Je n’ai pas pour habitude de parler à la première personne des concerts que je vais voir, sans doute pour apporter une part d’objectivité au récit permettant à chacun de se projeter dans un concert auquel il n’a pas forcément assisté. Je ferai une exception ici. D’une part parce que je ne saurai revendiquer aucune objectivité pour un groupe comme Nada Surf, que je voyais ici pour la 10e fois en 20 ans. D’autre part parce que ce texte parle avec beaucoup de subjectivité d’une manière de vivre les concerts que nous ne sommes malheureusement peut-être pas près de retrouver.
Nous sommes fin février 2020. Il y a un peu plus de 3 mois, il y a un siècle, il y a une éternité. À l’époque je râlais beaucoup, pour pas grand-chose. Ce soir-là, je râle parce que cela fait longtemps que je ne suis pas venu au Splendid et qu’il y a eu des travaux dans le quartier, qui ont eu pour effet de réduire encore plus le nombre de place de stationnement dans ce quartier résidentiel. Un soir de semaine à 19h45, impossible de trouver la moindre place à proximité. Je décris des cercles concentriques de plus en plus grands autour de la salle pour finir, au bout du désespoir, par me garer à 10 bonnes minutes à pieds du Spendid, sur ce qui n’est pas une place de stationnement autorisé. Je râle en imaginant la possibilité de retrouver mon véhicule à la fourrière.
Je râle parce qu’au Splendid, la première partie démarre en général à 20h pile, et qu’avec cette règle stupide des « trois premiers titres, sans flash », je ne pourrai pas faire de photos de John Vanderslice et que moi, contrairement à certains, j’aime bien faire des photos des premières parties. Je râle parce qu’une fois arrivé devant la salle, un agent de sécurité que je n’ai jamais vu avant ce soir (à force, on les connaît tous et on sympathise avec la plupart) refuse de me laisser passer devant la longue file des fans de Nada Surf. J’espérais encore pouvoir entrer dans les crashs pour un titre, c’est mort.
Première bonne nouvelle de la soirée, on m’indique au guichet que ça vient juste de commencer, et qu’il n’y a pas pas de conditions particulières, John Vanderslice autorise à photographier tout le set. Béni soit cet homme ! Je pénètre dans la salle et découvre l’homme seul sur scène, avec sa guitare acoustique et ses cheveux bleus. La salle est déjà bien remplie, et rien qui s’apparente au concept de « distanciation physique » n’occupe encore les esprits à ce moment-là.
Vanderslice livre un set joyeux et lumineux, raconte sa vie, que l’on imagine volontiers pleine de péripéties plus ou moins réjouissantes. Il me fait rapidement penser aux paroles de « Happy Kid » de Nada Surf, I’m just a happy kid, Stuck with the heart of a sad punk. C’est le moment qu’il choisit pour nous parler de sa sobriété en tournée, et nous dire qu’en dehors de ça, « Cocaine is so underrated ! » Il parle aussi de la vie en tour bus avec Nada Surf, de son admiration pour le groupe. On ressent une amitié et un respect non feint entre ces gars-là. D’ailleurs, chose rare, Matthew Caws finit par rejoindre Vanderslice sur un titre. À ce moment, je suis juste à quelques centimètres de Caws et je ressens une forme de malaise, comme s’il dégageait beaucoup de timidité et d’anxiété, mais je n’y prête pas vraiment attention. Puis c’est au tour d’Ira Elliot de venir se mettre à la batterie.
À la fin de cette première partie, la foule commence à se comprimer pour essayer de se rapprocher de la scène. Je râle parce qu’il fait déjà trop chaud, comme souvent ici. Je râle encore contre un type gigantesque, déjà bien ivre, qui vient se coller juste devant ma copine, venue avec moi ce soir, et qui ne voit plus rien devant elle.
Les lumières s’éteignent et Nada Surf entre en scène. Trois choses me frappent assez vite. La première c’est que les titres s’enchaînent sans que le nouvel album, « Never Not Together », sorti quelques jours plus tôt, ne soit exploré. « Looking Throught », « Whose Authority », « Hi-Speed Soul », « Friend Hospital », les quatre premiers titres du concert proviennent chacun d’un album différent, mais aucun du dernier. Nada Surf nous fait même la surprise de jouer « The Plan », leur tout premier morceau issu de leur premier EP, avant même « Popular ». Matthew Caws en profite d’ailleurs pour indiquer au public que quelqu’un lui a rappelé sur les réseaux sociaux que Nada Surf avait joué dans ce même Splendid en 1996, avant qu’ils ne soient connus, avant « Popular », il y a 24 ans, un siècle, une éternité. Suivra encore pour mon plus grand bonheur « Killian’s Red » (un des plus beaux morceaux qui soit) avant que le groupe ne se lance dans le premier single du nouvel album, « So Much Love ».
La deuxième chose qui me frappe, c’est que ça ne va pas fort du côté de Daniel Lorca. Il y a manifestement un problème avec sa basse, et il n’arrive pas à l’identifier. L’homme est connu pour son tempérament et montre des signes d’agacement de plus en plus notables au fil des morceaux. Il regarde sans arrêt vers les techniciens, s’énerve, lève les yeux au ciel et finit d’ailleurs par se plaindre des lumières qui, selon ses gestes, l’aveuglent et l’empêche de voir ses cordes. Par moment, Lorca s’arrête même carrément de jouer et flingue ainsi 2 ou 3 morceaux (dont « Killian’s Red », ce que j’ai eu du mal à lui pardonner). Ce n’est qu’au moment de « So Much Love » qu’un des techniciens réalise qu’un des micros d’ambiance, sensé être dirigé vers un ampli derrière Lorca, pointe vers le sol. Il intervient pour le redresser et en deux secondes on récupère un son de basse normal.
Enfin il faut le dire vite. Car la troisième chose que l’on note rapidement, c’est que le son de ce concert est plutôt médiocre. Une manière de dire les choses serait que le Splendid n’est pas une salle réputée pour la qualité de son acoustique. Une autre serait que c’est un lieu exigeant pour techniciens et musiciens avertis. Et ce soir, ça ne le fait pas. Il faut vraiment se concentrer pour entendre le clavier de Louie Lino, ami et producteur qui accompagne le groupe sur cet album et cette tournée, ce qui me rappelle un concert à l’Élysée Montmartre lors de la tournée de « Let Go », où on n’entendait rien de ce qu’il jouait.
Ajoutons à cela un Matthew Caws beaucoup plus avare en anecdotes qu’à son habitude, ajoutons aussi une setlist assez étrange qui ne comptera au final que trois titres du nouvel album sur vingt morceaux joués, les mêmes trois titres déjà sortis pour teaser le nouvel album. Peu de surprises donc. Et où étaient ce soir-là les « Live, Learn and Forget », « Just Wait » ou « Crowded Star » qui font tout le sel et la beauté de « Never Not Together » ? À n’en pas douter, il y avait vraiment beaucoup d’anxiété sur scène pour cette première date sur le sol européen.
Le contexte sanitaire a-t-il pu entrer en ligne de compte, à un moment où tout le monde commençait à comprendre que le Covid19 n’était pas juste une simple grippette ? Quelques jours plus tard, à Paris, Nada Surf sera un des premiers groupes à proposer deux sets au lieu d’un pour respecter la limite alors tout juste en vigueur de 1000 personnes dans une salle de spectacle, avant de mettre un terme prématuré à sa tournée pour que chacun des membres puisse rejoindre sa famille avant la fermeture des frontières. Il est donc possible que le contexte ait joué, et c’est tout à fait compréhensible.
Pourtant même si ce n’était pas le meilleur concert de Nada Surf qu’il m’ait été donné de voir en 20 ans, je serais prêt à donner beaucoup pour retourner en arrière, retrouver ce monde d’avant où l’on pouvait exprimer sa mauvaise humeur pour tout un tas de futilités, juste avant de retrouver le sourire en entrant dans une salle sombre, une bière à la main et un appareil photo autour du cou. Je serais prêt à payer cher pour n’importe quel concert moyen d’un groupe constitué d’être humains, qui peuvent avoir un soir sans, et qui malgré tout, donnent de leur personne, adressent quelques mots sympas à la foule, et font hocher les têtes, danser les corps, s’alléger les peines et rayonner les sourires de plusieurs générations de public, qu’elles aient connu le groupe sur « Popular » (enfin abandonné ce soir-là), sur « Hyperspace », « Inside of Love », « Always Love » ou plus récemment sur « Friend Hospital ». Car c’est bien de communion dont il est question ici, et de la communion, il y a en eu beaucoup ce soir-là. Et c’est bien cela qui manque tant aujourd’hui, et qu’on ne peut retrouver dans un concert en live sur Facebook ou Instagram. Pour tout ça, je ne suis pas prêt d’oublier mon 10e concert de Nada Surf. C’était il y a une éternité, un siècle, il y a trois mois.
Setlist
1. Looking Through
2. Whose Authority
3. Hi-Speed Soul
4. Friend Hospital
5. The Plan
6. Killian’s Red
7. So Much Love
8. Inside of Love
9. What Is Your Secret?
10. Beautiful Beat
11. Cold to See Clear
12. Blonde on Blonde
13. Hyperspace
14. Looking for You
15. Paper Boats
16. See These Bones
17. Something I Should Do
18. Blizzard of ’77
19. Always Love
20. Blankest Year
Retrouvez Nada Surf sur :
Site officiel – Facebook – Twitter – Instagram