[LP] Ought – Sun Coming Down

« More Than Any Other Day » était l’une des meilleures surprises de 2014 : un art punk aux racines profondément ancrées dans le post-punk et le rock alternatif, qui a propulsé le jeune groupe québécois sur le devant de la scène musicale. Et c’est seulement quelques mois plus tard que Ought sort son deuxième album, « Sun Coming Down », et assure par la même occasion que le succès de son premier opus n’était pas le fruit du hasard.

Ought - Sun Coming Down

Ought réussit un excellent tour de force : un parfait équilibre entre rupture et continuité, illustration d’une évolution musicale qui affirme son originalité. Le pont entre les deux albums est marqué par l’excellent « Beautiful Blue Sky » ; une ballade enthousiasmante portée par une basse virevoltante. Ici, les paroles toujours plus cyniques de Tim Darcy montrent bien l’évolution du projet : si le narrateur du premier album était sans cesse dans la quête métaphysique de quelque chose d’inaccessible, sans pour autant oser sortir de chez lui, il fait là un pas en avant et va voir le temps qu’il fait dehors, observe les choses qui l’entourent et s’adresse à l’auditeur non plus pour se plaindre, mais pour lui poser des questions sur son existence. Cette énergie punk à moitié déclamée, à la façon d’un Mark E. Smith dans la voix et les textes, nous bouscule, nous enflamme et nous enchante.

« Sun Coming Down » est ainsi moins accessible à la première écoute, car beaucoup plus brut, plus direct dans son rapport à l’auditeur. On est confronté à des chansons qui se déplacent à une vitesse fulgurante et qui nous laissent trop bouche bée pour penser à reprendre notre souffle. La grande majorité des chansons ne se composent que deux ou trois idées musicales, mais passent de l’une à l’autre de façon si spontanée, si non conventionnelle qu’elles s’enrichissent et se diversifient mutuellement. « On The Line », presque une ode au math rock, ne se construit ainsi qu’à travers un jeu de tension continu entre les différents instruments, entre les différentes idées qui s’enchaînent et se déchaînent sans aucun moyen de les prévoir. Le travail sur le son est aussi nettement plus garage, s’approchant de la partie la plus propre de la lo-fi qu’ils avaient déjà exploitée sur le premier EP, renforçant davantage l’intimité et la violence de la relation entre cet album et l’auditeur. La dernière chanson, « Never Better », profite ainsi d’une tension accumulée pendant quatre minutes, grâce à un jeu harmonique et rythmique très fin ; pour se finir abruptement, comme si quelqu’un avait interrompu l’enregistrement en rentrant dans la pièce.

Ought réussit continuellement à nous surprendre dans les préjugés qu’on avait sur eux, en déconstruisant et poussant plus loin la composition de ses chansons, sans pour autant perdre de vue la qualité musicale. Et celle-ci se base encore une fois sur des influences allant piocher dans l’étendue du post-punk ; Tim Darcy sonnant plus que jamais comme un mélange de David Byrne et Tom Verlaine, ainsi que de la scène alternative. « Celebration » incarne cet héritage grâce à sa basse presque mélodique, sa batterie imposante et son atmosphère alternant en continu entre l’énergique, le sombre, le langoureux et le captivant. Les Montréalais n’hésitent pas à aller traîner dans les recoins les plus lourds et véhéments du rock indé sur le rugissant « Men For Miles », pouvant rappeler Slint tout en se dirigeant dans la foulée vers une ambiance plus lente (malgré le travail technique très impressionnant du batteur) et entraînante à la Violent Femmes sur « Passionate Turn ». Si l’on est continuellement bousculé par la façon dont les chansons se construisent, l’essence de celles-ci prend un chemin connu, apprécié, mais néanmoins approprié et sublimé.

L’élément majeur qui cimente l’évolution de Ought se trouve donc être la complicité, la complémentarité entre les instruments, chaque musicien ayant un rôle se déclinant sans cesse (pour assurer une continuité rythmique et mélodique tout au long de l’album). « The Combo » développe cette sorte de roulement entre les instruments, pour permettre au groupe d’alterner entre une complexité harmonique digne des plus grands et un changement rythmique drastique sur le coup des trois minutes qui transforme totalement l’atmosphère de la chanson. La voix semble se complaire encore plus à ce petit jeu, car elle est beaucoup plus présente dans l’ensemble musical que dans le premier album. La presque éponyme « Sun’s Coming Down » voit son intro chaotique subitement rompue par le « Just like that it changes » du chanteur, qui fait basculer la chanson dans une tout autre dynamique, oscillant entre un riff d’une beauté absolue et une partie énergique et agressive.

Ought

« Sun Coming Down » est donc un excellent second album, brûlant et agressif, tout en restant absolument captivant une fois qu’on arrive à l’apprivoiser. L’année qui s’est écoulée leur a ainsi permis de construire une communion entre les différents instruments et à pousser plus loin l’affirmation de leur identité musicale. Ought s’approche d’une façon encore différente de l’art-punk, montrant que les attentes reposant sur ses épaules étaient fondées et nous faisant attendre avec hâte sa prochaine évolution.

« Sun Coming Down » de Ought, sortie le 18 septembre 2015 chez Constellation Records.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général