[EP] Motorama – Holy Day

Le 45 tours, objet magique et éternel, fascine toujours autant les groupes indépendants. Tenir entre ses mains le fameux Graal doit sans aucun doute procurer, pour le musicien, cette sensation irrésistiblement adolescente d’accomplissement artistique total. Alors difficile, au sein de notre rédaction, de passer à côté de cette sortie en édition limitée par le groupe russe Motorama : tout semble participer à une merveilleuse logique des choses, tant ce projet cultive l’art du bon goût et de la nostalgie créative.

Motorama - Holy Day

Motorama a tous les atouts de la formation culte : son imaginaire renvoie aux plus belles heures du rock et, pour notre plus grand bonheur, aux plus sombres. En fermant les yeux, lorsque la musique de Motorama nous enveloppe, ce sont des pochettes mythiques qui surgissent de notre plus lointaine mémoire, et dans le complet désordre : « The Modern Dance » de Pere Ubu , « Outdoor Miner » de Wire, « Solace » de The Sea Urchins ou encore « Transmission » de Joy Division. Loin de sombrer dans la régression et dans le toujours dérangeant « C’était mieux avant », Motorama rappelle combien une époque résonne aujourd’hui dans la création contemporaine, avec deux titres aux fausses intentions lo-fi, mâtinées d’une légère saveur synthétique.

« Holy Day » serait sans aucun doute devenu un tube dans ces merveilleuses années que beaucoup regrettent et que tant d’autres rejettent avec force. Nous connaissions moins les penchants synthétiques des quatre musiciens russes, qui animent avec bonheur les deux pistes de ce format court. Même si cette tentation a toujours été présente, de fait, dans la discographie des Russes, comme sur l’hypnotique « Write To Me » sur leur dernier LP, « Poverty », nous ne pensions pas évoquer le charme quasi-intact du groupe Visage ou les premiers pas pop de Ministry sur ce premier titre, et encore moins l’élégance de notre dandy national, Étienne Daho (ce petit quelque chose, dans l’intro, de « Week-end à Rome »). Boîte à rythme d’époque et synthé rudimentaire : un pas de plus et le morceau venait concurrencer « Le courage des oiseaux » de Dominique A sur le terrain du minimalisme.

En effet, comme dans la première vie de notre chauve adoré, Motorama transporte ses morceaux dans un univers urbain désenchanté, mais toujours étonnamment poétique et lumineux. Le combo russe n’a pourtant rien d’un groupe bricoleur, car l’œuvre qu’il façonne maintenant depuis quelques années a pris énormément de hauteur et de densité. Le son est plus que jamais un élément déterminant de l’esthétique Motorama. Rien n’est laissé au hasard. La tonalité délicieusement vintage de ce 45 tours est le fruit d’un travail extrêmement précis et réfléchi. Alors que les étendards médiatiques que sont Editors ou encore Interpol n’en finissent plus de se prendre les pieds dans le tapis, Motorama, lui, maîtrise son sujet et pourrait terminer, à juste titre, sur la plus haute marche du podium. La face B, « Mirror », poursuit ce délicieux ouvrage, en révélant une douce mélodie portée par ces gimmicks de synthés jouissifs. Presque discrète mais pas vraiment en retrait, la basse nous emporte dans un groove irrésistible ; difficile de ne pas taper du pied, voire, pour les plus aventureux, de ne pas foncer sur la piste de danse.

crédit : Maria Bartulis
crédit : Maria Bartulis

Pari gagné pour ce bel objet qui rejoint la grande histoire des musiques populaires par la petite porte, mais avec un aplomb et une force presque trop rares aujourd’hui dans l’univers de la pop indépendante.

« Holy day » de Motorama est disponible depuis le 30 mai 2016 chez Talitres.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.