont été produites par Zach. Votre premier EP était au format vidéo, ce qui n’est pas commun. Est-ce que l’image est aussi importante pour vous que la musique ?

Mateo : Oui, l’image est importante, car Phox, pour nous, c’est plus qu’un groupe de musiciens. Nous nous considérons comme un groupe d’artistes, et nous voulons nous exprimer au-delà de la musique, par le visuel également.

Monica : Dans le groupe, nous avons la chance d’avoir plusieurs talents artistiques : Zach est vidéaste, Matt graphiste-designer et Dave est ingénieur du son. Mateo et Zach composent de la musique pour des films d’animation. Ils ont tous un métier en dehors de Phox. Alors ça prend du temps, de l’énergie, c’est coûteux, mais nous avons cette chance de pouvoir réaliser nous-mêmes tout l’aspect artistique alors que la plupart des jeunes groupes sont obligés de faire appel à d’autres personnes.

Mateo : Et puis, ça nous représente bien. Nos vidéos relatent des moments de la vie du groupe. Rien n’est calculé. Du coup, elles peuvent être vues comme une sorte de documentaires sur la vie du groupe, comme le sont les chansons sur la vie de Monica. Et les arrangements musicaux de l’époque reflètent l’énergie et l’état d’esprit qu’on avait à ce moment-là.

  • Vous avez posté récemment le clip « Kingfisher ». Est-ce qu’il y en a d’autres à venir prochainement ?

Monica : Oui, mais je ne sais pas si on peut en parler. Un single va bientôt sortir. Nous allons faire le clip qui sera également réalisé par Zach.

Mateo : Tant que Zach sera avec nous, il s’occupera des vidéos du groupe. Nous avons aussi en projet la réalisation d’une vidéo long format pour le printemps, on ne sait pas encore à quoi ça ressemblera, s’il y aura de la musique, pourquoi pas des petits sketchs…

  • Est-ce que les vidéos sont toujours réalisées chez vous dans le Wisconsin ?

Monica : Non, quand on a tourné « Slow Motion », c’était en hiver et il faisait -40° dans le Wisconsin. On est alors parti à Nashville ou il faisait chaud. La plupart des clips sont tournés à Baraboo ou Madison ou bien pendant les tournées. Le clip de « Kingfisher » a été tourné dans l’arrière-cour de la maison de la copine de Jason.

Mateo : La majorité des vidéos ont été tournées dans notre maison ou aux alentours. C’est super de pouvoir faire ça à la maison avec les amis et la famille.

  • C’est votre deuxième date à Paris. Vous vous sentez bien ici ?

Monica : Oui, absolument. Cette fois-ci, j’ai eu le temps de me perdre dans les rues de Paris, c’est tellement beau ici ! La dernière fois que nous sommes venus ici, c’était le marathon. On est resté 6 heures, on a fait 2 séances photo, 2 interviews, le concert et on est partis.

Mateo : Ce que je trouve fascinant, c’est ce mélange d’histoire et de modernité à travers l’architecture qui n’existe pas chez nous. C’est vraiment incroyable de se retrouver ici, mais demain nous devons partir tôt. Actuellement, avec Zach, nous composons la musique d’un film pour le festival d’Annecy. Le réalisateur nous a envoyé des photos, c’est très beau aussi, le lac, les montagnes, j’adorerais y aller.

La discussion aurait pu se poursuivre, mais il est temps pour Monica et Mateo d’aller se préparer pour leur concert.


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Sylvie Durand

Curieuse, passionnée par les voyages, la musique, la danse. Par tout ce qui aiguise les sens.